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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Contre une instrumentalisation de l’immigration

Programme de l'expérience québécoise (PEQ)Les nouveaux critères du Programme d’expérience québécoise (PEQ)

Le Programme d’expérience québécoise (PEQ) permet aux étudiantes et aux étudiants étrangers de demeurer au Québec à titre permanent en mettant de l’avant leur réussite scolaire et leur connaissance du français. L’idée de départ était de reconnaître les acquis en matière d’intégration d’une personne qui a choisi de faire ses études au Québec et de lui permettre de faire une demande de sélection permanente du Québec dans la catégorie des travailleurs qualifiés.

Il est facile d’imaginer qu’après avoir passé une, deux ou trois années à étudier au Québec, une personne venue de l’étranger puisse intégrer plus facilement le marché du travail et devenir membre à part entière de la société. Cependant, les nouveaux critères annoncés par le gouvernement Legault viennent complexifier les choses. 

Ces critères restreignent l’admissibilité des diplômes obtenus par les étudiantes et les étudiants étrangers. Pour être admissible, le diplôme obtenu doit être compris dans la Liste des domaines de formation admissibles au Programme de l'expérience québécoise (PEQ) - volet diplômé. Hors de cette liste, la personne venue étudiée au Québec ne pourra faire une demande de sélection permanente du Québec dans la catégorie des travailleurs qualifiés. 

Instrumentalisation et immigration

La liste établie par le gouvernement Legault désigne 218 domaines de formation qui correspondraient à des besoins prioritaires du marché du travail. Sa visée est claire : permettre de sélectionner des personnes dont les qualifications sont recherchées par des employeurs. Voilà un bel exemple d’instrumentalisation de l’immigration au profit des seuls besoins du marché du travail. 

Liste des diplômes admissibles au PEQDans une analyse de la stratégie nationale sur la main-d’œuvre proposée par le précédent gouvernement Libéral, l'ICÉA s’inquiétait des effets négatifs d’une telle instrumentalisation (Dignard, 2019). Cette analyse invitait le gouvernement du Québec à accorder autant d’importance à l’employabilité à court terme des personnes qui intègrent le marché du travail qu’à leur capacité à s’adapter aux changements à long terme de ce même marché.

Dans cette perspective, les étudiantes et les étudiants étrangers devraient non seulement être sélectionnés pour leur capacité à s’intégrer rapidement au marché du travail, mais aussi pour leur capacité à s’adapter aux changements à venir. 

L’instrumentalisation de l’immigration mène à une déshumanisation du processus de sélection des étudiantes et des étudiants étrangers. Les restrictions imposées par le gouvernement du Québec font en sorte que la sélection ne repose plus sur un engagement mutuel, mais conditionnel : l’État ne sélectionne plus une personne parce qu’elle a étudié au Québec et que sa connaissance du français en fait une bonne candidate, mais parce que son diplôme figure sur une liste et que ces compétences sont supposément plus essentielles au marché du travail que celles d’une autre personne. 

Choisir les priorités

Au-delà de l’instrumentalisation de l’immigration, cette liste de priorités soulève d’autres problèmes. Viennent en premier lieu les choix méthodologiques permettant de l’établir. Les experts du marché du travail ne s’entendent pas sur les critères à appliquer pour identifier les besoins prioritaires en matière de formation. À ce titre, la Journée d’étude sur l’adéquation entre la formation et l’emploi, tenue par l'ICÉA en mars 2019, a permis de mettre en lumière des lacunes de l’Information sur le marché du travail (IMT).

Des personnes présentes à cette journée déploraient la présence d’un « décalage entre les besoins réels des entreprises et les secteurs d’emploi priorisés ainsi qu’une inadéquation entre les formations financées par la CPMT ou Québec et les besoins réels du marché du travail ». Au sujet des priorités identifiées pour le marché du travail, elles soulignaient que « cette liste peut prioriser des secteurs ou des métiers où la demande est à la baisse alors que d’autres secteurs et métiers dont la demande est à la hausse ne le sont pas – cela, dans une même région. (ICÉA, 2019) »

Le choix de priorités fait par le gouvernement pourrait ainsi ne pas être représentatif des besoins réels du marché du travail. D’ailleurs, un article publié dans Le Devoir le 7 novembre dernier souligne que ce choix ne fait pas l’unanimité au sein des membres de la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT). Le journaliste Marco Bélair-Cirino y met en lumière les inquiétudes et la déception exprimées par de nombreux membres de la CPMT. 

La révision annuelle des priorités

Les révisions de la liste des diplômes admissibles au PEQ établie par le gouvernement posent également un problème. Il est prévu de réviser cette liste chaque année. Des changements annuels sont donc à prévoir, qui compliqueront le choix des étudiantes et des étudiants étrangers. Une personne dont la formation s’échelonne sur deux, trois ou quatre ans pourrait ainsi choisir un diplôme admissible en début de parcours et découvrir à terme qu’il ne figure plus sur la liste.

Aller à l’encontre des stratégies gouvernementales en immigration

Les restrictions annoncées par le gouvernement Legault en matière d’immigration forcent certaines interrogations quant au respect de l’actuelle Stratégie d’action en matière d’immigration, de participation et d’inclusion (2016-2021)

Il faut savoir que cette stratégie propose de « mettre en place un système d’immigration compétitif qui permet d’assurer une adéquation optimale entre les besoins du Québec et les profils des personnes immigrantes. » À ce titre, il est question d’accorder « la priorité à la sélection des étudiantes et étudiants étrangers diplômés […] en facilitant leurs démarches d’immigration » et d’intensifier « les efforts de promotion pour qu’encore plus d’étudiantes et étudiants étrangers diplômés […] choisissent de s’établir durablement au Québec » (Québec, 2015).

De fait, les restrictions annoncées par le gouvernement Legault viennent limiter la sélection des étudiantes et des étudiants étrangers plutôt que d’en faire une priorité. Quant aux efforts de promotion, s’il est toujours possible de les intensifier, le contexte de restriction ne facilitera pas la tâche du gouvernement ou des institutions d’enseignement.

Encourager, plutôt que décourager

L’obtention du certificat de sélection n’est que la première étape sur le chemin de la citoyenneté. Ce chemin parsemé est d’embûches et s’échelonne sur plusieurs années : qu’arrivera-t-il si, au cours de cette période, le diplôme de cette personne ne figure plus dans la liste des priorités du marché du travail? Devra-t-elle retourner dans son pays d’origine? Voilà une incertitude qui risque de décourager de nombreuses personnes dans leur choix d’entreprendre des études au Québec. 

À ce titre, les responsables de plusieurs universités du Québec estiment que la restriction de l'accès au PEQ pourrait décourager la venue d’étudiantes et d’étudiants étrangers. « Nous croyons que les modifications des règles auront un effet dissuasif pour les étudiants étrangers qui voudraient venir étudier au Québec, effet qui du même coup réduira le pouvoir attractif de nos laboratoires et centres de recherche », peut-on lire dans une lettre collective signée par des professeurs provenant de 13 établissements universitaires (Le Devoir, 7 nov. 2019).

Guy Breton, recteur de l’Université de Montréal, et de Sandrine Desforges, secrétaire générale de la FAECUMi soutiennent pour leur part que « [l]imiter les besoins du marché de l’emploi à une simple liste de domaines prédéterminés, c’est se priver de la créativité qui fait la fierté du Québec. C’est aussi ignorer la réalité des trajectoires de vie plurielles des individus. Les diplômés des universités québécoises sont qualifiés et polyvalents. Les imaginer cantonnés à des filières prédéterminées est beaucoup trop réducteur (Breton et Desforges, 2019). »

Comme alternative positive à l’exclusion d’un processus qui était ouvert à toutes les étudiantes et tous les étudiants étrangers, Breton et Sandrine Desforges suggèrent de « donner un coup de pouce supplémentaire aux étudiants des domaines permettant de répondre plus spécifiquement aux besoins de main-d’œuvre de notre société par l’attribution de bourses incitatives, par exemple […] (Breton et Desforges, 2019). »


Note
i Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal.
Références
IICÉA (2019). La personne et la diversité des choix et des besoins, rapport de discussion. Journée d’étude sur l’adéquation et la formation, 26 mars 2019. [En ligne] https://icea.qc.ca/sites/icea.qc.ca/files/Discussion-E1_26mars2019_Perso... (Consulté le lundi 11 novembre 2019.)
Dignard, H. (2019). « Stratégie nationale sur la main-d’œuvre 2018-2023 : une analyse critique. », Apprendre + Agir, janvier 2019. [En ligne] https://icea-apprendreagir.ca/strategie-nationale-sur-la-main-doeuvre-20... (Consulté le lundi 11 novembre 2019.)
Breton, G. et S. Desforges (2019). « Le Québec n’a pas les moyens de se priver de tout ce talent », Le Devoir, Libre opinion, 7 novembre 2019. [En ligne] https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/566469/le-quebec-n-a-pas-... (Consulté le lundi 11 novembre 2019.)
Le Devoir (7 nov. 2019). « L’importance des étudiants étrangers : Ils sont un moteur important pour la recherche et le développement du Québec », Lettre collective de professeurs de 13 établissements universitaires, Le Devoir, Opinion, 7 novembre 2019. [En ligne] https://www.ledevoir.com/opinion/idees/566464/l-importance-des-etudiants... (Consulté le lundi 11 novembre 2019.)
Bélair-Cirino, Marco. « Le gouvernement se met à dos ses partenaires en emploi, La CAQ embarrassée par une motion adoptée exigeant l’annulation de la réforme », Le Devoir, 7 novembre 2019. [En ligne] https://www.ledevoir.com/politique/quebec/566404/jolin-barrette-clause-g... (Consulté le lundi 11 novembre 2019.)
Québec (2015). Stratégie d’action en matière d’immigration, de participation et d’inclusion (2016-2021), Gouvernement du Québec. [En ligne] http://www.mifi.gouv.qc.ca/publications/fr/dossiers/Strategie_Immigratio... (Consulté le lundi 11 novembre 2019.)