Les compétences des adultes, au cœur d’une société résiliente
Le contexte de confinement et de crise sanitaire a été pour l'ICÉA une période riche d'observations dont nous tentons aujourd’hui de tirer des leçons.
Cette situation exceptionnelle commandait de souligner les forces sur lesquelles nous pouvions compter et de relever les lacunes qui freinent les efforts à déployer. L'ICÉA a donc publié de nombreuses analyses de la situation de l’éducation des adultes au Québec entre le 15 mars et le 3 juin. Ces analyses nous ont permis d’identifier les impacts de la crise sanitaire et de mieux comprendre leurs effets à l’égard des services éducatifs qui sont habituellement offerts aux adultes du Québec.
Il est rapidement apparu que cette crise allait bouleverser l’ordre établi des choses. En effet, pour satisfaire aux conditions de distanciation physique prônées dans les directives émises par la santé publique, il a notamment été nécessaire de fermer les lieux de formation et de trouver – dans l’urgence – des solutions alternatives pour assurer la continuité des apprentissages.
Aujourd’hui, au terme de cette veille documentaire inédite et sur la base des analyses publiées au cours des dernières semaines, l'ICÉA formule six constats en lien avec les grands changements qui sont survenus en éducation des adultes au Québec.
Ces constats sont révélateurs des enjeux qui marqueront les développements à venir en matière d’éducation des adultes au Québec et ailleurs dans le monde, en particulier, lors de la reprise des activités éducatives à l’automne 2020.
Constat 1 : Le peu d’intérêt accordé à l’éducation des adultes
La crise sanitaire a rappelé le peu d’intérêt qui est accordé à l’éducation des adultes dans notre société.
Les services publics d’éducation des adultes sont demeurés absents de la première vague de décisions prises par le gouvernement. Par ailleurs, certaines conditions favorisant la poursuite des apprentissages chez les enfants et les jeunes n’ont pas été offertes aux adultes. Par exemple, le prêt de matériel numérique aux élèves de la formation générale des adultes (FGA), comme cela a été prévu pour les élèves du primaire et du secondaire.
Qui plus est, le soutien accordé aux adultes en apprentissage hors du secteur formel (communautaire, populaire et autres) est insuffisant et parfois même inexistant. Ces adultes apparaissent souvent laissés à eux-mêmes : une logique d’autoformation prime dans les démarches d’apprentissage proposées.
Parents désormais tuteurs, population s’éduquant à la santé, personne en autoformation en ligne, dans une situation d’apprentissage par les pairs, en milieu familial ou dans un cadre intergénérationnel, travailleuses et travailleurs en formation ou redéployés dans de nouvelles fonctions de travail : voilà autant de profils d’adultes qui sont en apprentissage depuis le début de la pandémie.
Les décisions prises par le gouvernement durant cette crise sanitaire sont à l’image des logiques d’action mises de l’avant ces dernières années : la priorité en éducation des adultes est de combler des urgences (analphabétisme, absence de premier diplôme ou adéquation des compétences de la main-d’œuvre avec les besoins du marché du travail). Peu ou pas d’attention est accordée au développement des compétences numériques des adultes, par exemple, à une saine gestion des finances personnelles en temps de crise (notamment chez les adultes des populations marginalisées du Québec) ou au renforcement des compétences en littératie afin de bien comprendre les messages d’intérêt public diffusés en lien avec la situation sanitaire et les mesures de confinement à observer.
Constat 2 : Une formation à distance organisée dans l’urgence à partir de bases inégales
La fermeture des institutions d’enseignement entraînée par la crise sanitaire a forcé les personnes responsables à trouver des solutions permettant d’assurer la continuité des apprentissages à distance. Les personnes enseignantes, professeures et chargées de cours ont donc utilisé dans l’urgence les connaissances, les compétences et les ressources mises à leur disposition afin de convertir leur enseignement en mode non présentiel. Ces personnes ont agi au meilleur de leurs connaissances et, même si elles avaient accès à un soutien technopédagogique et à des formations, les ressources nécessaires pour créer une véritable formation à distance (FAD) leur faisaient défaut.
Comme le soulignait le Syndicat des chargées et des chargés de cours de l’Université du Québec en Outaouais (SCCC-UQO) durant la crise sanitaire, le temps qui a été consacré à la transformation de l’enseignement en mode non présentiel ne correspond en rien à celui qui est nécessaire pour créer une véritable formation à distance. Les résultats obtenus étaient « plus artisanaux et moins aboutis que s’ils avaient été conçus en mode FAD »1.
Dans les circonstances, cet enseignement organisé dans l’urgence ne devrait pas être qualifié de véritable formation à distance. Qui plus est, les bases qui ont permis d’offrir cet enseignement en mode non présentiel étaient inégales.
Les établissements scolaires du Québec, notamment à l’enseignement supérieur, ne disposaient pas tous de la même expertise leur permettant d’assurer la poursuite de l’enseignement à distance. L’Université Laval, par exemple, offre de la FAD depuis 1984 et se qualifie de bimodale2 dans sa politique de la formation à distance. Par ailleurs, l’ensemble des activités de la TÉLUQ sont offertes à distance depuis sa création en 1972. Ces deux institutions bénéficiaient d’une solide longueur d’avance que bien d’autres n’avaient pas au début de la crise sanitaire.
Les expertises en matière de FAD des personnels enseignants étaient par ailleurs toutes aussi inégales. C’est du moins ce que suggère une déclaration faite au quotidien Le Soleil par un représentant de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN). « Certains professeurs sont des pros de l'informatique, déclarait en mars dernier Yves de Repentigny, mais d'autres partent de zéro. Transférer tous leurs cours en ligne, avec des systèmes de vidéoconférence qu'ils ne maîtrisent pas, est ardu »3.
Finalement, des études montrent que le personnel enseignant de primaire et de secondaire au Québec s’estime « novices quant à leur maîtrise des outils technologiques »4. En ce sens, « un travail d’appropriation de la compétence professionnelle à intégrer les technologies de l’information et de la communication resterait donc à faire »5 selon une étude du Conseil supérieur de l’Éducation. Il serait pertinent d’évaluer si les personnes qui enseignent aux adultes en milieu formel ou informel partagent cette perception de leurs compétences numériques.
Constat 3 : Les limites de la formation à distance et l’importance de l’enseignement en présence
La formation à distance (FAD) et la formation en présence offrent des possibilités communes, mais aussi des possibilités en propre que l’autre ne possède pas. Ce faisant, nous considérons que l’une ne peut se substituer à l’autre, mais qu’il faut plutôt profiter des apports des deux formules.
Ainsi, la FAD est très bien adaptée aux situations où l’enseignement en présence n’est pas possible. Comme le souligne le Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur (CAPRES), la FAD permet aux personnes de surmonter des contraintes liées à l’accès aux lieux d’apprentissage ou à leur éloignement ainsi que des contraintes d’horaire, de rythme d’apprentissage ou d’articulation entre les études et la vie personnelle, familiale et professionnelle6.
Cela dit, la FAD « exige la maîtrise et le développement de certaines habiletés et compétences en littératie numérique des étudiants, qui ne sont toutefois pas tous au même niveau. Une récente recherche de Vincent et coll. (2019) montre que les étudiants possèdent un ‘‘bagage numérique hétérogène’’, c’est-à-dire que leurs compétences numériques ne sont pas égales ou équivalentes.6 »
Comme l’explique Marcelle Parr dans un guide produit pour le Réseau d’enseignement francophone à distance (REFAD), les compétences développées par l’utilisation quotidienne d’outils numériques ne sont pas un gage de performance en situation d’apprentissage : « le traitement de l’information que l’on fait dans la sphère privée diffère de celui qui s’opère en situation d’apprentissage, si bien qu’apprenants comme enseignants réussissent mal à transférer ces compétences technologiques de base en contexte éducatif.8 »
La FAD commande par ailleurs la maîtrise de compétences spécifiques liées à la capacité d’apprendre à apprendre à distance : « Étudier à distance demande de l’autonomie intellectuelle et des compétences méthodologiques acquises. Si ce n’est pas le cas, les [personnes] ont besoin du temps pour ‘‘s’autonomiser’’ et pour acquérir ces compétences méthodologiques, dont certaines sont spécifiques à une discipline, d’autres plus ‘‘transversales’’.9 »
Compte tenu des précisions apportées ici, il est possible de soutenir que la FAD ne convient pas à toutes les personnes apprenantes, notamment à celles qui ont de faibles niveaux de compétences en littératie, qui sont aux prises avec des problèmes d’apprentissage ou qui ont vécu par le passé des situations de décrochage10; ce qui est le cas de nombreuses personnes qui fréquentent la formation générale des adultes, des organismes d’alphabétisation, d’éducation populaire ou des milieux alternatifs de scolarisation.
Aux yeux de ces personnes, l’enseignement à distance diffusé à l’aide d’outils numériques pourrait rappeler un déficit de compétences essentielles à la réussite de leur apprentissage; ce rappel pourrait constituer une raison de décrochage. Les tendances observées en mai concernant la participation à distance des élèves de la formation générale des adultes accréditent cette thèse. De fait, le Journal de Québec rapportait le 29 mai qu’une forte proportion des élèves de la formation générale des adultes ne participait pas à la formation donnée à distance11.
Par ailleurs, contrairement à un mythe bien ancré, la technologie ne suffit pas à améliorer ou à transformer l’apprentissage. Les méthodes d’apprentissage mises de l’avant demeurent une question entière que le numérique ne résoudra pas à lui seul : « Le lieu commun le plus véhiculé par rapport à la technologie concerne la capacité inhérente des techniques numériques à ‘‘favoriser mécaniquement’’ et de facto des formes d’innovation pédagogique, ce que Chaptal appelle ‘‘le pouvoir magique des technologies de transformer l’école’’ »12.
Le FAD exige de surmonter plusieurs défis liés à la conception, la production et la diffusion d’une activité. Elle exige également de surmonter des défis liés à l’encadrement des personnes, leur évaluation et la progression de leurs apprentissages. Finalement, la FAD réclame la mise en place d’une démarche réflexive visant à assurer son amélioration continue13. Il faut autant de temps et d’efforts – sinon plus – pour créer un cours à distance que pour créer un cours en présence. La différence réside dans le choix des stratégies et des moyens, plus fortement technologiques et numériques, qui sont employés pour la FAD.
En conséquence, la FAD ne convient pas aux situations d’apprentissage qui réclament la manipulation ou l’utilisation en présence d’outils et de machines. C’est le cas de la mécanique automobile, de la coiffure, de la dentisterie, de la médecine, etc. Les compétences liées à de nombreux métiers et professions doivent être enseignées en présence, à l’aide d’exercices pratiques supervisés par des pairs expérimentés.
Également, la FAD ne convient pas à la transmission de connaissances et de compétences (relationnelles, sociales, citoyennes, éthiques et autres) qui se transmettent par le contact avec autrui et qui s’acquièrent dans l’action.
Finalement, la FAD ne peut remplacer l’institution d’enseignement comme milieu de vie et comme lieu physique d’apprentissage où il est possible d’établir des liens sociaux directs, d’apprendre au contact des autres et de façon informelle et d’apprendre la vie en société, la vie associative, la solidarité, le soutien émotif, l’implication dans son milieu, etc.
Constat 4 : La transformation des rôles sociaux et l’articulation des différentes sphères de la vie dans un même lieu et un même temps
La crise sanitaire a provoqué une transformation des rôles sociaux joués traditionnellement par les adultes. En plus de devoir apprendre à apprendre à distance, les adultes ont dû faire de nombreux autres apprentissages en accéléré, souvent par eux-mêmes. Qui plus est, cette transformation des rôles sociaux était pour plusieurs accompagnée de l’obligation d’exercer dans un même lieu et un même temps des responsabilités liées à différentes sphères de leur vie.
La transformation des rôles sociaux
Un grand nombre de travailleuses et de travailleurs ont été contraints d’apprendre rapidement de nouvelles pratiques ou fonctions de travail. C’est notamment le cas des personnes qui œuvre dans les domaines de la santé et des services sociaux. Les responsables de l’enseignement des jeunes et des adultes ont pour leur part dû transformer leurs pratiques pour poursuivre la formation à distance. À l’enseignement supérieur, ces personnes ont dû apprendre à enseigner à distance en un temps record souvent avec des ressources et une expertise limitées.
Cette transformation des rôles sociaux a entraîné une demande de connaissances et de compétences nouvelles; une demande accrue qui a été ressentie dans de nombreuses sphères de notre vie : la santé et les normes sanitaires, le numérique, les finances personnelles, la parentalité, l’apprentissage, etc.
Malheureusement, cette demande n’a pas été accompagnée par la mise en œuvre de mesures d’accompagnement et de soutien éducatifs.
L’articulation de différents rôles dans un même lieu et un même temps
Parallèlement à cette demande, le confinement des familles a entraîné une multiplication des rôles qu’une personne pouvait auparavant assumer dans différents lieux et à différents moments. Le confinement a fait en sorte qu’une personne pouvait jouer plusieurs rôles en un même lieu et un même temps : elle pouvait être tout à la fois parent, accompagnatrice scolaire de ses enfants, travailleuse devant apprendre à travailler à distance, étudiante et même proche aidante.
L’articulation de responsabilités propres à chacun de ces rôles commandait la mise en œuvre de mesures d’assouplissement et de soutien, notamment en ce qui concerne les exigences liées au travail à la maison ou à l’apprentissage à distance. Toutes et tous n’ont pas été en mesure de bénéficier des avantages de telles mesures.
Les résultats d’un questionnaire diffusé en ligne entre le 14 et le 23 avril 2020 par la Coalition pour la conciliation famille-travail-études indiquent que le tiers des personnes répondantes14 n’avait pas été en mesure de bénéficier « d'accommodements afin de concilier le travail, la famille, les études et la proche aidance. Sans mesures structurantes offertes par l’employeur, précise Sylvie Lévesque, porte-parole de la Coalition, ces dernières ont dû réorganiser complètement leur structure familiale à l'aide de mesures individuelles15 ».
Selon la Coalition, la fermeture des écoles et des services de garde, l’obligation de travailler de la maison ou d’apprendre à distance, l’absence d’un endroit calme et propre à la concentration ainsi que la difficulté de répondre aux besoins des enfants et la pression à la performance ont généré des impacts majeurs16 dans la nouvelle organisation de la vie en période de confinement.
Bien que plusieurs mesures d’articulation famille-travail soient le fruit de hautes luttes, par exemple, les congés parentaux, le réseau des garderies, il reste encore à développer d’autres moyens pour combler tous les besoins. Nous pensons notamment aux mesures d’articulation des études avec la famille, l’emploi, la vie personnelle ou la proche aidance. En effet, une recherche en cours de l’ICÉA révèle le peu de textes scientifiques francophones et québécois portant sur l’articulation des études avec d’autres sphères de la vie.
Par ailleurs, il serait intéressant de documenter l’utilisation de mesures d’articulation par les populations faisant face à plus d’embûches. Par exemple, en 2009, une étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) montrait que les familles ayant un faible revenu ou une faible diplomation avaient moins tendance à utiliser les places à contribution réduite (PCR, par exemple les places à 7$)17. Un article de l’ISQ traitant de ce sujet conclut comme ceci :
« Plusieurs résultats vont dans le même sens que ceux d’autres études réalisées sur le sujet, par exemple la faible scolarisation des parents liée à une moindre utilisation des PCR. D’autres résultats, toutefois, montrent que les relations ne vont pas toujours dans le sens attendu et varient dans le temps. Cela témoigne sans doute de l’importance de considérer le contexte dans lequel évoluent les familles lorsqu’on s’intéresse à la question18. »
Constat 5 : Des inégalités socioéconomiques exacerbées et des groupes sociaux invisibilisés
La crise sanitaire a révélé et exacerbé les nombreuses inégalités socioéconomiques déjà présentes au sein de la société québécoise. Une des conséquences des inégalités sociales est l’invisibilisation des populations concernées. Ainsi, les Autochtones, les personnes en situation de handicap, les personnes appartenant à une minorité sexuelle ou de genre (LGBTQ2+), les personnes immigrantes ou racisées ont très peu occupé sinon pas du tout l’espace médiatique durant la pandémie. Et pourtant, les conséquences de la COVID-19 sont souvent multipliées pour ces populations.
Au sein même des organismes d’éducation des adultes, les réalités de ces personnes sont peu ou pas connues. Afin de remédier, un tant soit peu, à cette méconnaissance, nous avons soulevé un certain nombre d’enjeux pour chacun de ces groupes sociaux dans plusieurs articles.
Citons, par exemple, l’exacerbation des inégalités d’accès à l’éducation, tant pour les adultes que pour les jeunes. On observe à ce titre que :
- L’apprentissage à distance est parfois limité par l’absence ou l’insuffisance de matériel informatique ou de la connexion Internet. Par exemple, au Canada, les ménages ayant les plus faibles revenus sont plus susceptibles d’avoir moins d’un appareil connecté pour l’ensemble du ménage comparativement aux ménages ayant des revenus plus élevés19.
- Les personnes ayant de faibles compétences en littératie peuvent avoir de la difficulté à apprendre à distance. Selon des intervenantes du terrain, les personnes en formation générale des adultes (FGA) possédant moins d’une deuxième année du secondaire, les personnes avec des problèmes d’apprentissage ou de santé mentale sont plus susceptibles d’avoir de la difficulté à poursuivre leurs apprentissages à distance. Bien qu’elles soient généralement capables d’utiliser un cellulaire, Facebook, Messenger ou Skype, des opérations comme télécharger des documents, installer un logiciel ou utiliser un document Word ou Excel sont souvent trop complexes pour elles.
- Les plateformes numériques en éducation postsecondaire ne sont pas toutes universellement accessibles aux personnes en situation de handicap. La plateforme « École ouverte » n’était pas accessible aux parents en situation de handicap (pas compatible avec le logiciel de synthèse vocale).
- La difficulté de bien comprendre toutes les consignes et les informations pour les personnes immigrantes nouvellement arrivées ou qui ne maîtrisent pas bien le français ou l’anglais. La maîtrise de la langue commune est un frein à l’apprentissage à distance. Les effets de ce frein sont par ailleurs multipliés dans les familles où parents et enfants poursuivent une formation en francisation. Souvent, le nombre d’appareils informatiques n’est pas suffisant pour répondre aux besoins de toutes et tous.
Par ailleurs, les personnes immigrantes en attente d’un statut sont assurément un groupe qui a été fortement invisibilié au cours de la pandémie. Ce groupe se compose de personnes souvent plus scolarisées que les personnes nées au Québec, mais qui sont proportionnellement moins nombreuses à être en emploi et plus nombreuses à être en chômage ou inactives que les personnes nées au Québec20.
Plusieurs d’entre elles œuvrent actuellement sur la ligne de front, dans des hôpitaux, des CHSLD et d’autres établissements de soins aux personnes. Elles y occupent des postes pour lesquels elles sont souvent surqualifiées. En temps normal, ces personnes sont déjà confrontées à la difficulté de faire reconnaître leurs acquis et leurs compétences; la fermeture des lieux de formation et de reconnaissance des acquis en situation de crise n’a pas contribué à améliorer leur situation. Pourtant, de nombreux mécanismes déjà en place permettraient de reconnaître rapidement les acquis professionnels de ces personnes ainsi que la maîtrise des compétences qu’elles utilisent en situation de travail.
Constat 6 : La reconnaissance partielle du rôle majeur du milieu communautaire
Le gouvernement a reconnu la valeur essentielle de plusieurs services offerts aux populations vivant des conditions socioéconomiques difficiles par des organismes du secteur communautaire. Cela dit, cette reconnaissance demeure limitée à des secteurs précis, comme l’action bénévole, l’aide alimentaire, l’itinérance, la violence conjugale ou envers les enfants et la santé mentale.
L’ensemble du milieu communautaire a fourni un soutien inégalé au cours de la crise sanitaire, que ce soit en matière d’éducation populaire, pour la défense des droits ou pour maintenir des liens sociaux qui favorise une meilleure santé mentale et physique.
Le milieu communautaire a joué un rôle majeur afin d’assurer la sécurité et la santé des populations en situation de précarité. Toutes et tous n’étaient pas égaux devant la pandémie. De nombreuses personnes vivaient dans des conditions socioéconomiques difficiles. D’autres avaient moins facilement accès à l’information. Enfin, certaines ne possédaient pas tous les outils leur permettant de bien comprendre l’information et les consignes.
Le milieu communautaire a ainsi contribué à rehausser le niveau de connaissances de ces populations, notamment par l’éducation à la santé, le maintien d’activités éducatives et de soutien comme la francisation. Des organismes ont même offert des services qui ne font habituellement pas partie de leur mandat. Par exemple, des groupes d’alphabétisation ont assuré la distribution de paniers d’épicerie.
Le maintien de liens sociaux et d’une bonne santé physique et mentale
Le milieu communautaire a aussi fait preuve de souplesse et d’originalité durant la crise sanitaire afin de contrer l’isolement social provoqué par le confinement. Il était essentiel de maintenir le tissu social et de créer des occasions de partage entre les personnes. Toutes des mesures qui préviennent la détresse psychologique et favorisent une meilleure santé mentale et physique.
Le milieu communautaire a rapidement organisé des discussions de groupe dans certains quartiers, des activités sportives en ligne à heures fixes, un horaire d’études fixé par les étudiantes et les étudiants (MAS), une heure du conte en ligne, etc.
La défense des droits
La période de crise nous rappelle qu’il est plus facile de bafouer les droits des personnes vivant des conditions difficiles. Un organisme de défense des droits des locataires a déploré que certains propriétaires profitent de la réduction des activités de la Régie du logement pour procéder à des évictions illégales. Devant le nombre important de pertes d’emploi, les organismes de défense de droit des personnes en chômage ont été d’une grande aide.
Les organismes de défense des personnes non syndiquées ont assuré la poursuite de l’information et de l’éducation au sujet des normes minimales du travail et les organismes d’économie familiale travaillent sur l’endettement grandissant des ménages.
Pensons aussi aux organismes pour personnes immigrantes qui continuent à guider les personnes en processus d’immigration et qui ne connaissent ni l’anglais ni le français.
Pour les personnes en situation de handicap, les organismes s’assurent de diffuser l’information qui n’est pas accessible et réexpliquent certains concepts. Ils voient également à la défense de leurs droits.
En conclusion
Le cours de nos activités revient tranquillement à la normalité au terme de cette période de confinement. Cependant, la crise sanitaire se poursuit et ses effets se font toujours sentir.
À ce titre, la distanciation physique, les mesures de désinfection des mains, le port du masque dans les lieux publics, les restrictions relatives aux rassemblements et à certains types de déplacements, le télétravail ainsi que l’apprentissage en mode non présentiel apparaissent être des consignes qui continueront de s’appliquer dans les mois à venir.
La demande accrue de connaissances et de compétences soulignée par nos constats se poursuivra, engendrant par le fait même de nouvelles inégalités éducatives et sociales au sein de certaines populations adultes. Au nombre des personnes qui vivront ces inégalités, il est possible de compter les personnes adultes les moins scolarisées, celles qui sont peu ou pas à l’aise avec l’écrit, celles qui ne connaissent pas le français, celles qui ne disposent pas des outils numériques pour apprendre à distance, celles qui sont aux prises avec des difficultés d’apprentissage ou encore toutes celles qui vivent des inégalités socioéconomiques, politiques et culturelles.
Certaines de ces inégalités ont déjà été relevées. Statistique Canada, par exemple, a produit des analyses qui mettent en évidence le fait que plus les personnes sont scolarisées, plus elles ont accès à des emplois pouvant s’exercer à domicile21. Par ailleurs, de nombreux établissements scolaires constatent que peu d’adultes participent à la formation à distance qui est donnée à la FGA11. De nombreuses autres inégalités éducatives et sociales apparaîtront dans les mois à venir et il faudra y faire face. À ce titre, l’éducation des adultes apparaître être un levier très efficace.
Dans les circonstances, le rôle de l’éducation des adultes est d’autant plus stratégique que notre capacité à atténuer les conséquences de cette pandémie et à parvenir à une sortie de crise acceptable repose entre autres sur les connaissances et les compétences acquises et en voie d’acquisition par les adultes22.
Notes de fin de document
1. SCCC-UQO (3 mai 2020). « L’enseignement en mode non présentiel n’est pas de la FAD », Information, section Nouvelles, site Internet du Syndicat des chargées et des chargés de cours de l’Université du Québec en Outaouais (SCCC-UQO), 3 mai 2020. [En ligne] https://www.sccc-uqo.ca/2020/05/03/lenseignement-en-mode-non-presentiel-... (Consulté le 15 juin 2020.)
2. « Tout en maintenant prédominantes ses activités de formation en mode présentiel sur campus et hors campus, elle occupe un rôle de premier plan en formation à distance au Québec et au Canada. », Université Laval, Politique de la formation à distance, 2016, p. 3. [En ligne] https://www.ulaval.ca/fileadmin/Secretaire_general/Politiques/Politique_... (Consulté le 15 juin 2020.)
3. Marin, Stéphanie (28 mars 2020). « Des cours en ligne dès lundi dans tous les cégeps : un scénario peu probable », Actualité, Le Soleil, 28 mars 2020. [En ligne] https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19/des-cours-en-ligne-des-lundi... (Consulté le 15 juin 2020.)
4. Stockless, Villeneuve et Beaupré, 2018, p. 117, cité dans Conseil supérieur de l’Éducation. Mai 2020. Discours, imaginaires et représentations sociales du numérique en éducation. Rédaction et recherche : Hugo Couture, p. 1
5. Conseil supérieur de l’Éducation. Mai 2020. Discours, imaginaires et représentations sociales du numérique en éducation. Rédaction et recherche : Hugo Couture, p. 1.
6. CAPRES (2019). « Mythes de l’enseignement et de l’apprentissage à distance | Enjeu », Formation à distance en enseignement supérieur, Dossier CARPES. [En ligne] https://www.capres.ca/dossiers/fad/mythes-de-lenseignement-et-de-lappren... (Consulté le 15 juin 2020.)
7. Vincent, F., Fontaine, S., Peters, M., Boies, T. (2019). Les stratégies d’écriture universitaire numérique : pratiques déclarées d’étudiants et d’enseignants québécois. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 16 (2).
8. Parr, M. (2019). Pour apprivoiser la distance. Guide de formation et de soutien aux acteurs de la formation à distance, Réseau d’enseignement francophone à distance (REFAD), p. 46. [En ligne] http://www.refad.ca/wp-content/uploads/2019/05/Pour_apprivoiser_la_dista... (Consulté le 15 juin 2020.)
9. Pudelko, B. (7 avril 2020). « Étudier et enseigner à distance : trois leçons apprises utiles au temps de la crise », Texte d’opinion rédigé par Béatrice Pudelko, Ph.D., professeure à la TÉLUQ, site Internet du Syndicat des professeures et professeurs de la Télé-université (SPPTU), 7 avril 2020. [En ligne] https://spptu.teluq.ca/etudier-enseigner-a-distance-trois-lecons-apprise... (Consulté le 15 juin 2020.)
10. Lire « Arrêtons de totémiser le numérique ! », de Philippe Meirieu, professeur de sciences de l’éducation et de la pédagogie à l’université de Lyon-II : https://www.politis.fr/articles/2020/04/philippe-meirieu-arretons-de-tot....
11. Dion-Viens, Daphnée (29 mai 2020). « Jusqu’à 70 % des élèves ont déserté les cours à l’éducation aux adultes », Actualité éducation, Journal de Québec, 29 mai 2020. [En ligne]
12. Conseil supérieur de l’Éducation. Mai 2020. Op. cit. p. 8.
13. CAPRES (2019). « Mythes de l’enseignement et de l’apprentissage à distance | Enjeu », Formation à distance en enseignement supérieur, Dossier CARPES. [En ligne] https://www.journaldequebec.com/2020/05/29/jusqua-70-des-eleves-ont-dese... (Consulté le 15 juin 2020.)
14. La Coalition indique que 603 personnes provenant de partout à travers le Québec ont répondu à ce questionnaire. Parmi ces personnes répondantes, plus 41 % étaient des parents travailleuses et travailleurs.
15. CCFTÉ (15 mai 2020). « Conciliation famille-travail-études et confinement : tirer des leçons de la crise! », Cission, communiqué de presse diffusé par le Coalition pour la conciliation famille-travail-études, 15 mai 2020. [En ligne] https://www.newswire.ca/fr/news-releases/conciliation-famille-travail-et... (Consulté le 15 juin 2020.)
16. CCFTÉ (2020). Questionnaire sur la conciliation famille-travail-études en temps de pandémie, Présentation des résultats, Coalition pour la conciliation famille-travail-études, 15 mai 2020, tableau 4, p. 18. [En ligne] https://drive.google.com/file/d/1EnXm5lDIqOEdu7kRDb9rWB1Vmu7Nw5ru/view (Consulté le 15 juin 2020.)
17. Institut de la statistique du Québec. 2012. « Quelques caractéristiques associées à l’utilisation des services de garde à contribution réduite dans la dernière décennie », dans Portraits et trajectoires, no. 13, mars 2012, rédigé par Lucie Gingras, p. 8. [En ligne] https://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/sante/bulletins/portrait-201203... (Consulté le 15 juin 2020.)
18. Institut de la statistique du Québec. 2012. Op. cit, p. 11
19. Statistique Canada, avril 2020, « Fermeture des écoles et préparation des enfants à l’apprentissage en ligne pendant la pandémie de COVID-19 », Aperçus économiques, Marc Frenette, Kristyn Frank et Zechuan Deng., no 11-626-X au catalogue, Issue 2020001 No 103, Avril 2020, ISSN 1927-5048, ISBN 978-0-660-34485-0.
20. Indicateur de l'ICÉA, Emploi et chômage chez les personnes immigrantes, année de référence 2016. En ligne : https://apprendre-agir.icea.qc.ca/index.php/INDICATEUR_29c.
21. Deng, Z., D. Messacar et R. Morissette. 2020. « Gestion de l’économie à distance : Potentiel du travail à domicile pendant et après la COVID-19 ». StatCan et la COVID-19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, no 00026. No 45280001 au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada. [En ligne] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2020001/article/00029-fra... (Consulté le 15 juin 2020.)
22. Baril, D. (28 mars 2020) « L'essentiel et le stratégique : la reconnaissance incertaine de l'éducation des adultes dans les politiques publiques », Actualités, site Internet de l'ICÉA, 28 mars 2020. [En ligne] https://icea.qc.ca/fr/actualites/lessentiel-et-le-strat%C3%A9gique-la-re... (Consulté le 15 juin 2020.)
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