Le 7 février dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a fait réagir en annonçant le devancement de la fin du programme de bourses Perspective Québec. En effet, la fin du programme qui était initialement prévue pour la session d’automne 2025 a été devancée à la session d’hiver (Cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, 2025). Cette coupure s'additionne à plusieurs autres qui ont touché le secteur de l’éducation dans les derniers mois.
À l’origine, les bourses Perspective Québec ont été créées dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre, afin d’inciter davantage d’étudiant·es à s’inscrire dans des programmes d’études de secteurs clés, identifiés par le gouvernement. À moyen terme, cette mesure prévoyait d’augmenter le nombre de travailleur·euses qualifié·es dans certains secteurs souffrant d'une pénurie de personnel et dans d’autres, jugés stratégiques pour le développement économique provincial.
Depuis sa création en 2021, ce sont 257 976 bourses qui ont été accordées dans le cadre du programme, soit 538.2 millions de dollars (Cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, 2025). Il s’agit d’une aide substantielle pour les étudiant·es comme le montant des bourses allait de 1 500$ à 2 500$ par session, selon le palier d’études, et pouvait s’additionner aux prêts et bourses du Programme d’aide financière aux études.
Pourquoi en devancer la fin?
La ministre Déry explique que les résultats escomptés ont été inégaux selon les secteurs d‘études (Cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, 2025). En effet, la Fédération des cégeps affirme que les inscriptions aux formations admissibles aux bourses Perspective Québec variaient considérablement selon les programmes (Fédération des cégeps, 2025). La fédération soutient, toutefois, que les inscriptions ont augmenté de 5% de façon globale, allant même jusqu’à 20% dans certains secteurs (Fédération des cégeps, 2025).
Au regard de ces résultats qu’il juge insatisfaisants et « par souci de saine gestion des finances publiques », le gouvernement devance la fin du programme de bourses (Cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, 2025). Dans les faits, ce devancement représente une économie de 100 millions de dollars sur 5 ans (Fédération des cégeps, 2025). La ministre Déry affirme que le gouvernement souhaite dorénavant valoriser les professions en pénurie de personnel, en améliorant les conditions de travail et le salaire dans les réseaux publics, à l’exemple de ce qui a été fait en éducation et en santé (Cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, 2025).
Des questions justifiées
Depuis la création des bourses Perspective Québec, l’ICÉA a soulevé plusieurs questions à leur sujet. L’institut se questionnait notamment sur les effets de l’utilisation des bourses pour inciter les apprenant·es à orienter leur choix d’études vers un programme plutôt qu’un autre (ICÉA, 2022a).
L'ICÉA avait également formulé des questions en lien avec l’accessibilité des bourses Perspective Québec et le manque de flexibilité des conditions pour y être admissible (ICÉA, 2022a). Entre autres, le statut d’études à temps plein constituait une source d’interrogation comme il limite l’accès aux bourses à une partie de la population étudiante, dont les parents aux études qui choisissent de compléter un parcours à temps partiel pour concilier études, famille et parfois même, travail (ICÉA, 2022a).
Enfin, l’ICÉA se questionnait sur la possibilité qu’un déséquilibre survienne si les inscriptions dans les programmes d’études admissibles augmentaient au détriment de programmes non -admissibles qui sont également bénéfiques au Québec (ICÉA, 2022b).
Des réactions
De leur côté, la Fédération étudiante collégiale du Québec et l’Union étudiante du Québec dénoncent cette coupure qui annulera le versement de 125 000 bourses aux étudiant·es (UEQ, 2025). L’UEQ souligne que les bourses Perspective Québec constituaient la seule compensation financière possible pour beaucoup d’étudiant·es stagiaires puisque les stages, dans le secteur public au Québec, ne sont pas rémunérés (UEQ, 2025).
Quant à elle, la présidente-directrice générale de la Fédération des cégeps, Marie Montpetit, souhaite que le gouvernement maintienne son soutien, notamment financier pour la formation de la main-d’œuvre qualifiée qui bénéficie au Québec (Montpetit, 2025, citée dans Fédération des cégeps, 2025). Elle craint que cette coupure n’aggrave la précarité financière des étudiant·es et nuise aux secteurs qui souffrent déjà d'un manque de personnel qualifié (Montpetit, 2025, citée dans Fédération des cégeps, 2025).
Et maintenant?
Si les résultats du programme de bourses Perspective Québec n'ont pas atteint l’ampleur initialement souhaitée, il s’agit d’une aide financière majeure qui a contribué à créer des conditions financières favorables aux études pour des milliers d’apprenant·es admissibles.
Pour l'instant, le gouvernement s'engage à continuer de verser les bourses aux étudiant·es qui étaient éligibles à leur admission et ce jusqu’à la fin de leur parcours d’études. Par la suite, aucune autre mesure n'a été annoncée pour remplacer ces bourses. Le seul élément de continuité constitue la réintégration de programmes d’études en santé, en éducation, en éducation à l’enfance et en services sociaux au Programme de bourses de soutien à la persévérance et à la réussite des stagiaires (Cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, 2025).
En outre, la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs est toujours d’actualité. Selon les chiffres de l’Institut du Québec pour le troisième trimestre de 2024, le secteur de la santé et de l’assistance sociale (incluant les services de garde) continue d'être le plus touché par les difficultés de recrutement (Institut du Québec, 2024). Le taux de postes vacants dans ce secteur aurait néanmoins connu une légère diminution de 0.3% par rapport au trimestre précédent (Institut du Québec, 2024).
Miser sur l’amélioration des conditions de travail et sur l’augmentation du salaire dans ces secteurs sera-t-il suffisant pour régler les problèmes de recrutement? Ne serait-il pas stratégique de maintenir et d’améliorer le programme de bourses Perspective Québec de façon simultanée? La consultation d’acteurs et d’actrices du milieu (établissements d’enseignement, associations étudiantes, syndicats, etc.), ne permettrait-elle pas d’augmenter les retombées d'un tel programme?
Pallier le manque de main d’œuvre qualifiée est un processus à moyen et long-terme qui passe, notamment par la formation d'où l'importance d’en faire la valorisation et d'améliorer les conditions d’études. Dans son discours, Marie Montpetit de la Fédération des cégeps résume bien l’ambivalence actuelle : « Le 1er mars approche et des milliers de jeunes s’apprêtent à choisir leur programme d’études. Il faut envoyer un signal fort indiquant que l’enseignement supérieur est une priorité et non une option » (Montpetit, 2025, citée dans Fédération des cégeps, 2025).
Références :
Cabinet de la ministre de l'Enseignement supérieur (2025). Québec devance la fin du programme de bourses Perspective Québec. Gouvernement du Québec. https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/quebec-devance-la-fin-du-programme-de-bourses-perspective-quebec-60841
Fédération des cégeps. (2025). Archives des Communiqués - Fédération des cégeps. Fédération des Cégeps. https://fedecegeps.ca/categorie/communiques/
ICÉA. (2022a). Regard sur le nouveau programme de bourses Perspective Québec. ICÉA. https://icea.qc.ca/fr/actualites/regard-sur-le-nouveau-programme-de-bourses-perspective-qu%C3%A9bec
ICÉA. (2022b). Opération main-d’œuvre : repenser la formation pour l’emploi, la reconnaissance des acquis et l’immigration. ICEA. https://icea.qc.ca/fr/actualites/op%C3%A9ration-main-d%E2%80%99%C5%93uvre-repenser-la-formation-pour-l%E2%80%99emploi-la-reconnaissance-des-acquis
Institut du Québec. (2024). REGARD SUR LES POSTES VACANTS : Le relâchement du marché du travail s'accentue. Institut du Québec. https://institutduquebec.ca/content/publications/regard-sur-les-postes-vacants-le-relachement-du-marche-du-travail-se-poursuit/postes-vacants-t3_2024.pdf
Union étudiante du Québec (UEQ) (2025). « La ministre de l’Enseignement supérieur met aux ordures l’Opération Main-d’œuvre et coupe 125 000 bourses étudiantes », s’insurgent l’UEQ et la FECQ. Cision. https://www.newswire.ca/fr/news-releases/-la-ministre-de-l-enseignement-superieur-met-aux-ordures-l-operation-main-d-oeuvre-et-coupe-125-000-bourses-etudiantes-s-insurgent-l-ueq-et-la-fecq-877865568.html