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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

La modernisation de la Loi sur les langues officielles : une avancée pour les francophones en situation minoritaire

 
L’ICÉA a participé en mars 2024 au Sommet national sur l’apprentissage pour la francophonie canadienne organisé par le Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences (RESDAC). Un des sujets à l’étude à ce Sommet était la modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO), qui a intégré dans sa dernière version un article reconnaissant l’apprentissage tout au long de la vie en contexte non formel et informel. Même si les modifications à la Loi sont passées un peu inaperçues au Québec, elles ont été accueillies avec beaucoup d’intérêt par les communautés francophones du reste du Canada. Plusieurs organismes de ces communautés avaient d’ailleurs participé aux travaux du comité sénatorial travaillant à cette modernisation1. Ils sont à pied d’œuvre à l’heure actuelle pour contribuer à la définition des règlements qui accompagneront la LLO, car il s’agit d’un enjeu majeur pour les minorités au Canada.
 
Sommet national sur l’apprentissage pour la francophonie canadienne organisé par le RESDAC

La loi sur les langues officielles : quelques repères historiques

La première Loi sur les langues officielles (LLO) a été adoptée par le gouvernement fédéral en juillet 1969, à la suite des travaux de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Faisant du français une langue officielle au pays au même titre que l’anglais, elle reconnaissait à l’ensemble des citoyennes et des citoyens du pays, « le droit d’être servis et de travailler dans la langue officielle de leur choix au sein des institutions fédérales dans certaines régions […], en plus d’offrir aux communautés de langue officielle en situation minoritaire de puissants leviers pour leur développement »2.

La Loi sur les langues officielles a été révisée en 1988, entre autres pour tenir compte du renforcement des droits linguistiques contenus dans la nouvelle Charte canadienne des droits et libertés. La Loi créait par la même occasion le Commissariat aux langues officielles afin de suivre l’application de ses mesures dans l’ensemble du pays.

La modernisation de la LLO

En 2021, le gouvernement fédéral a donné le mandat au comité sénatorial permanent sur les langues officielles de procéder à une réforme de la loi afin que les langues officielles du Canada « soient mieux soutenues et valorisées » et pour freiner le déclin du français. Le Comité a mené des travaux pendant deux ans et a reçu nombre de mémoires de l’ensemble du pays. Adoptée par le Parlement canadien, puis par le Sénat, la nouvelle loi a été sanctionnée en juin 2023 sous le nom de Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Cette nouvelle mouture comporte plusieurs modifications pour protéger et promouvoir la langue française et assurer le développement des minorités anglophones et francophones au Canada. Ainsi, la section autrefois appelée Loi sur les langues officielles s’appelle désormais Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada3. Elle vise « […] à assurer le rétablissement et l’accroissement du poids démographique des minorités francophones, [et…] à appuyer la création et la diffusion d’information en français qui contribue à l’avancement des savoirs scientifiques dans toute discipline »4.

La Loi modernisée prévoit ainsi des mesures pour obliger les parlementaires à suivre des cours pour être capables de s’exprimer dans les deux langues officielles. Le commissaire aux langues officielles obtient aussi des pouvoirs accrus, dont celui d’imposer des sanctions administratives pécuniaires en cas de non-respect de la Loi.

La reconnaissance de l'apprentissage tout au long de la vie

Parmi les nouvelles mesures, certaines concernent directement l’éducation. Ainsi, dans la partie VII « Progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais », le gouvernement fédéral s’engage par l’article 41 (3) à :  

« renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité, en contexte formel, non formel ou informel, dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires.» [c’est nous qui soulignons]

Cet article provient d’un amendement présenté par des organismes de la francophonie canadienne et qui a été adopté à l’unanimité par les membres du Comité sénatorial5.

L’apprentissage tout au long de la vie se retrouve ici inscrit dans une loi fédérale – c’est une première6  – et les contextes « non formel et informel » font désormais partie des lieux d’apprentissage et de formation reconnus, au même titre que les établissements scolaires. L’avancée est de taille, mais l’opérationnalisation dans les règlements sera à surveiller étroitement.

La prochaine étape : l'adoption de règlements et de mesures administratives pour encadrer la loi

Le diable étant dans les détails, la prochaine étape, qui prévoit l’adoption de règlements et de mesures administratives pour encadrer la Loi revêt une importance capitale pour les communautés francophones hors Québec7. Un montant de 26 millions de dollars a été réservé pour la mise en œuvre de cette politique au cours des cinq prochaines années et pour préciser la signification des nouveaux articles8. Le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) travaille actuellement à définir les règlements d’application de la LLO. À cette étape, « des clarifications de certains concepts et de certaines obligations, définitions et modalités d’exécution devront être apportées afin de bien mettre en œuvre ce nouveau régime »9. Des organismes de la francophonie travaillent en appui au SCT pour définir les contextes non formel et informel tels qu’ils apparaîtront dans ces règlements10.

Est-ce que le « tout au long de la vie » sera circonscrit à la vie active et professionnelle ? La mesure ne devrait pas s’arrêter à la retraite, mais comme elle reste à définir, on ne sait pas quelles en seront les implications. De plus, quel sens donnera-t-on à « apprentissages de qualité », et que voudra dire concrètement le droit à l’apprentissage en contexte non formel et informel ? Par quels mécanismes pourra-t-on faire respecter ce droit ? Comme le demande la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA), plusieurs termes demandent à être définis soigneusement, en tenant compte notamment des besoins des communautés11 (FCFA, Sommaire). De plus, l’éducation étant de compétence provinciale, on peut se demander quel impact aura au niveau provincial l’inscription de ce droit dans les lois canadiennes.

C’est un dossier à suivre !

Références

Gouvernement du Canada (2023). Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois. https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/44-1/projet-loi/C-13/sanction-royal

Comité sénatorial permanent des langues officielles (2023). La modernisation de la loi sur les langues officielles. La perspective des institutions fédérales et les recommandations. Rapport final du Comité sénatorial permanent des langues officielles. https://sencanada.ca/content/sen/committee/421/OLLO/reports/ModernOLAFederalInst_F_Final.pdf#COM_RPT_Modernizing-the-OLA-Federal%20Institutions_2019-06-11_F_Final-B.indd%3A.315127%3A14877

Comité sénatorial permanent des langues officielles (2023). La modernisation de la loi sur les langues officielles. La perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Rapport provisoire du Comité sénatorial permanent des langues officielles. https://sencanada.ca/content/sen/committee/421/OLLO/reports/Modernizing-the-OLA_report_F.pdf
 

Pour en savoir plus

Johnson, M. L. (2023). Le droit à l’apprentissage tout au long de la vie dans la langue de la minorité. Minorités linguistiques et société / Linguistic Minorities and Society, (20). https://doi.org/10.7202/1112424ar

 


 

1. Notamment le Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences (RESDAC) Section « Quelques événements récents précurseurs de la réflexion collective » sur cette page : https://resdac.net/event/sommet-national-sur-lapprentissage/ et la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada (2023). Loi, 2, 1, action! : La réglementation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. https://fcfa.ca/wp-content/uploads/2024/05/Memoire-FCFA-Reglementation-de-la-Partie-VII-de-la-Loi-sur-les-langues-officielles-FINAL.pdf

2. Gouvernement du Canada (2023). Document d'information – Détails sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/nouvelles/2023/06/document-dinformation--details-sur-la-modernisation-de-la-loi-sur-les-langues-officielles.html Il faut noter qu’avant 1969, le Québec était tenu d’offrir des services en anglais pour les Québécoises et les Québécois d‘expression anglaise alors que les autres provinces n’avaient aucune obligation de desservir leurs citoyen·e·s francophones en français.

3. Pour le Québec, notons que la modernisation de la Loi « assujetti[t] les entreprises privées de compétence fédérale en sol québécois à la Charte de la langue française du Québec ». Saba, Michel (2023, 15 juin). La modernisation de la Loi sur les langues officielles deviendra réalité. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/politique/canada/793103/la-modernisation-de-la-loi-sur-les-langues-officielles-deviendra-realite?.

4. Gouvernement du Canada (2024). Site Web de la législation (Justice). Loi sur les langues officielles (L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.)). https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/O-3.01/section-41.html

5. RESDAC (2024). Section « Quelques événements récents précurseurs de la réflexion collective ». https://resdac.net/event/sommet-national-sur-lapprentissage/

6. Soulignons qu’il n’y a pas de loi fédérale qui reconnaît un droit à l’éducation au Canada. Cependant, l’éducation étant de compétence provinciale, les provinces ont légiféré pour garantir le droit à une scolarité jusqu’à la fin du niveau secondaire. Ainsi, au Québec, l’article 1 de la Loi sur l’instruction publique (LIP) édicte que « Toute personne a droit au service de l’éducation préscolaire et aux services d’enseignement primaire et secondaire prévus par la présente loi et le régime pédagogique établi par le gouvernement en vertu de l’article 447, à compter du premier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire où elle a atteint l’âge d’admissibilité jusqu’au dernier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire où elle atteint l’âge de 18 ans, ou 21 ans dans le cas d’une personne handicapée au sens de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale (chapitre E-20.1) ».

7. Au mois de juin 2024, le RESDAC a diffusé un mémoire soumis dans le cadre des préconsultations sur l’avant-projet de règlement sur la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Il est consultable ici : https://resdac.net/wp-content/uploads/Memoire-RESDAC_Reglements-partie-VII-LLO_Juin-2024.pdf

8. Denis, Lise (2024, 16 avril). Ottawa investit dans la mise en œuvre de la nouvelle Loi sur les langues officielles, Le Devoir, https://www.ledevoir.com/politique/canada/811024/ottawa-investit-mettre-oeuvre-loi-langues-officielles?

9. Gouvernement du Canada (2023). Document d'information – Détails sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/nouvelles/2023/06/document-dinformation--details-sur-la-modernisation-de-la-loi-sur-les-langues-officielles.html

10. Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada (2023). Loi, 2, 1, action! : La réglementation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. https://fcfa.ca/wp-content/uploads/2024/05/Memoire-FCFA-Reglementation-de-la-Partie-VII-de-la-Loi-sur-les-langues-officielles-FINAL.pdf

11. La FCFA demande que les règlements respectent six principes de base : « 1. Le respect de l’approche « par et pour les communautés ». 2. Une simplicité et une compréhension facile. 3. Des solutions qui répondent aux besoins des communautés. 4. L’élimination des décisions non fondées sur des données probantes. 5. Des actions précises et mesurables.6. Des actions visant le rétablissement du poids démographique et la revitalisation de nos communautés ». FCFA, Loi, 2, 1, action! : La réglementation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Sommaire exécutif.