Au mois de février, l’ICÉA a lancé une consultation sur les grands chantiers en éducation des adultes. À la suite de cette consultation, qui a été prolongée jusqu’au 6 mai prochain, nous avons décidé de poursuivre la réflexion sur les grands chantiers en organisant une série de quatre webinaires gratuits sur l’éducation des adultes.
Le 19 avril dernier a eu lieu le deuxième webinaire de la série. Celui-ci portait sur l’alphabétisation populaire. Durant ce webinaire, les participantes et les participants ont exprimé leurs préoccupations concernant différents enjeux et défis. On peut mentionner : la reconnaissance des organismes d’alphabétisation populaire, de leur approche et de leur mission, le manque de données statistiques, les problèmes de financement, les enjeux de communication et ceux reliés au numérique, etc.
Reconnaissance du travail des organismes d’alphabétisation populaire
L’enjeu de la reconnaissance du travail des organismes d’alphabétisation populaire, du réseau des groupes œuvrant dans ce secteur et de leur autonomie a été abordé. Plusieurs personnes se désolent qu’on ne reconnaisse pas leur contribution à la lutte contre l’analphabétisme et, plus globalement, à l’éducation des adultes et à l’apprentissage tout au long de la vie. On exhorte le gouvernement et d’autres acteurs à aller au-delà de la simple reconnaissance de l’existence des organismes d’alphabétisation populaire et à ne pas faire appel à eux « pour boucher un trou ou servir de béquille ». Il importe de mettre en place de réels partenariats qui tiennent compte de l’apport des différents acteurs et secteurs.
Il est rappelé que le milieu de l’éducation des adultes est constitué d’une diversité de lieux de formation et d’apprentissage. Les établissements et les organismes ont des missions et des approches diverses qui mettent de l’avant de nombreux modes d’apprentissage. Les adultes en formation ont des profils variés et poursuivent différents objectifs.
Enfin, des questions ont été soulevées concernant les liens entre la formation de base en entreprise et l’alphabétisation. Est-ce que la formation de base en entreprise peut être considérée comme étant de l’alphabétisation ? La question des concepts utilisés a justement été soulevée de même que les changements et les déplacements dans le vocabulaire et dans les discours. Par exemple, on tend à parler davantage de littératie que d’alphabétisation et d’analphabétisme. Il est aussi de plus en plus question des compétences : compétences essentielles, compétences pour réussir, compétences du XXIe siècle, etc. Parler d’analphabétisme fait-il peur ?
La question de la post-alphabétisation a aussi été soulevée. L’enjeu ici n’est pas seulement d’acquérir des compétences, mais de les conserver.
Missions et objectifs de l’alphabétisation populaire
L’approche et la mission des organismes d’alphabétisation populaire ont également été rappelées. Il est important, d’après des participantes au webinaire, de ne pas réduire l’alphabétisation populaire à une stratégie facilitant l’insertion en emploi dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Accéder à un emploi ou obtenir un diplôme n’est pas toujours l’objectif ultime des personnes qui participent aux activités d’alphabétisation populaire. Les gens fréquentent ces organismes pour socialiser, améliorer leur quotidien et leur vie, développer leur pouvoir d’agir, améliorer leur estime personnelle, accroître leur autonomie, etc. Dans ce sens, l’alphabétisation demeure importante même en contexte de plein emploi ou de quasi-plein emploi.
Connaissance des organismes d’alphabétisation populaire, accessibilité et référence
Des actions visant à promouvoir l’alphabétisation populaire et à faire connaître son réseau d’organismes seraient importantes.
Le rapport avec les services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement (SARCA), les centres locaux d’emploi ou encore la ligne Info-Alpha, a également fait l’objet de discussion. Plusieurs personnes qui sont intervenues durant le webinaire ont témoigné que leurs organismes ne reçoivent pas de références de la part de ces services et de ces organisations.
L’idée de centraliser les références, par exemple, dans un guichet unique, est jugée inadéquate puisque déjà les SARCA sont présentés comme étant difficiles d’accès pour les gens peu alphabétisés. Il faudrait plutôt des ressources dans les milieux et près des personnes pour améliorer l’accessibilité.
Des données statistiques nécessaires
La nécessité d’avoir des statistiques sur l’analphabétisme et la littératie a été plusieurs fois mentionnée, d’autant plus que les grandes enquêtes internationales comme le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) sont réalisées tous les 10-12 ans. Au Canada, les dernières données datent de 2011-2012. On souhaite avoir un meilleur portrait de la situation, pouvoir documenter des contextes de perte de compétences, etc. Le prochain cycle de collecte de données du PEICA aura lieu en 2022-2023.
Les problèmes de financement
Il a aussi été question du financement des organismes d’alphabétisation populaire, du financement de base et à la mission, ainsi que du financement par projet. On rappelle qu’il y a une diversité de programmes de financement dans ce dernier cas. Cependant, ils sont généralement limités dans le temps, ils ont des objectifs très précis et des cadres parfois très contraignants. Plus de flexibilité dans les programmes serait souhaitée, plus de flexibilité pour « s’adapter aux humains ».
De plus, l’idée d’avoir des mesures de soutien financier pour les personnes peu alphabétisées qui fréquentent un organisme d'alphabétisation a été abordée.
Les enjeux de communication et ceux reliés au numérique
Les enjeux de communication, notamment vis-à-vis d’adultes peu alphabétisés, ont été au centre de plusieurs interventions. L’utilisation d’un langage simplifié et accessible est fondamentale pour éviter de marginaliser des personnes. La pandémie de COVID-19, qui a généré son lot de communication gouvernementale, est venue rappeler cet enjeu. De plus, les communications par le biais d’outils numériques ne devraient pas remplacer d’autres outils et stratégies de communication. Il est important de conserver une diversité de moyens de communication pour rejoindre le plus de monde possible.
Il a donc été question des impacts et des discriminations systémiques qui peuvent découler de l’utilisation du numérique. L’inclusion numérique ne doit pas se faire au détriment de l’inclusion sociale et éducative. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, l’accès à du matériel informatique et le développement des compétences numériques au sein des organismes d’alphabétisation populaire se sont avérés des défis importants pour maintenir les liens avec certaines populations adultes.
Enfin, l’importance d’« humaniser les services » dans une perspective d’inclusion sociale a été mentionnée.
Des défis stratégiques et un nouveau plan d’action en éducation des adultes
À côté de ces enjeux, il a aussi été question d’actions stratégiques à mettre en place pour favoriser la reconnaissance de l’alphabétisation populaire, et plus généralement, pour parler d’alphabétisation et des nombreuses possibilités et occasions d’apprendre aujourd’hui.
Plutôt que de demander une nouvelle politique en éducation des adultes, qui est nécessairement l’aboutissement d’un long processus, plusieurs participantes ont exprimé le souhait d’avoir un nouveau plan d’action gouvernemental en éducation des adultes afin que des actions soient posées rapidement. Selon plusieurs personnes, il faut des actions et des résultats, d’autant plus que de nombreux documents (études, mémoires et avis) sur les questions d’alphabétisation et de littératie existent déjà, et les constats qui y sont tirés sont toujours pertinents aujourd’hui. C’est le cas de l’avis du Conseil supérieur de l’éducation (CSE), Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes (2013). Cependant, des actions sont plus que jamais nécessaires. Un baromètre de suivi de l'implantation de ces actions pourrait être envisagé.
La mise en place de politiques gouvernementales comme une nouvelle politique en éducation des adultes ne doit pas créer davantage d’exclusion sociale, particulièrement pour les personnes peu alphabétisées.
Toujours dans cette réflexion sur les stratégies, l’absence de vision globale dans la lutte contre l’analphabétisme et le manque de mesures structurantes et cohérentes ont été notés. L’appel, depuis quelques années, à la mise en place d’une stratégie nationale de lutte à l’analphabétisme s’inscrivait dans cette optique. La réactivation du Réseau de lutte à l’analphabétisme, qui regroupait une vingtaine d’organisations, dont l’ICÉA, est également envisagée comme mesure stratégique.
Pour voir ou revoir ce webinaire
Vous n’avez pas pu assister à ce webinaire, vous pouvez l’écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=unIw4GpPjVA
Pour vous inscrire au dernier webinaire de la série :
Pour vous inscrire au webinaire du 2 mai sur le chantier de réflexion sur une politique d’éducation des adultes, cliquez ici :