Des clés pour comprendre la littératie en 2014
Comment parvenir à une meilleure interprétation des résultats du PEICA en matière de littératie?
Voici la version longue de la communication présentée par l'ICÉA à l'occasion de l'Institut d’été 2014 organisé conjointement par The Centre for Literacy, le Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF) et le Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences (RESDAC).
La publication des premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), en octobre 2013, a ramené à l’avant-scène la notion de littératie. Malheureusement, cette notion est encore trop souvent associée à une représentation dichotomique de l’évaluation des compétences des adultes dont l’utilité est de distinguer les personnes qui peuvent lire de celles qui ne le peuvent pas. L’ICÉA rejette cette vision simpliste des choses qui minimise la valeur des résultats du PEICA en matière de littératie.
Nous croyons qu’une réflexion sur l’évolution des principaux éléments qui caractérisent les enquêtes sur la littératie menées depuis 1994 pourrait fournir les clés nécessaires à une meilleure interprétation des résultats du PEICA. En effet, que peut-on apprendre de l’évolution de la notion de littératie et de ses représentations associées depuis 1994? Quelles compétences ont été évaluées par l’OCDE et les pays participants au cours des ans? Quels changements ont été apportés à l’échelle de littératie depuis 2003? Finalement, à quelles attentes les différents niveaux de littératie du PEICA font ils référence?
En répondant à ces questions, nous avons défini quinze clés permettant de mieux comprendre la notion de littératie. Ces clés mènent à une meilleure compréhension des résultats du PEICA, notamment en ce qui concerne les comparaisons possibles entre les enquêtes de 2003 et de 2013. Mieux encore, ces clés permettent d’interpréter les données du PEICA dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie. À ce titre, les trois constats énoncés dans la conclusion de cet article constituent selon nous des bases d’interprétation équilibrées des résultats du PEICA.
Les clés en bref
Clé no 1 – la notion de littératie évolue depuis 1994
Les définitions données depuis 1994 décrivent la réalité de plus en plus complexe des adultes confrontés à l’augmentation constante des exigences de la vie en société, notamment en ce qui concerne l’écrit.
Clé no 2 : cette notion fait référence à un ensemble de compétences en développement
Plus que l’alphabétisation ou le développement de compétences de base, la notion de littératie désigne le développement continu de compétences nous permettant de nous adapter à différentes situations de vie.
Clé no 3 : les domaines de compétences évalués par l’OCDE ont eux aussi évolué
Parallèlement à la notion de littératie, les domaines de compétences évalués lors des enquêtes menées par l’OCDE depuis 1994 ont eux aussi évolué.
Clé no 4 : les mesures de la littératie du PEICA comprennent l’évaluation de textes numériques
Contrairement aux enquêtes passées, le PEICA évalue des textes numériques, tenant ainsi compte des compétences en littératie mises en œuvre par les adultes dans les médias sociaux ou sur le Net.
Clé no 5 : les mesures de la littératie du PEICA se fondent sur quatre formats de texte
Les mesures de la littératie du PEICA reposent maintenant sur la compréhension de quatre formats de texte : continu (textes suivi), non continu (texte schématique), mixte et multiple.
Clé no 6 : il y a maintenant un niveau inférieur au niveau 1 de littératie
La fourchette du niveau 1 de littératie des enquêtes de 2003 et de 1994 (0 à 255 points) a été divisée dans le PEICA : il y a maintenant un niveau inférieur à 1 (0 à 175 points) et le niveau 1 (176 à 255 points).
Clé no 7 : les tâches liées à chaque niveau de littératie ont été redéfinies
Toutes les tâches liées à la mesure de la littératie du PEICA ont été redéfinies, notamment afin de permettre l’évaluation de la capacité des adultes à lire des textes numériques.
Clé no 8 : la « note de passage » du PEICA a été diminuée
La « note de passage » du PEICA, c’est-à-dire le pourcentage de chance de réussite exigé pour se classer à un point donné de l’échelle de littératie, est passée de 80 %, en 2003, à 67 %, en 2013.
Clé no 9 : il faut retraiter les résultats de 2003 pour les comparer à ceux de 2013
Pour obtenir une comparaison valide des résultats des deux enquêtes, il est nécessaire de réestimer et de rééchelonner les résultats de 2003 à la lumière des modifications apportées à l’enquête de 2013.
Clé no 10 : les mesures de 2013 présentent un état des compétences en littératie des adultes
Même si le PEICA fournit des données significativement différentes de celles de 2003, ces données présentent un portrait de l’état des compétences en littératie des adultes qui vaut la peine d’être comparé avec celui de 2003.
Clé no 11 : le PEICA présente des mesures globales du potentiel des adultes
Les résultats du PEICA nous renseignent sur le potentiel des capacités de différentes populations d’adultes et non pas sur les capacités réelles de ces adultes.
Clé no 12 : le potentiel des adultes ne se limite pas au niveau de littératie où ils se classent
Le fait qu’un groupe d’adultes se classent à un niveau donné de l’échelle de littératie ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas réussir des tâches de niveaux supérieurs. La méthodologie du PEICA suggère même qu’ils ont réussi des tâches de niveaux supérieurs.
Clé no 13 : les niveaux 1 et inférieur à 1 de littératie suggèrent de grandes difficultés à lire
Selon les attentes définies par le PEICA, les adultes qui se classent aux niveaux les plus bas de l’échelle de littréatie sont susceptibles d’éprouver de grandes ou de très grandes difficultés à lire ce qui réduit leur autonomie et limite l’expression de leur capacité d’action.
Clé no 14 : le niveau 2 de littératie suggère plus de facilité à lire
Si les adultes qui se classent au niveau 2 de l’échelle de littératie du PEICA sont susceptibles d’utiliser l’écrit avec plus autonomie, cette autonomie demeure limitée en présence d’environnements écrits complexes.
Clé no 15 : les niveaux 3 et plus de littératie suggèrent une grande facilité à lire
Les compétences évaluées par le PEICA aux niveaux les plus élevés de l’échelle de littératie indiquent qu’un adulte est capable d’utiliser l’écrit pour apprendre, comprendre le monde dans lequel il vit et, ultimement, agir et intervenir dans le cours de son existence.
Un portrait de l'évolution des mesures de la littératie obtenues depuis 2003
Le Conseil des ministres de l’éducation (Canada) et Statistique Canada ont rendu disponible un ensemble de données qui présentent l’évolution des mesures de la littératie obtenues entre 2003 et 2013. On y note une baisse généralisée, au Québec et au Canada, des scores moyens de 2013 par rapport à ceux de 2003. Sans pour autant annoncer une détérioration de l’état des compétences en littératie des adultes, ces résultats indiquent que la situation ne s’est pas améliorée depuis 2003.
Comme le montre le tableau 4, le pourcentage d’adultes de 16 à 65 ans se classant aux niveaux 3 ou plus de l’échelle de littératie a diminué entre 2003 et 2013, alors que le pourcentage d’adultes de 16 à 65 ans se classant aux niveaux 2 ou moins de l’échelle de littératie a augmenté.
Des bases d'interprétation équilibrées des résultats du PEICA
Partant de ce portrait comparatif des données obtenues depuis 2003, nous posons trois grands constats appelés à faire figure de bases d’interprétation équilibrées des résultats du PEICA. Ces constats font état du degré de facilité avec laquelle les adultes abordent l’écrit, mais aussi de l’influence que ce degré peut avoir sur la capacité d’action et d’intervention de ces adultes.
PREMIER CONSTAT : une personne sur cinq au Québec est susceptible de se retrouver dans une situation où elle éprouvera de grandes ou de très grandes difficultés à lire et à utiliser l’écrit.
Selon le PEICA, 19 % des adultes québécois de 16 à 65 ans se classent aux niveaux 1 et inférieur à 1 de littératie, comparativement à 16 % en 2003. Ce constat est particulièrement inquiétant pour une société qui fait de plus en plus appel à des environnements écrits complexes. Il souligne la grande ou la très grande faiblesse des compétences en littératie d’un trop grand nombre d’adultes au Québec. Si l’on se rapporte aux attentes définies par le PEICA relativement au traitement de l’information écrite par les adultes qui se classent aux niveaux les plus bas de l’échelle de littératie (voir la clé 13), il est clair que ces personnes éprouvent des difficultés de lecture considérables. (OCDE 2013, 2013a et 2009)
DEUXIÈME CONSTAT : une personne sur trois au Québec est susceptible de se retrouver dans une situation où sa capacité à lire sera relative à la présence de conditions facilitantes ou d’environnements écrits non complexes.
Selon le PEICA, 34,3 % des adultes québécois de 16 à 65 ans se classent au niveau 2 de littératie, comparativement à 32,9 % en 2003. Ce constat souligne que la compréhension de l’écrit d’un tiers de la population du Québec se révèle limitée en présence de certains obstacles. Si l’on se rapporte aux attentes définies par le PEICA relativement au traitement de l’information écrite par les adultes qui se classent au niveau 2 de l’échelle de littératie (voir la clé 14), il est clair que ces personnes sont susceptibles d’éprouver des difficultés en présence d’un environnement écrit complexe. (OCDE 2013, 2013a et 2009)
TROISIÈME CONSTAT : moins d’une personne sur deux au Québec est susceptible de démontrer la maîtrise de compétences en littératie qui feront en sorte qu’elle sera capable de lire pour apprendre, comprendre, agir ou intervenir en toute autonomie.
Selon le PEICA, 46,8 % des adultes québécois de 16 à 65 ans se classent aux niveaux 3 ou plus de littératie, comparativement à 51,1 % en 2003. Ce dernier constat est lui aussi inquiétant : il souligne une diminution de cinq points de pourcentage du nombre d’adultes susceptibles d’aborder l’écrit sans limitation. Une fois encore, si l’on se rapporte aux attentes définies par le PEICA relativement au traitement de l’information écrite par les adultes qui se classent aux niveaux 3 et plus de l’échelle de littératie (voir la clé 15), il apparaît que ces personnes ont en main les compétences nécessaires pour traiter et utiliser l’information écrite en toute autonomie.
Le défi de la littératie demeure entier
À la lumière de ces constats, force est d’admettre que le défi de la littératie demeure entier. Les résultats du PEICA indiquent en effet qu’à peine une personne sur deux au Québec a le potentiel des compétences nécessaires pour lire et utiliser l’écrit sans entrave. Dans une société où les environnements écrits se transforment et se complexifient, c’est trop peu.
Pour l’avenir, nous auront à répondre à de nombreuses questions, notamment au sujet des interventions à mettre en œuvre pour faire en sorte qu’un nombre croissant d’adultes puissent utiliser l’écrit afin d’apprendre, de comprendre le monde dans lequel ils vivent et, ultimement, agir dans leur communauté ou même intervenir dans le cours de leur existence.
BIBLIOGRAPHIE
Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) et Statistique Canada (2013). Compétences au Canada – Premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), ANNEXE D, Toronto, Conseil des ministres de l’Éducation (Canada), 39 p. [En ligne] http://www.peicacda.ca/docs/PIAAC2013/Annex-D_new-tablesFR.pdf (Consulté le 18 mars 2014)
OCDE (2013), Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2013 : Premiers résultats de l’Évaluation des compétences des adultes, Éditions OCDE, 484 p. [En ligne] http://skills.oecd.org/documents/Perspectives_de_OCDE_sur_les_comp%C3%A9... (Consulté le 10 décembre 2013)
OCDE (2013a), The Survey of Adult Skills: Reader’s Companion, OECD Publishing. [En ligne] http://dx.doi.org/10.1787/9789264204027-en (Consulté le 4 février 2014)
OCDE (2009), PIAAC Literacy: A Conceptual Framework, OECD Education Working Paper No. 34. [En ligne] http://search.oecd.org/officialdocuments/displaydocumentpdf/?doclanguage...(2009)13 (Consulté le 4 février 2014)
Institut de la statistique du Québec (2006). Développer nos compétences en littératie : un défi porter d’avenir. Rapport québécois de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA) 2003, ISQ, Québec, 257 p.