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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

De quelle accessibilité financière parle-t-on pour les femmes monoparentales désirant obtenir un premier diplôme?

Vendredi 17 novembre 2023 - Anonyme (non vérifié)

Lettre ouverte d’une agente de terrain

Par Camille Cimon

Depuis plus d’un an, l’ICÉA expérimente un dispositif de soutien du retour aux études et de la persévérance scolaire des femmes cheffes de famille monoparentale sans diplôme d’études secondaires (DES). Concrètement, nous testons une approche pour les accompagner dans leur projet de retour aux études.  
 
La réalité du quotidien des femmes monoparentales moins scolarisées, de même que les défis auxquels elles font face, fragilisent souvent leur projet d’obtenir un premier diplôme.  
 
Comme agente de terrain pour l'ICÉA, je travaille en concertation avec les ressources locales afin d’accompagner ces femmes dans l’identification et la levée des obstacles qui freinent leur retour aux études ou sa poursuite. Mon territoire couvre le Kamouraska, Rivière-du-Loup, Témiscouata et Les Basques (KRTB) au Bas-Saint-Laurent.  
 
De ce que je constate sur le terrain, il existe un écart entre l’offre et l’efficacité réelle des services offerts pour favoriser le retour aux études des femmes que je suis. Ce décalage me semble particulièrement important en ce qui concerne l’accessibilité financière. En effet, le programme québécois d’aide financière aux études (AFE), de même que les mesures de financement liés à Emploi Québec ne sont pas, selon moi, adaptés aux besoins et au parcours des femmes monoparentales sans DES.  
 
Mes observations ont permis d'identifier plusieurs éléments qui devraient être pris en compte à l'égard du financement pour permettre aux femmes ayant le profil de celles que j’accompagne d’entreprendre et de compléter leur projet de retour aux études.

Élargir la définition de la monoparentalité

Commençons d’abord par souligner que nous avons adopté une définition large de la monoparentalité dans le cadre de cette expérimentation. Autrement dit, nous avons voulu prendre en compte la diversité des profils de parents monoparentaux, afin de permettre à davantage de femmes vivant cette réalité de bénéficier du Dispositif.  
 
De notre point de vue, les femmes qui ont la garde partagée ou qui sont en couple peuvent tout de même être dans une situation de monoparentalité. Par exemple, une femme peut être considérée monoparentale, selon notre définition, si l’autre parent occupe un emploi en Fly-in Fly-out, c’est-à-dire qui prévoit un nombre de semaines de travail soutenu dans une région éloignée pour un nombre de semaines en congé à la maison (Brh, 2023).   
 
Dans cette situation, bien que les deux parents s’impliquent auprès de leurs enfants, je constate sur le terrain que les femmes qui demeurent à la maison assument, de façon globale, une plus grande partie de la charge mentale en lien avec la famille.  
 
Dans le même ordre d’idées, notre définition pourrait également s’appliquer aux situations dans lesquelles un parent délaisse ses responsabilités parentales. Pour nous, la personne qui assume seule la charge réelle des enfants est en situation de monoparentalité et ce, même si le couple n’est pas séparé ou même s’il s’agit de parents ayant la garde partagée.  
 
Enfin, il faut noter que les deux exemples présentés ne forment pas une liste exhaustive de toutes les situations qui peuvent intégrer notre définition de la monoparentalité. Sous cet angle, je suis d’avis que les différents programmes gouvernementaux de financement des études auraient avantage à élargir leur définition de la monoparentalité afin d’assurer un accès réel à certaines mesures de soutien qu’ils prévoient. Je vise notamment le statut d’études à temps partiel réputé temps plein du programme d’AFE (Gouvernement du Québec, 2023), réservé à certaines catégories d’étudiant·es et dont plusieurs personnes pourraient bénéficier si la définition de la monoparentalité était actualisée et élargie. 

L'assurance d’une stabilité financière durant les études

En échangeant avec les femmes que j’accompagne, j’ai compris qu'elles prioriseront toujours la sécurité et le bien-être de leurs enfants avant le leur. Pour elles, la famille passera avant les projets personnels, même s’il s’agit d’études puisqu'un travail équivaut à un revenu immédiat, tandis que les études représentent un revenu hypothétique et lointain.  
 
Par conséquent, avant d’entreprendre un retour aux études, les femmes monoparentales sans DES doivent d’abord être en mesure de subvenir financièrement aux besoins de leur famille et elles doivent avoir l’assurance qu’elles pourront continuer de le faire tout en étudiant.  
 
Sans cette assurance, elles préfèreront reporter ou même annuler leur retour aux études et chercher un emploi. En effet, parmi les femmes qui participent à l’expérimentation, rares sont celles qui peuvent se permettre d’entreprendre un tel projet sans s’inquiéter des impacts financiers qu’il engendrera sur leur famille.  
 
Pour offrir cette assurance aux femmes monoparentales sans DES, les programmes de financement gouvernementaux doivent, selon moi, être précis et réalistes dans le calcul des besoins financiers de cette population. Je crois également qu’ils doivent être davantage prévisibles dans leurs versements. En fait, il est impératif que ces femmes aient la certitude que le financement qui leur sera accordé sera immédiat, constant et surtout, suffisant pour répondre aux besoins de leurs enfants.

Besoin de flexibilité dans l’admissibilité au financement

S’il est vrai que tout parent a une charge mentale élevée, celle des parents monoparentaux me semble de loin supérieure à la moyenne puisque ces personnes représentent le principal, voire l’unique filet de sécurité pour leur famille. Dans ce sens, je suis d’avis que les conditions d’admissibilité au financement de leurs études doivent permettre plus de souplesse, notamment pour les femmes monoparentales sans DES.  
 
Ainsi, je crois qu’elles pourraient mieux résister aux différents obstacles qu’elles rencontrent dans leur parcours.  
 
Par exemple, bien que la majorité des femmes accompagnées dans notre expérimentation désirent retourner aux études à temps plein et obtenir rapidement un diplôme, qu’arrive-t-il lorsqu’un enfant tombe malade? Lorsqu’elles perdent une place en garderie ou qu’elles ont un souci avec leur logement? Ces mères ont peu d’options et se voient obligées de modifier leurs plans, de réduire leurs heures d’études. Il arrive même qu’elles doivent interrompre leur projet de retour aux études pour quelques jours, semaines ou mois. Leur financement est alors coupé et cet arrêt qui aurait été temporaire risque de se prolonger puisqu'elles chercheront à répondre aux besoins financiers immédiats de leur famille avant de songer à poursuivre leurs études.   
  
Concrètement, le manque de flexibilité des conditions d’admissibilité aux programmes de financement se reflète de plusieurs façons sur le terrain : 

  • D’une part, il y a des femmes qui retournent aux études et tentent de survivre avec les montants dérisoires qui leur sont accordés par les programmes de financement. Selon mes constats, ces femmes vivent dans l’insécurité : elles ont peur de ne pas pouvoir répondre aux besoins de leurs enfants et de voir leur financement coupé si un évènement imprévu les oblige à réduire leurs heures d’études ou à tout arrêter.  
  • D’autre part, il y a des femmes qui retournent aux études et occupent un emploi de façon simultanée. Ces femmes s’assurent de fournir une plus grande sécurité financière à leur famille, mais je constate qu’elles ont généralement une surcharge mentale due à la conciliation famille-travail-études. Somme toute, cette situation les force souvent à délaisser les études au profit d'un emploi qui répond aux besoins immédiats de leur famille. 

Dans cette logique, je considère que les programmes de financement devraient prévoir davantage de latitude dans l’admissibilité et la continuité du financement pour les femmes monoparentales sans DES du fait que leurs parcours et leurs défis sont loin d’être homogènes.

Davantage de flexibilité pour une plus grande accessibilité

En conclusion, s’il est vrai que l’éducation peut permettre d’accéder à de meilleurs emplois et donc à de meilleures conditions de vie, je m’interroge plutôt sur l’accès réel à cette éducation pour les femmes monoparentales moins scolarisées. En effet, je crois avoir démontré que pour démarrer et poursuivre un retour aux études, cette population doit d’abord s’assurer de répondre aux besoins de leur famille.  
 
Le but de cette lettre n’est pas de faire le procès des programmes gouvernementaux de financement des études, mais plutôt de soulever la pertinence d’une révision de leurs conditions d'accès et de leurs modalités afin que les femmes monoparentales sans DES puissent véritablement en profiter.  

Dans un même ordre d’idées, l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (ORES) a récemment publié un dossier dans lequel sont suggérées plusieurs pistes d’action pour actualiser le programme québécois d’AFE (ORES, 2023). L’ORES propose, entre autres, la prise en compte des réalités hétérogènes des populations étudiantes ce qui me paraît particulièrement intéressant comme suggestion (ORES, 2023).  

De surcroît, je souhaite faire une dernière observation sur laquelle tou·tes les acteur·rices de l’éducation auraient avantage à se pencher : l’accès à l’information pour les personnes moins scolarisées. Cet aspect va toutefois au-delà des programmes de financement et touche à l’ensemble des services offerts à la population tant au public qu’au privé. En vérité, peut-on considérer que des ressources sont disponibles et accessibles pour les femmes avec lesquelles je travaille si celles-ci n’en connaissent pas l’existence? Ou encore si elles n’en comprennent pas l’essentiel?

En effet, l’accès à l’information pour ces femmes et pour l’ensemble des personnes moins scolarisées représente une problématique majeure à laquelle il faudrait s’attarder dans notre quête d’accessibilité à l’éducation.

Références

Brh (2023). Fly in Fly out. En ligne : https://www.b-rh.ca/guichet-emploi/bien-etre-au-travail/fly-in-fly-out/ 

Gouvernement du Québec (2023). Être aux études à temps plein. https://www.quebec.ca/education/aide-financiere-aux-etudes/prets-bourses-temps-plein/conditions-admissibilite/etudes-temps-plein  
Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (2023). Accessibilité financière aux études : quelles conditions pour la réussite étudiante ? https://www.oresquebec.ca/dossiers/accessibilite-financiere-aux-etudes-conditions-pour-la-reussite-etudiante/