Le 30 octobre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé la mise en place de nouvelles formations professionnelles (FP) de courte durée. Cette fois, c’est dans le secteur de la construction que seront mises en place ces nouvelles formations. L’« Offensive formation en construction » vise à former entre 4000 et 5000 personnes. L’annonce a été faite conjointement par le premier ministre François Legault, la ministre de l'Emploi Kateri Champagne Jourdain, le ministre de l'Éducation Bernard Drainville et le ministre du Travail Jean Boulet.
L'Offensive formation en construction s'inscrit dans le cadre de l'Opération main-d'œuvre lancée en novembre 2021. Rappelons que la construction y figure parmi les secteurs prioritaires.
L’annonce du 30 octobre n’est pas la première de ce type. Durant la pandémie de COVID-19, le gouvernement a mis en place la formation accélérée pour devenir préposé·e aux bénéficiaires (PAB) en centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) menant à l’obtention de l'attestation d’études professionnelles (AEP) Soutien aux soins d’assistance en établissement de soins de longue durée (SSAES). Puis, une formation accélérée pour devenir infirmières et infirmiers auxiliaires menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) en Santé, assistance et soins infirmiers (SASI) a été annoncée. Un autre programme accéléré a été mis en place à la même période, la formation accélérée pour devenir agent·es administratif·ves en soutien au secteur clinique, menant elle aussi à une AEP.
Au courant de l’été 2023, le gouvernement du Québec a lancé une nouvelle formation pour les préposé·es aux bénéficiaires, la formation de courte durée pour devenir préposée ou préposé aux bénéficiaires en CHSLD et en maison des aînés (MDA) menant à l’AEP Soutien aux soins d’assistance en établissement de soins de longue durée (AEP SSAESLD).
De nouvelles formations écourtées dans le secteur de la construction
L'annonce gouvernementale concerne la création de quatre nouvelles formations courtes (de quatre à six mois, de 500 à 700 heures) et rémunérées (750 $ par semaine) menant à des AEP.
- Charpenterie-menuiserie
- Conduite d’engins de chantier
- Ferblanterie
- Réfrigération
C’est une réduction importante du temps de formation, particulièrement dans le cas du DEP en réfrigération qui est d'une durée de 1800 heures. Celui en ferblanterie est de 1605 heures, celui en charpenterie-menuiserie est de 1350 heures et celui en conduite d'engins de chantier, de 1095 heures.
Les premières cohortes débuteront en janvier 2024. En parallèle, de nouvelles bourses sont annoncées pour les élèves qui s’inscriront dans les DEP conduisant à ces métiers. Ces bourses sont conditionnelles à la diplomation. De plus, dans d’autres domaines, la capacité d’accueil sera prochainement augmentée dans le dessein de former davantage de monde.
Réactions, questions et recherches à poursuivre
Différentes réactions ont suivi cette annonce. Plusieurs acteurs l’ont accueillie très froidement. C’est le cas, par exemple, de plusieurs acteurs du monde syndical comme la FSE-CSQ (FSE-CSQ, 2023, Scalabrini, 2023), la FTQ-Construction[1] ainsi que le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International) (Gagnon, 2023). Mentionnons aussi la réaction de la directrice de l’Observatoire de la formation professionnelle du Québec et professeure titulaire à l’Université de Sherbrooke, Madame Chantale Beaucher (Beaucher, 2023).
En effet, on peut se demander quels seront les impacts de ces nouvelles formations non seulement écourtées, mais rémunérées. Va-t-on assister à une hausse réelle des inscriptions ou plutôt à un déplacement des inscriptions vers ces nouvelles formations ? La création de ces nouvelles formations rémunérées aura-t-elle un impact sur les inscriptions dans les DEP déjà existants pour exercer les métiers concernés par l’annonce gouvernementale ainsi que dans d’autres formations pour lesquelles des pénuries de main-d’œuvre sont également existantes ? Est-ce que cela aura un impact sur le choix d’orientation des élèves ? De plus, ne risque-t-on pas de créer différentes catégories d’élèves, ceux qui seront dans un parcours continu de formation et qui n’auront pas accès aux nouvelles formations et à leurs bourses, et ceux qui pourront s’y inscrire ? En effet, une des conditions préalables à l’inscription est de ne plus être aux études depuis au moins un an.
De plus, quelles seront les répercussions sur la qualité de la formation ? Est-ce qu’on va couper dans la formation en santé et sécurité ? Quels seront les impacts en termes de qualification des personnes formées ? La CCQ était en accord avec la mise en place de certaines formations écourtées, mais pas avec celle en réfrigération (Lajoie, 2023).
Par ailleurs, dans un contexte où il est également difficile de recruter des enseignantes et des enseignants en formation professionnelle, est-ce réaliste de mettre en place de nouvelles formations ? A-t-on le personnel nécessaire ? Si oui, quelles seront les conséquences sur leurs conditions de travail ? Est-ce que les ratios seront augmentés dans les centres de formation professionnelle ? La FSE-CSQ déplorait d’ailleurs que les enseignant·es en formation professionnelle n’ait pas été préalablement consulté (FSE, CSQ, 2023).
Les impacts des formations écourtées, accélérées et intensives commencent à être documentés (Beaucher, 2023). Par exemple, l’alourdissement de la charge de travail pour les travailleur·euses qui doivent superviser les personnes nouvellement formées dans le cadre de ces formations. Est-ce le même scénario qui va se reproduire avec ces nouvelles formations ? Un représentant de l’Association de la construction du Québec (ACQ) a d’ailleurs mentionné dans la foulée de cette annonce que les « formations seront incomplètes » et que « le système de compagnonnage en vigueur permettra d’accompagner les recrues sur les chantiers » (Labbé, 2023). Est-ce sur les épaules des compagnons et des compagnonnes que reposeront la nécessité de former des apprenti·es ne possédant pas toutes les compétences nécessaires à l’exercice de leur métier ?
Il faudra dans les années à venir davantage de recherches pour analyser les impacts de ces formations, par exemple sur la persévérance scolaire des élèves, sur l’accès aux formations professionnelles ou encore sur la rétention des travailleur·euses dans l’industrie de la construction. De plus, comment sera perçu sur les chantiers de travail l’arrivée des travailleur·euses qui seront passés par ces formations ? Quelles seront les incidences sur leurs parcours professionnels et leurs opportunités de mobilité en emploi ?
Certes, il importe de trouver des solutions aux pénuries de main-d’œuvre. Certains acteurs ont d’ailleurs accueilli favorablement l’annonce gouvernementale. C’est le cas, par exemple, de l’Association de la construction du Québec (ACQ), de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) ou encore de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) (ACQ, 2023 ; FCEI, 2023; Labbé, 2023). Toutefois, la voie des formations écourtées ou intensives est-elle une stratégie adéquate ? Serait-il plus judicieux de favoriser l’alternance travail-études (ATE) en formation professionnelle comme le réclament plusieurs acteurs, dont des syndicats (Gagnon, 2023) ? Ou encore de rendre plus attrayant l’enseignement en formation professionnelle pour attirer plus d’enseignant·es et être en mesure par la suite de former plus de monde ?
L’idée d’avoir formations plus courtes peut en même temps favoriser l’accès à l’éducation et à la formation de personnes qui n’auraient peut-être pas pris le chemin des études autrement. De plus, le fait d’offrir des formations rémunérées peut être un incitatif important pour des personnes déjà sur le marché du travail qui ne pourraient effectuer un retour aux études pour des contraintes financières liées, par exemple, à des obligations familiales.
L’enjeu bien réel des pénuries de main-d’œuvre dans le secteur de la construction, tout comme dans d’autres secteurs, devrait être au centre d’une réflexion à court, moyen et long terme. Vouloir répondre à très court terme et rapidement à certaines pénuries, nous l’avons vu avec la formation des préposé·es aux bénéficiaires, a eu des résultats mitigés, notamment avec les nombreux abandons en cours de formation. Là encore, des recherches sont nécessaires.
Assurément, il importe de valoriser la formation professionnelle et de trouver des solutions aux pénuries de main-d’œuvre dans le secteur de la construction, mais n’est-il pas important de former des travailleuses et des travailleurs possédant toutes les compétences nécessaires pour exercer leur métier et progresser dans leur carrière ? Les formations courtes peuvent être, bien entendu, une voie permettant aux jeunes et aux adultes de se former et de développer des compétences. Cependant, il est fondamental de s’assurer que les formations soient qualifiantes et transférables.
La concertation avec tous les acteurs du milieu est également essentielle pour s’assurer que les élèves et les enseignant·es soient dans les meilleures conditions pour suivre leur formation et pour la donner.
Pour en savoir plus :
Formations de courte durée pour des métiers de la construction : https://www.quebec.ca/education/formation-professionnelle-education-adultes/la-formation-professionnelle/formations-construction/formations-courte-duree-metiers-construction
Références :
Association de la construction du Québec (2023), Formations accélérées dans la construction : l’ACQ se réjouit de l’annonce du gouvernement, communiqué.
Beaucher, Chantale (2023), Opération sabotage en formation professionnelle, Le Devoir, 1er novembre.
Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (2023), Offensive formation en construction : des mesures fortes qui aideront les PME du secteur.
FSE-CSQ (2023), Formations incomplètes en construction - Tourner les coins ronds n’est pas la solution, selon la FSE-CSQ, communiqué de presse.
FTQ-Construction (2023), Réaction à l’annonce de Legault sur la réforme de la construction – 30 octobre 2023.
Gagnon, Marc-André (2023), Formations accélérées en construction: les syndicats craignent des travaux bâclés, Le journal de Québec, 30 octobre.
Labbé, Jérôme (2023), Québec lance des formations rapides et rémunérées dans le secteur de la construction, Radio-Canada, 30 octobre.
Plante, Caroline (2023), Québec crée des formations accélérées payées, La Presse, 30 octobre.
Scalabrini, Josée (2023), Formations écourtées: l'art de se tirer dans le pied, mot de la présidente, FSE-CSQ.
[1] Pour écouter une entrevue avec le directeur général de la FTQ-Construction, Monsieur Éric Boisjoly : https://www.fm1069.ca/audio/587558/construction-4-mois-pour-former-un-travailleur-est-ce-assez