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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Analyse du Budget 2024-2025 du Québec : Quelles perspectives pour l'éducation des adultes ?

 

Le budget provincial du Québec pour l'année 2024-2025 offre une nouvelle occasion de réfléchir à la manière dont l'éducation des adultes est envisagée et soutenue dans la province. Dans chacun de ses discours d'ouverture, le premier ministre François Legault a déclaré que l’éducation est la priorité du gouvernement, et il a reconnu que « l’éducation, c’est le plus grand levier d’épanouissement personnel et collectif ». Plusieurs politiques, programmes et grands chantiers ont fait l’objet d’annonces pour le secteur des jeunes ou pour la gouvernance du système éducatif. En matière d’éducation des adultes, les enjeux et les défis sont élevés et multiples : adaptation aux changements sociaux, technologiques et environnementaux, alphabétisation, citoyenneté, rehaussement des compétences de la main d’œuvre : autant de priorités qui devraient s’incarner dans des prévisions budgétaires à court et long terme.

Notons d’abord que l’éducation des adultes, au sens large, ne fait pas l’objet d’annonces ou de mesures spécifiquement nommées dans le budget. Les principaux financements que l’on peut facilement rattacher au développement des compétences des adultes sont ceux qui concernent la francisation, l’Opération main-d’œuvre, et les programmes qui visent à faciliter l’accès et la persévérance dans les études supérieures.

L’enveloppe consacrée à la francisation augmente cette année de 9,224 M$, ce qui en fait un programme de 251,313 M$. Le gouvernement prévoit d’augmenter cette enveloppe jusqu’à 320 M$ en 2029. En revanche, le budget du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l'Intégration consacré à la reconnaissance des acquis pour les personnes immigrantes est réduit de 17 millions de dollars. Même coupure au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, où le Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d'œuvre passe de 57,500 M$ en 2023-2024 à 12,200 M$ pour 2024-2025. Ceci s'explique par le fait que la bonification des ententes de transfert sur le développement des compétences de la main-d’œuvre avec le gouvernement fédéral est arrivée à échéance cette année. Pourtant, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, continuer à miser sur la reconnaissance des compétences est une avenue efficace pour intégrer rapidement des travailleuses et des travailleurs sur le marché du travail, et nombre de personnes immigrantes souhaitent exercer leur métier et valoriser leurs talents sans retourner plusieurs mois au cégep ou à l’université. La reconnaissance des compétences, au Québec, est un secteur qui ne répond pas encore aux besoins des individus, et qui pourrait être amélioré sur plusieurs points : élargissement de l’offre de professions qui peuvent faire l’objet d’une reconnaissance des compétences, accès à l’information sur la RAC, accès aux services de formation et aux stages, etc. (IRIPI, 2019).  

Pour répondre au problème de la pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement souhaite plutôt continuer à investir dans les mesures qui favorisent la formation professionnelle pour des métiers spécifiques. Ainsi, l’Opération main-d’œuvre se poursuit pour combler le manque de travailleuses et de travailleurs dans les secteurs de la santé et de la construction. Une nouvelle cohorte en charpenterie-menuiserie va ouvrir cette année, et un nouveau programme en montage de ligne va commencer. Le gouvernement veut également favoriser des modes de formation alternatifs, comme l’alternance travail-études. Ce sont 111 M$ de dépenses qui sont prévues sur deux ans pour l’ensemble de ces formations rapides. Québec annonce également créer un service d’intégration pour que les élèves qui ont des besoins particuliers, ceux issus de l’immigration ou ceux des Premières Nations et des Inuit participent davantage à la formation professionnelle. Une autre nouvelle mesure concerne la création d’un programme de bourse pour la formation professionnelle.
L’Opération main-d’œuvre se déploie également dans les métiers de l’enseignement et des technologies, avec des mesures pour soutenir l’entrée et la persévérance dans les études supérieures, notamment grâce aux bourses Perspective Québec.

En dehors de toutes les annonces ci-dessus, destinées à l’intégration et au maintien sur le marché du travail, le budget 2024-2025 pour l’éducation des adultes dans le secteur formel ne promet que le soutien à l’existant : freiner la dégradation du parc immobilier, soutenir et accompagner le personnel enseignant.

 

« Malheureusement, alors que la pénurie de main-d’œuvre continue de sévir, rien n’est prévu pour donner enfin accès à la formation professionnelle à temps partiel. De même, à la formation générale des adultes, le financement par enveloppe fermée continuera de restreindre les effectifs. »
Centrale des syndicats du Québec

 

Face à un paysage économique en constante évolution, caractérisé par l'émergence de nouvelles technologies, la mondialisation et les changements climatiques, investir dans l’éducation des adultes est crucial pour assurer que la société québécoise soit bien préparée pour l’avenir. Pourtant, aucun plan global n’est annoncé, et l’on semble oublier qu’une grande partie des adultes au Québec ne peut pas vivre de façon pleinement autonome ou obtenir un emploi de qualité à cause de leurs faibles compétences en littératie. Ne serait-ce que pour bâtir un Québec prospère et compétitif, il est urgent d’agir pour développer les compétences de base des adultes, mais cet enjeu n’est pas évoqué. Les crédits pour le Programme d’action communautaire sur le terrain de l’éducation (PACTE) vont augmenter de 2,7 M$. Le PACTE finance notamment les groupes populaires en alphabétisation, mais les règles de distribution de cette enveloppe ne permettent pas de savoir aujourd’hui ce qui reviendra au secteur de l’alphabétisation. Même si toute bonification est bienvenue, les organismes communautaires vivent avec si peu de ressources que cette augmentation ne permettra tout de même pas de créer des nouvelles activités ou de rejoindre davantage d'individus qui ont besoin de ces services. De façon générale, les organismes de l'action communautaire autonome déplorent le manque de ressources financières allouées dans le budget du Québec 2024, considérant qu'elles sont largement insuffisantes pour répondre aux besoins croissants des populations vulnérables et pour garantir le bon fonctionnement de leurs missions essentielles.

 

« "L’écart entre les besoins des organismes d’ACA et le financement gouvernemental accordé pour soutenir leurs missions ne cesse de croître", constate Hugo Valiquette, président du RQ-ACA. Encore pire, faute d’indexation du financement à la mission, un grand pan du mouvement voit son financement décroître chaque année. »
Regroupement québécois de l'action communautaire autonome

 

De plus, le budget du ministère de l’Éducation laisse voir une diminution de 2 M$ du "soutien aux partenaires en éducation". Ces partenaires jouent pourtant un rôle crucial dans la promotion de l'éducation et de la formation tout au long de la vie. Réduire leur financement risque de compromettre leur capacité à offrir des programmes innovants et inclusifs, à faire avancer la recherche dans ce domaine, affectant ainsi la qualité de l'éducation des adultes au Québec.

Les annonces de baisses d'impôts par le premier ministre soulèvent des questions sur la capacité du gouvernement à financer adéquatement les services publics, y compris l'éducation. Si les baisses d'impôts peuvent sembler attrayantes à court terme, il faut reconnaître que des investissements soutenus dans l'éducation sont essentiels pour préparer la société aux défis futurs.
Miser uniquement sur des incitatifs pour des formations courtes dans des métiers en demande actuellement reflète une vision à court terme de l'éducation. Bien que la formation professionnelle soit importante, une approche plus holistique de l'éducation des adultes est nécessaire pour promouvoir le développement durable et l'inclusion sociale.

En conclusion, le budget 2024-2025 du Québec offre des opportunités mais soulève également des préoccupations quant à la manière dont l'éducation des adultes est abordée. Pour véritablement réaliser la vision d'une société plus éduquée et inclusive, il est impératif d'adopter une approche progressiste qui reconnaît la diversité des besoins éducatifs des adultes et qui investit de manière significative dans leur formation et leur développement tout au long de leur vie.

 

Ressources complémentaires :

CDÉACF : Dossier d'actualité - Budget du Québec 2024-2025 : les faits saillants (http://cdeacf.ca/actualite/2024/03/13/dossier-dactualite-budget-quebec-2...)

Centrale des syndicats du Québec (CSQ) : Réaction de la CSQ au budget 2024-2025 « Un budget qui évite le pire… pour l’instant » (https://www.lacsq.org/actualite/un-budget-qui-evite-le-pire-pour-linstant/)

COCDMO : Présentation des faits saillants – Budget provincial 2024-2025 (https://mailchi.mp/cocdmo/budget-provincial-12-mars-2024?e=3ad763b34d)

Collectif des entreprises d’insertion du Québec (CEIQ) : Budget provincial 2024-2025 : Le Collectif des entreprises d’insertion du Québec est fortement inquiet de l’absence de réinvestissement au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (https://collectif.qc.ca/wp-content/uploads/2024/03/Communique-de-presse-...)

Fédération autonome de l’enseignement : Budget 2024-2025 : François Legault obtient (presque) la note de passage (https://www.lafae.qc.ca/actualites/actu-budget-2425)

Fédération des centres de services scolaires et Association des directions générales scolaires du Québec : Budget du Québec 2024-2025 - Maintenir le cap en éducation (https://www.fcssq.quebec/medias/communiques-de-presse/maintenir-le-cap-e...)

Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) : Budget 2024-2025: réaction de la FTQ (https://ftq.qc.ca/budget-2024-2025-reaction-de-la-ftq/)

Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) : Prévision des coûts du système d’éducation préscolaire, primaire et secondaire au Québec pour l’année 2024-2025 (https://iris-recherche.qc.ca/publications/previsions-couts-education-202...)

Réseau québécois de l'action communautaire autonome (RQ-ACA) : Budget du Québec 2024-2025 : le mouvement d’action communautaire autonome négligé (https://rq-aca.org/2024/03/13/budget-du-quebec-2024-2025-le-mouvement-da...)

 

Références

IRIPI (2019), Les angles morts de la gestion de la diversité : A-t-on le bon réflexe? sous la direction de Habib El-Hage, Montréal, Les cahiers de l’IRIPI, 2020, 70 p. (https://iripi.ca/wp-content/uploads/2020/11/Actes-du-colloque.pdf)

Québec. Ministère des finances. (2024) : Budget 2024-2025 : Priorités : Santé | Éducation. Québec. (https://www.finances.gouv.qc.ca/Budget_et_mise_a_jour/budget/index.asp)

Québec. Premier ministre. (2018) : Discours d'ouverture de la première session de la 43e législature. Québec. (https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/discours-douverture-d...)