DÉFINIR L’ADÉQUATION
À n’en pas douter, l’adéquation entre la formation et l’emploi est un sujet d’actualité. Cependant, les personnes et les organisations qui s’y intéressent ne la conçoivent pas toutes de la même manière. Comme le souligne Félix Simoneau dans un article publié récemment par l’Observatoire compétences-emploi, la notion d’adéquation est polysémique : « Il n’y a pas une, mais plusieurs adéquations possibles. » L’auteur explique à ce sujet que la recherche démontre « que les relations entre formation et emploi sont plurielles et multidimensionnelles et qu’il est possible d’établir de multiples correspondances entre les deux univers ». (B. Simoneau, 2017)
Les définitions données par les outils terminologiques du terme « adéquation » sont relativement claires. L’Office de la langue française (OLF) précise que l’adéquation est le « caractère de ce qui est adapté [de ce] qui correspond parfaitement à son objet ». Dans un contexte de formation, ce terme fait référence à la recherche d’une « relation parfaite entre un moyen d'enseignement ou d'éducation et le but visé ».
Le cœur du problème n’est donc pas le terme « adéquation », mais la mise en relation qu’il implique. Il est ici question de mettre en correspondance des moyens d’apprendre et des défis associés au marché du travail. Et le fait est que les personnes et les organisations intéressées mettent rarement les mêmes éléments en correspondance quand vient le temps de produire un diagnostic sur l’adéquation entre la formation et l’emploi.
Des repères pour mieux se comprendre
Dans son article, Simoneau propose une série de repères permettant de mieux comprendre les dimensions de l’adéquation formation-emploi. Le tableau qui suit reprend l’essence de ces repères, qui permettent de caractériser la plupart des diagnostics posés en matière d’adéquation formation-emploi. Simoneau souhaite que la mobilisation de ces repères permette de clarifier les débats entre l’État et les partenaires du marché du travail.
Le premier repère qu’il propose est l’identification de la finalité d’une recherche d’adéquation. Il faut ainsi chercher à savoir ce qui est mis en correspondance, par qui et à quelle fin. Cet objectif atteint, il est alors possible de préciser le niveau d’adéquation recherchée, le type de correspondance visée et finalement le type de mesures sur lesquels s’appuie l’organisation qui pose le diagnostic.
L’articulation de ces repères permet de mieux comprendre qu’une recherche d’adéquation faite au niveau macro par un regroupement d’employeurs sera différente de celle qui est faite au niveau micro par une entreprise : la première à de fortes chances d’être quantitative alors que la seconde sera plutôt qualitative. Pour les personnes intéressées, l’article de Simoneau propose des exemples de mobilisation de ces repères à partir de cas réels : il y fait l’analyse de diagnostics posés par le Conseil du patronat du Québec et le Comité sectoriel de la main-d’œuvre de la métallurgie du Québec (accédez à l’article de Simoneau).
Quantitatif ou qualitatif?
Au-delà de l’intérêt suscité par l’utilisation de ces critères, il apparaît intéressant d’approfondir la question des angles d’analyse permettant d’aborder la notion d’adéquation formation-emploi. Dans une récente étude sur le sujet, Doray rappelle qu’elle est généralement abordée sous deux angles différents : quantitatif et qualitatif (Doray, Simoneau et Solar-Pelletier, 2017).
Le chercheur souligne qu’une « grande partie des travaux réalisés par le MESS et Emploi-Québec » (Doray, Simoneau et Solar-Pelletier, 2017 : 17) sont de type quantitatif. Ces analyses s’intéressent à l’évolution des besoins de main-d’œuvre par rapport aux personnes qui sont en mesure d’occuper ces emplois. Il y sera question de surqualification, de sous-emploi, de chômage, de déclassement, de marchés internes, etc. On met en relation des quantités : des personnes formées ou diplômées, d’une part, et des emplois disponibles, d’autre part. Doray explique que ce type d’adéquation vise la création d’emploi ou la redistribution de ressources par l’intermédiaire de politiques industrielles, de main-d’œuvre ou éducatives.
Les analyses qualitatives supposent pour leur part qu’on compare le contenu d’une formation à l’activité de production qui s’y rapporte. Ce type d’adéquation réclame une connaissance approfondie des deux champs mis en relation. Ce type d’adéquation engage la collaboration d’experts des milieux de l’éducation et du travail : ils devront s’entendre sur la valeur et l’utilisation d’un ensemble de conceptions, de conventions, de règles et de pratiques. L’étude de Doray souligne à ce titre que ce type d’adéquation entre la formation et l’emploi « exige que soient précisés aussi bien les éléments entre lesquels l’adéquation est voulue que les finalités recherchées » (Doray, Simoneau et Solar-Pelletier, 2017 : 17).
Doray ne se prononce pas sur le choix d’un angle d’analyse ou d’un autre. Son propos met plutôt en lumière la nécessité de miser sur ces deux types d’analyses pour parvenir à une juste compréhension des défis liés à l’adéquation formation-emploi. Il est en effet facile d’imaginer que la présence d’un déséquilibre quantitatif ne témoigne en rien de la présence d’un déséquilibre qualitatif, et vice-versa : le manque de personnes qualifiées pour une activité de production et la pertinence de la formation offerte pour occuper ladite activité sont deux choses différentes.
Macro, méso ou micro?
Ici encore, le propos de Doray souligne l’importance de tenir compte des tous les niveaux d’action où il est possible de rechercher l’adéquation : « C’est trois niveaux d’action ne sont pas mutuellement exclusifs. Au contraire, ils sont constamment en interaction et ont des effets réciproques les uns sur les autres. » (Doray, Simoneau et Solar-Pelletier, 2017 : 25)
Comme l’explique Doray, la forme générale des relations souhaitées entre la formation et l’emploi s’exprime généralement au niveau macro, là où œuvrent principalement l’État et les grands acteurs collectifs du marché du travail. Les orientions prises à ce niveau se répercutent sur les deux autres. Le niveau méso se révèle être un lieu d’appropriation pour ces orientations. On y retrouve des organisations et des établissements qui font le pont entre les niveaux macro et micro : ils cherchent des moyens d’opérationnaliser l’adéquation. Finalement, le niveau micro est le lieu de la mise en œuvre d’actions concrètes : on y retrouve des personnes qui interviennent dans les milieux de la formation et du travail.
Cette chaine d’interactions et d’effets réciproques force à croire que les orientations prises au niveau supérieur doivent refléter les préoccupations exprimées aux autres niveaux. Une politique de qualification de la main-d’œuvre efficace devrait tout à la fois tenir compte des besoins des secteurs industriels et des entreprises, des ressources éducatives disponibles, des normes en vigueur (professionnelles ou autres), des formations et des diplômes offerts, et même de la capacité d’apprendre des personnes visées.
Articuler les champs de la formation et de l’emploi
À la lumière de ces précisions, force est de constater que de nombreuses formes d’adéquation entre la formation et l’emploi sont souhaitables, sinon nécessaires. Rappelons ici que des analyses qualitatives et quantitatives apparaissent nécessaires pour parvenir à un juste état de situation. De même, il semble essentiel de compter sur l’action commune des personnes et des organisations intéressées à tous les niveaux d’action.
À ce sujet, Doray insiste sur le caractère déterminant des négociations qui s’opèrent entre toutes ces personnes (Doray, Simoneau et Solar-Pelletier, 2017). Son étude passe en revue plusieurs approches théoriques qui s’intéressent au rôle que jouent les relations sociales dans la construction de l’adéquation. Ce jeu incite selon lui les personnes et les organisations intéressées à poser une série d’actions stratégiques : s’adapter activement aux changements socioéconomiques, construire des conventions, définir le sens de l’adéquation et mettre en place des instruments permettant d’articuler les champs de la formation et de l’emploi.
L’idée d’articuler les champs de la formation et de l’emploi apparaît ici comme un défi de premier plan pour les personnes et les organisations intéressées par l’adéquation formation-emploi. Un défi qui pourrait demeurer entier si toutes les parties ne donnent pas forme à une vision commune des adéquations présentes et futures qui sont nécessaires.
En conclusion
En 2011, dans un document publié en marge de la Rencontre des partenaires sur l’adéquation entre la formation et les besoins de main-d’œuvre, nous avions fait valoir l’importance de créer les conditions d’une participation effective des travailleurs et des travailleuses à la formation, pour combler les situations perçues d’inadéquation.
Pour l'ICÉA, la création de ces conditions commandait la diffusion auprès des travailleurs et des travailleuses de renseignements relatifs aux programmes de formation, de même que la mise en place de mesures flexibles et adaptées facilitant la participation à des activités de formation. Par ailleurs, nous avions également fait valoir l’intérêt d’implanter, dans chaque région, un guichet unique d’information et de référence portant sur l’ensemble des services de formation, de reconnaissance des acquis et des compétences ainsi que de soutien à la formation disponibles dans la région (ICÉA, 2015 : pp. 43-44).
Ces positions nous apparaissent toujours d’actualité. Cependant, l'ICÉA entend profiter de l'année 2017-2018 pour actualiser sa réflexion sur l'adéquation formation-emploi. Le présent article est un premier pas en ce sens. Outre les pistes de réflexion déjà présentées, il propose trois grandes balises qui guideront notre action :
- Premièrement, il faut tenir compte de la demande individuelle des travailleurs et des travailleuses, relativement à l'adéquation entre leurs aspirations professionnelles et leurs besoins de formation. Actuellement, la définition des besoins d'adéquation formation-emploi se fonde essentiellement sur la demande sociale formulée par le gouvernement, les regroupements patronaux ou les entreprises.
- Deuxièmement, il faut tenir compte de la diversité des compétences nécessaires à l’emploi, actuellement et dans le futur. De plus en plus de recherches mettent en évidence les effets des transformations sociales et technologiques qui redessinent le monde du travail (lire Josselin et Chochard, 2017). Il y est question de compétences comme l’intelligence sociale ou la transdisciplinarité : notre vision de l’adéquation doit en tenir compte.
- Troisièmement, les besoins d'adéquation ne se limitent pas au seul monde de l'emploi. Notre société du savoir impose des exigences de connaissances et de compétences dans toutes les sphères de notre vie. Il est nécessaire que l'on porte également attention à l'adéquation entre la formation et la vie citoyenne, l'environnement, la santé, les relations interculturelles, les finances personnelles, etc.
i. Voir la définition générale du terme « adéquation » dans le Grand dictionnaire terminologique de l’Office de la langue française. Cliquez ici pour accéder à la fiche.
ii. Voir la définition de l’adéquation relative aux sciences de l’éducation. Cliquer ici pour accéder à la fiche.
Références
Doray, P., B. Simoneau, F. et Solar-Pelletier, L. (2017). L’adéquation entre la formation et l’emploi : le cas de la formation sur mesure dans l’enseignement supérieur à Montréal. Montréal : CIRST, CIRDEF, UQAM. [En ligne] http://www.cirdef.uqam.ca/nos-etudes/adequation-formation-emploi-entreprise-superieur/#.WcQQ9LLyhph (Consulté le 14 septembre 2017).
B. Simoneau, F. (2017). « Adéquation formation-emploi : de quoi parle-t-on? », Bulletin de l’Observatoire compétences-emploi, juin 2017, vol. 1, no 8. Montréal : OCE-UQAM. [En ligne] http://www.oce.uqam.ca/article/adequation-formation-emploi-de-quoi-parle-t-on/ (Consulté le 19 septembre 2017).
Josselin, M. et Chochard, Y. (2017) « Les compétences du futur », Bulletin de l’Observatoire compétences-emploi, juin 2017, vol. 1, no 8. Montréal : OCE-UQAM. [En ligne] http://www.oce.uqam.ca/article/competences-futur/ (Consulté le 19 septembre 2017).
ICÉA. (2015). Abrégé des prises de positions de l’ICÉA, période 2008-2015, Synthèse des orientations et des recommandations qui ont servi de cadre de positionnement stratégique de l’ICÉA depuis 2008. Montréal : ICÉA. [En ligne] https://icea.qc.ca/sites/icea.qc.ca/files/abrege_positions-icea_2008-2015_novembre2015.pdf (Consulté le 19 septembre 2017).
Office de la langue française (2017). « Adéquation », notice du Grand dictionnaire terminologique. Québec : OLF. [En ligne] http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=17060716 (Consulté le 19 septembre 2017).