Dans les ateliers NCF, comme dans toute autre démarche (formelle ou non), la reconnaissance commande d’établir des liens, qu’il s’agisse de contextes, d’expériences, d’acquis, de compétences, d’objectifs à atteindre, etc.
À titre d’exemple, le Programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) permet d’établir des liens entre les acquis d’une personne, les compétences qu’elle a développées au cours de ses expériences de travail et les prescriptions d’un référentiel* contenant des compétences et des connaissances, dont la maîtrise est nécessaire à l’exercice d’un métier. La reconnaissance dépend alors de la capacité d’une personne à lier ses propres compétences aux prescriptions d’une norme professionnelle et ainsi démontrer sa maîtrise de l’exercice d’un métier. Ce lien est formel, il peut être évalué et sanctionné.
Quant à eux, les ateliers NCF ne se fondent sur aucune prescription formelle – même si ce Manuel d’animation propose un référentiel de 22 compétences génériques 14. Cependant, la reconnaissance dont il est question dans ces ateliers n’échappe pas à la nécessité d’établir des liens, d’identifier des compétences que des personnes différentes peuvent avoir développées dans différents contextes afin d’atteindre des résultats semblables.
Dans Nos compétences fortes, la reconnaissance prend forme autour du lien qu’une personne parvient à établir entre ses réussites passées et ses projets d’avenir. vous l’aurez deviné, le lien qui existe entre ces deux éléments fondamentaux, sont les compétences génériques 15 qu’une personne a développées au cours de ses expériences de vie. Ces compétences ont la particularité d’être transférables d’une situation à une autre. Il est ainsi tout à fait possible de croire qu’une personne ayant démontré son esprit d’initiative ou son sens de l’organisation dans un contexte donné puisse faire de même dans d’autres contextes.
Afin de bien comprendre comment il est possible de miser sur les compétences génériques pour favoriser le développement du savoir-reconnaître d’une personne, il importe de bien cerner les notions de compétence et de compétence générique. Quelques questions simples nous aideront à y parvenir :
- 7.1 Qu’est-ce qu’une compétence?
- 7.2 Qu’est-ce qu’une compétence générique?
- 7.3 Pourquoi les compétences génériques sont-elles transférables ?
7.1 Qu’est-ce qu’une compétence?
La rubrique « éducation » du Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française (OLF) définit la compétence comme suit :
« Un savoir-agir résultant de la mobilisation et de l'utilisation efficaces d'un ensemble de ressources internes ou externes dans des situations authentiques d'apprentissage ou dans un contexte professionnel. »
http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_fiche=8358630
Toujours selon le Grand dictionnaire terminologique :
« La compétence est complexe en ce sens qu'elle est plus qu'une somme de composantes ; elle doit donc être évaluée globalement. Elle est aussi évolutive, car elle se développe avec le temps, à l'intérieur comme à l'extérieur du cadre scolaire.
(...)
« En formation générale des adultes, la compétence fait référence à un ensemble intégré de connaissances, d'habiletés, de perceptions et d'attitudes permettant de faire face à une famille de situations de vie. »
Une compétence est donc un savoir-agir* qui engage tout individu à mobiliser les différentes ressources dont il dispose. Guy Le Boterf, auteur de nombreux ouvrages sur la question des compétences, de leur développement et de leur gestion, affirme, à ce titre, qu’une personne agit avec compétence dans la mesure où elle sélectionne, combine et mobilise ses ressources (connaissances, savoir-faire, aptitudes, capacités, etc.) et celles de son environnement (machines, outils, documents, banques de données, collègues, réseaux d’experts, etc.) afin de réaliser une action ou une tâche 16.
Par ailleurs, il insiste sur le fait que la compétence est plus qu’une somme de ressources : « [il] ne suffit pas de posséder des “ressources”, encore faut-il savoir les utiliser à bon escient dans des contextes particuliers 17 ». Agir avec compétence, ce n’est donc pas répéter ce qui a bien fonctionné dans le passé, mais réagir à une situation en utilisant les ressources dont on dispose, adapter nos réactions selon les contraintes liées à un contexte et les objectifs qu’il faut atteindre. Dans cette perspective, la compétence devient un processus par lequel cette personne élabore des stratégies d’action et les adapte à différents contextes ; un processus qui lui permet d’utiliser toutes les ressources nécessaires (les siennes et celles de son environnement) afin d’atteindre un objectif.
Au cours des dernières années, de nombreux chercheurs ont enrichi de leurs réflexions la compréhension que nous avons de la notion de compétence. Il est principalement fait mention ici de Guy Le Boterf. Mais il n’est pas le seul à avoir réfléchi à cette notion, comme le montre l’encadré 1, présenté ci--contre. Cet encadré présente cinq grandes caractéristiques de la compétence qui font consensus auprès d’un groupe de chercheurs.
7.2 Qu’est-ce qu’une compétence générique?
Au Québec, la notion de « compétence générique » a notamment été définie dans le cadre de projets-pilotes, réalisés par la Commission de formation professionnelle de la main-d’œuvre (CFP) de la région de Québec, auprès de femmes chefs de famille monoparentale ainsi que de travailleurs des mines de la région de l’Amiante victimes d’un licenciement collectif.
La définition de la CFP
Dans un document rendu public en juin 1987 20, les compétences génériques sont définies comme suit :
« Ce sont des compétences qui ne sont pas spécifiques à un emploi. Elles s’énoncent en termes de savoir-être [*], d'aptitudes, de comportements et de capacités. Ces compétences ne sont pas superficielles mais plutôt intégrées à l'individu. Ces habiletés peuvent se référer à différents domaines ou emplois, donc être transférables 21. »
Le même document précise que : « [l]’acquisition de ces compétences professionnelles géné- riques s’effectue par des activités de formation officialisées mais aussi par la pratique d’une activité professionnelle, par les loisirs, par l’action communautaire, par le travail au foyer, etc. 22 ».
Cette définition et les précisions qui l’accompagnent soulèvent trois aspects fondamentaux des compétences génériques :
- elles sont liées à la personnalité d’une personne, plutôt qu’à un contexte ou une situation spécifique ;
- elles se développent dans l’action, à l’occasion de toutes les expériences que peut vivre une personne, qu’il s’agisse ou non d’activités rémunérées ;
- elles sont transférables dans la mesure où il est possible de les mobiliser dans différentes situations et dans divers milieux afin d’atteindre des objectifs similaires.
La définition du ministère et des groupes sociaux
En janvier 1988, le ministère de la Main-d’œuvre et de la Sécurité du revenu (MMSR) rend publique une nouvelle définition des compétences génériques. Le Rapport du comité des répon- dants sur la reconnaissance des compétences professionnelles définit en effet les compétences génériques comme étant :
« Un ensemble de qualités personnelles qui s’énoncent en termes de savoir-être, d’aptitudes et de comportements. Elles tiennent davantage à la personnalité et ne sont pas nécessairement liées à la pratique d’une fonction. Elles peuvent donc valoir dans des fonctions diverses, c’est-à-dire qu’elles sont transférables. Ex. : leadership, initiative 23. »
Les auteures de la publication de 1989 intitulée : Question de compétences : un outil au service des femmes, produite par Coffre, Relais-femmes et l’ICÉA, reprennent la définition du ministère en la simplifiant, afin de favoriser une compréhension plus large de la notion de compétence générique auprès de leur clientèle-cible (des femmes désireuses de s’intégrer au marché du travail) :
« Les compétences génériques sont des capacités qui font partie de la personnalité d’une [personne] et qui sont utiles dans tous les milieux de vie. Ce sont des compétences qu’on peut développer dans un milieu de vie ou de travail et transférer ou utiliser dans un autre milieu de vie ou de travail 24. »
La notion de compétence générique dans Nos compétences fortes
En raison des efforts déployés au cours des dernières décennies pour définir les compétences génériques, cette nouvelle édition de Nos compétences fortes ne propose pas de nouvelle définition de cette notion. Elle offre plutôt une synthèse des différentes réflexions s’y rapportant (voir l’encadré 2 ci-contre).
Nous savons, par exemple, qu’il existe plusieurs compétences génériques et qu’elles ne sont pas spécifiques à un emploi, une tâche ou une activité. Ces compétences sont plutôt intégrées à une personne et elles tiennent davantage de sa personnalité que de la pratique d’une fonction.
Nous savons également que les compétences génériques se développent dans l’action, au gré des expériences et des apprentissages réalisés au travail, à la maison ou dans sa communauté. Une personne peut donc développer plusieurs compétences génériques au cours de sa vie et même accroître sa maîtrise des compétences génériques qu’elle a déjà développées.
Nous savons finalement que les compétences génériques peuvent être utiles dans la plupart des milieux de vie où une personne évolue et que, par conséquent, elles sont plus facilement transférables d’un milieu à un autre que les compétences spécifiques.
7.3 Pourquoi les compétences génériques sont-elles transférables?
Une réponse simple à cette question pourrait être : « Une compétence générique est transférable dans la mesure où, même si elle a été acquise dans un contexte donné, une personne est capable de la mobiliser dans un nouveau contexte. »
Une personne qui a développé son leadership dans un regroupement communautaire, par exemple, pourrait très bien utiliser cette compétence afin de guider, d’influencer et d’inspirer des collègues de travail ou des membres de sa famille. C’est tout à fait possible. Nous savons qu’elle peut le faire, notamment parce que cette compétence est davantage liée à sa personnalité qu’à la pratique d’une fonction spécifique ou à un contexte d’action particulier.
Cependant, rien dans cette illustration ne nous renseigne sur les aspects fondamentaux de la transférabilité* des compétences génériques. En effet, qu’en est-il des conditions qui permettent de mobiliser de façon effective une ou plusieurs compétences dans différents contextes d’action ?
- Est-ce que toutes les compétences génériques sont également transférables quel que soit le contexte d’action où l’on se trouve ?
- Est-ce que deux personnes qui mobilisent une même compétence générique dans un même contexte d’action parviendront au même résultat ?
- En supposant que je sois doté d’un grand sens de l’organisation, est-ce que je pourrai mobiliser cette compétence avec la même facilité dans différents contextes d’action ?
- Est-ce que je parviendrai à mobiliser ce sens de l’organisation avec la même effectivité dans deux contextes d’action semblables ?
Pour répondre à ces nouvelles questions, il faut en apprendre plus sur le processus de transfert qui favorise la « mobilisation effective » d’une compétence; il faut identifier les différents facteurs susceptibles d’influencer l’issue de ce processus.
Des conditions essentielles à la transférabilité
Un document rendu public, en mars 2007, par le Bureau international du travail (BIT) 26, traite de la question de la transférabilité des compétences. Sans pour autant soutenir que cette réflexion s’applique sans réserve aux compétences génériques 27, nous croyons qu’elle apporte un éclairage intéressant sur les conditions qui président de manière générale à leur transférabilité.
Le BIT souligne que, pour pouvoir transférer une compétence d’un milieu à un autre, deux conditions essentielles doivent être réunies :
- d’une part, cette compétence doit être exportable, c’est-à-dire qu’elle doit être utile, sinon nécessaire, à la réalisation d’une ou de plusieurs tâches effectuées dans différents contextes ou situations de vie ;
- d’autre part, cette compétence doit être visible et reconnue, c’est-à-dire que son utilité mène à des résultats observables et que ces résultats permettent aux personnes qui les observent d’accorder une valeur à la maîtrise de cette compétence.
En ce qui concerne les compétences génériques du référentiel NCF, il est possible d’affirmer qu’elles sont facilement exportables. En effet, ces compétences ont été sélectionnées pour leur utilité dans de nombreux domaines d’application, mais aussi parce qu’elles sont utilisées chaque jour par des personnes de tout âge et de toutes conditions.
Il est également possible d’affirmer que les compétences génériques du référentiel NCF sont visibles et reconnues. En effet, ces compétences sont présentes dans toutes les dimensions de notre quotidien, que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère publique. C’est en raison de cette caractéristique que les compétences génériques appellent à travailler tout à la fois avec le corps, les choses, les personnes et les idées. Cette caractéristique fait aussi en sorte que de nombreuses personnes accordent une valeur à la maîtrise de l’une ou l’autre des compétences génériques identifiées par le référentiel NCF.
Un degré de transférabilité variable
Dans sa réflexion sur la transférabilité* des compétences, le Bureau international du travail (BIT) souligne d’autre part que le degré de transférabilité d’une compétence peut varier d’un milieu à un autre. Ce degré serait soumis à l’influence de nombreux facteurs : institutions, technologies, méthodes de normalisation, milieux de travail, secteurs d’industrie, etc. voilà autant d’éléments qui façonnent le contexte où s’opère le transfert d’une compétence.
Dans le cadre des ateliers NCF, trois facteurs sont susceptibles d’influencer l’issue du transfert d’une compétence générique :
- les expériences de la personne qui s’apprête à mobiliser une compétence ;
- la compétence que cette personne souhaite mobiliser (particulièrement en ce qui concerne sa maîtrise ou son caractère approprié à la situation et l’objectif visé) ;
- le contexte où s’opère la mobilisation de cette compétence.
L’influence et les interactions qui caractérisent ces facteurs seront explorées plus à fond dans le chapitre 9 : « Transférer effectivement des compétences génériques » (voir l’encadré 4, à la page 33).
Remarque : Inspiré du chapitre 7, de la première partie du Manuel des animatrices et des animateurs (1995) : « Créer un lien par les compétences génériques ». Cependant, ce chapitre comporte de nombreuses nouveautés, notamment en ce qui concerne la transférabilité des compétences génériques.
14. Le référentiel NCF est un outil parmi tant d’autre. Il identifie 22 compétences génériques reconnues sans pour autant limiter à ce nombre les compétences génériques qu’il est possible d’identifier.
15. L’outil Nos compétences fortes est, rappelons-le, une adaptation de Question de compétences, un outil au service des femmes (voir La petite histoire de Nos compétences fortes, troisième partie). C’est dans le même esprit que la notion de compétence générique est utilisée ici.
16. Le Boterf, Guy (2010b). Repenser la compétence. Pour dépasser les idées reçues : 15 propositions. 2e édition, Édition d’Organisation, Partis. L’auteur utilise le terme « combinatoire » afin de présenter l’action de combiner efficacement des ressources personnelles et des ressources de l’environnement.
17. Op.cit.,p.16.
18. Boumane, A., A. Talbi, D. Bouami et C. Tahon (2006). Modélisation, optimisation et simulation des systèmes : défis et opportunités, Contribution à la modélisation de la compétence, présentation faite lors de la 6e Conférence francophone de modélisation et simulation, tenue à Rabat, Maroc, du 3 au 5 avril 2006. MOSIM’06, [En ligne], [http://talbi.voila.net/ Recherches/MOSIM_06_boumane.pdf] (Consulté le 8 juin 2010).
19. Op. cit., (voir le point 2 du document, pages 1 et 2).
20. Commission de formation professionnelle de la main-d’œuvre, région de Québec (1987). Reconnaissance des compétences professionnelles génériques, Bilan du projet-pilote avec le groupe des femmes chefs de famille monoparentale et bénéficiaires d’aide sociale, par Michelle Drolet.
21. Op.cit.,p.2.
22. Ibid.
23. Rapport du comité des répondants sur la reconnaissance des compétences professionnelles, MMSR-CFP, 26 janvier 1988, cité dans « COFFRE, Relais-femmes, ICÉA (1989). Question de compétences : un outil au service des femmes, Montréal, p. 10 ».
24. COFFRE, Relais-femmes, ICÉA (1989). Question de compétences : un outil au service des femmes, Montréal, p. 10.
25. Les éléments que présente cet encadré sont intégralement repris de la première édition de Nos compétences fortes (1995).
26. BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL (2007). Troisième question à l’ordre du jour : la transférabilité des compétences, document soumis pour discussion et orientation au conseil d’administration, 298e Session, Genève, mars 2007, p. 1.
27. La réflexion du BIT ne fait pas référence à la notion de compétence générique telle que nous le présentons. Le BIT présente plutôt la compétence comme étant un ensemble d’aptitudes constitutives, par exemple : aptitudes relationnelles, communication, comportement individuel et éthique personnelle, capacité à apprendre, capacité cognitive et aptitudes à résoudre les problèmes. On note une grande parenté conceptuelle entre les principaux éléments de cet ensemble et la notion de compétence générique utilisée dans NCF.