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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Refuser l’improvisation, Plaidoyer pour le maintien de la loi du 1 %

Mercredi 4 février 2015 - ICÉA
Pierre DorayDepuis quelques semaines, plusieurs interventions publiques, provenant essentiellement des milieux patronaux, contestent la pertinence de la loi sur la formation de la main-d’œuvre en emploi, aussi appelé la loi du 1 %. Pour leurs auteurs (comme Martine Hébert, de la FCEI, et Françoise Bertrand, de la FCCQ), le diagnostic est clair : celle loi est un échec et il convient donc de l’abolir. En contrepartie, les entreprises accepteraient d’accueillir davantage de stagiaires. Ces propos appellent plusieurs remarques qui interrogent autant le diagnostic que la proposition alternative. 
 
Texte de Pierre Doray et Félix Simoneau
Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie de l'Université du Québec à Montréal
 
À lire également, la lettre ouverte de l'ICÉA « À la défense de la loi du 1% » pubilé par le Huffington Post, lundi 2 février 2015.

Le diagnostic est-il aussi clair qu’on le dit?

Le fait que le Québec soit toujours dernier au Canada en matière de formation liée à l’emploi constitue l’argument lourd pour sonner le glas de la loi. Mais cet indicateur a-t-il les qualités nécessaires pour arriver à cette conclusion? Malheureusement, ce n’est pas le cas. D’abord, il amalgame de nombreuses dimensions qui peuvent intervenir dans la fluctuation interprovinciale du taux de participation, comme la structure industrielle différente de chaque province. Ensuite, ce n’est pas tant la comparaison avec les autres provinces qui est importante, mais l’évolution de l’effort des entreprises québécoises. En effet, si l’effort de toutes les provinces augmente, le taux québécois ne changera pas de position relative, mais cela ne veut pas dire que l’effort n’a pas augmenté. À cet effet, l’évolution des investissements des entreprises québécoises montre d’importants efforts. 
 
La loi fut adoptée en 1995 et son application aux diverses catégories d’entreprises fut graduelle jusqu’en 1998 (voir tableaux 1 et 2). En 1998, plus 30 400 entreprises ont investi dans la formation de leurs salariés selon les termes de la loi. Ce nombre a progressé jusqu’en 2002. Les sommes engagées ont fluctué au cours de ces années entre 1 165, 8 et 1 186,9 millions de dollars. Le pourcentage de la masse salariale a fluctué entre 1,47 % et 1,56 %.
 
Indicateur de l'effort de formation des entreprises assujetties à la loi du 1 %, 1996 à 2002
Peu de temps après la prise du pouvoir par le gouvernement Charest, celui-ci modifie l’étendue des entreprises assujetties en modifiant la définition des petites entreprises. Ce changement se reflète immédiatement dans le nombre d’entreprises assujetties qui glisse à 10 832, en 2004 (comparativement à plus de 37 000, en 2002). Ce nombre a augmenté depuis 2004 pour atteindre 16 143, en 2011. Les dépenses de formation ont fluctué au cours de cette deuxième période, en particulier autour de 2008, moment de début d’une importante crise économique dont on ressent les répercussions encore aujourd’hui. Malgré la baisse de régime, nous assistons, entre 2008 et 2011, à une augmentation des sommes consacrées à la formation. En 2011, elles dépassent de près de 200 millions de dollars les sommes qui y étaient consacrées avant la crise de 2008. Le pourcentage de la masse salariale a décru, mais il reste bien au-delà du minimum requis de 1%. 
 
Indicateur de l'effort de formation des entreprises assujetties à la loi du 1 %, 2004 à 201
En somme, il faut conclure à la structuration du domaine de la formation dans de nombreuses entreprises plutôt qu’à l’échec de la loi. Bien sûr, il existe toujours des inégalités (ex. : entre la taille des entreprises), mais toutes les sociétés développées ont le même problème qu’elles aient ou non adopté une loi.
 
En parallèle, l’État québécois a profondément modifié ses manières de faire en formation professionnelle et technique pour soutenir la demande des entreprises : création des services aux entreprises et de la formation sur mesure dans les établissements scolaires, mise en œuvre d’une politique d’action sectorielle et création des comités sectoriels de main-d’œuvre ont participé à un renouveau des modes de formation professionnelle et à un rapprochement avec les entreprises. Ce faisant, le Québec s’est engagé dans la voie du rehaussement des compétences de sa population active, et ce, de concert avec les entreprises. Avec les importantes pressions concurrentielles qui caractérisent l’actuel contexte économique mondial, cette stratégie s’avère judicieuse puisque, selon l’OCDE, l’investissement dans la formation de la main-d’œuvre a des répercussions positives sur la productivité et l’innovation des firmes en plus de favoriser la croissance de l’ensemble de l’économie. 
 
Cet échec de la loi, s’il y a bien échec, car celui-ci n’est pas démontré, est bien celui du patronat lui-même. En effet, la loi du 1 % conférait à la demande du patronat lui-même l’entière responsabilité de son ingénierie de formation, alors que le gouvernement aurait pu en faire un domaine d’action conjointe, employeur-salarié. Il est donc redevable de ses actions. Il n’a qu’à ce mordre les doigts s’il accepte de financer des formations qualifiées de «bidons». 
 

Que penser de l’alternative?

Tout se passe comme, si en échange de l’abrogation de la loi du 1 %, les entreprises acceptent d’accueillir plus de stagiaires. Deux situations non exclusives sont récemment proposées : l’accueil d’étudiants de la formation technique et des universités et l’accueil des personnes sans emploi bénéficiaires de l’aide sociale. Dans les deux cas, les propositions auraient comme conséquence de déplacer des ressources éducatives de la formation des salariés actuels à la formation de la main-d’œuvre de demain. 
 
Dans la première situation, il faut savoir ce que cela signifie. Veut-on augmenter le nombre de stagiaires ou désire-t-on transformer le modèle de formation professionnelle (au sens large) en s’inspirant du dual system allemand? Il semble que l’on vise la seconde option. C’est ce qu’il faut penser quand le ministre Blais indique « qu’il faut favoriser les stages en entreprise très tôt dans une formation scolaire ». (Soleil, 8 janvier 2015)
 
Si tel est le cas, il faut s’assurer que les capacités d’accueil des entreprises permettent de certifier la qualité de la formation qui y sera donnée. Selon le MELS (2014), en 2011-2012, la formation technique accueillait 90 012 élèves et les universités 221 262 étudiants. En formation technique, de nombreux programmes prévoient des stages (ex. dans les techniques en santé) ou sont dispensés sous la forme de l’alternance (3 410 étudiants étaient engagés dans de tels programmes, en 2011-2012, et 2 780, en 2012-2013). Ces chiffres laissent à penser que même si tous les programmes n’incorporent pas de stages parce que leur pertinence pédagogique n’est pas démontrée, les entreprises devraient pouvoir accueillir un nombre important de stagiaires. Cela ne peut pas souffrir d’improvisation. Il faut que les entreprises nous disent comment elles comptent accueillir cette masse de stagiaires et quelles mesures elles vont mettre sur pied pour assurer la formation de leurs propres salariés.
 
Il convient de rappeler qu’en Allemagne, mais aussi dans les autres pays qui ont adopté un système de formation professionnelle fondé sur une alternance entre entreprise et institutions scolaires, ce modèle éducatif repose sur des ententes entre le patronat, les syndicats et l’État qui encadrent les dispositions du système. L’accueil des stagiaires suppose aussi une organisation du travail dans les milieux de travail pour leur faire une place. Encore une fois, il n’y a pas de place pour l’improvisation.   
 
On a aussi mis de l’avant une autre option : l’accueil de personnes sans emploi dans des stages en milieu de travail, dans un objectif d’insertion professionnelle. Sachant que le Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre (2014-2015) permet déjà aux entreprises connaissant des difficultés de recrutement de personnel qualifié de former en milieu de travail des personnes embauchées dans le cadre d’un stage structuré, cette autre option soulèvent plusieurs questions. Le ministre souhaite-t-il bonifier cette mesure afin que plus d’entreprises puissent en profiter? Quelles populations d’adultes seraient visées par la mesure? Quelles seraient les conditions d’accueil et de suivi de ces personnes? Le soutien offert aux personnes sans emploi depuis longtemps ou qui vivent des problématiques sociales de diverses natures serait-il approprié? Comment faire pour les travailleurs âgés (50 ans et plus), qui éprouvent déjà des difficultés à se trouver un nouvel emploi, ne fassent pas l’objet de discrimination de la part des employeurs? Si cette option comporte des avantages pour l’État, comme la réduction de la facture de l’aide sociale, il ne faut pas faire les choses à moitié et s’assurer d’établir les meilleures conditions de suivi pour les stagiaires. 
 
En conclusion, il faut aussi demander aux tenants de l’abrogation de la loi comment ils envisagent la formation de leurs salariés et comment ils pensent la croissance de leur effort, ne serait-ce pour rejoindre la moyenne canadienne. Comment pensent-ils se classer parmi les entreprises de classe mondiale en matière de formation, de compétitivité et d’innovation? Ils doivent aussi expliquer comment le volontariat sera plus efficace qu’une obligation associée à un allègement fiscal. 
 
On peut finalement se demander si le moment est approprié pour introduire de tels changements dans l’action publique en matière d’éducation et de formation alors même qu’une politique d’éducation des adultes est en voie d’élaboration. Ne peut-on pas attendre que cette politique soit rendue publique et qu’elle fasse l’objet d’une consultation publique?  Nous refaisons ce que Michèle Jean, présidente de la commission d’études sur l’éducation des adultes, avait été obligée de faire au début des années 1980 : prendre sa plume pour dénoncer des changements effectifs de politiques avant même que le rapport de la Commission ne soit terminé.