« L’Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants (IRIPI) est un des centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT) du Collège de Maisonneuve. Créé en 2009, l’IRIPI se spécialise en pratiques sociales novatrices. » C’est ainsi que se présente l’IRIPI dans son site Web.
Une programmation riche
Malgré la pandémie, l’IRIPI a organisé un colloque en ligne les 24 et 25 septembre 2020, dont la programmation était un heureux mélange de présentations scientifiques et de pratiques novatrices. Le colloque s’est ouvert avec des communications qui permettaient de mieux comprendre le racisme : son histoire, ses origines et ses manifestations au Québec et au Canada.
Les racismes
Sans surprise, on apprend que plusieurs études démontrent l’existence du racisme systémique en nos contrées. Ce qui est nouveau, ce sont les formes qu’il prend.
Le racisme actuel n’est généralement plus lié à de supposés facteurs biologiques. Rappelons-nous que les sciences, à une époque pas si lointaine, tentaient de démontrer l’infériorité de la « race » noire à partir de caractéristiques physiologiques. Ce rappel historique fait écho à plusieurs autres situations où les sciences ont tenté de démontrer l’infériorité biologique de groupes sociaux comme les Autochtones, les femmes (plus de 50 % de la population!), etc. Or, ces mêmes groupes s’inscrivent plutôt dans des rapports sociaux de domination. Mais cette domination est plus facilement justifiable si on y trouve des raisons biologiques. Elle est ainsi présentée comme un fait objectif en dehors de toute volonté humaine.
Le racisme moderne, ou néoracisme, s’appuie sur l’idée que les différences entre les cultures sont irréductibles. Autrement dit, selon cette vision, les différences culturelles ne peuvent permettre de vivre ensemble, ne peuvent permettre un espace commun. Il vaut mieux que chacun et chacune reste chez soi.
Pour sa part, Celia Bensiali de la CDEC Montréal-Nord, proposait de parler des racismes. Elle soutenait, en effet, que le racisme est socialement et historiquement situé et qu’il est pluridimensionnel. Elle a rappellé également que le racisme est présent non seulement envers les personnes immigrantes, mais aussi envers les personnes nées au Québec ou au Canada dont les parents ou les grands-parents ont immigré au pays.
Les groupes d’extrême droite
Nous avons eu une présentation de Louis Audet Gosselin, directeur adjoint du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR) du Collège Édouard-Montpetit, à propos des groupes d’extrême droite au Québec et au Canada. Bien que leur présence soit moins prépondérante qu’ailleurs, cette mouvance existe bel et bien. Pensons aux mouvements identitaires populistes comme La Meute et à la mouvance néofasciste comme la Fédération des Québécois de souche et Atalante. Un nouveau groupe recrute également auprès des jeunes, soit le Front canadien français qui s’identifie comme nationaliste et catholique. On y prône les valeurs traditionnelles de la famille. Il est majoritairement composé de jeunes hommes scolarisés qui évoluent surtout dans les médias sociaux et les jeux vidéo.
Selon M. Gosselin, la sensibilisation et la formation fonctionnent peu avec ces personnes. Il faut plutôt miser sur une meilleure littératie aux médias sociaux pour outiller les personnes à décoder les faussetés et les déformations historiques véhiculées par ces groupes dans les médias sociaux. Un meilleur contrôle des médias sociaux est aussi à développer, notamment quand les groupes se réclament ouvertement du néofascisme.
Et bien plus
D’autres présentations ont mis de l’avant des outils et des approches antiracistes, notamment en formation postsecondaire. Le témoignage d’une femme autochtone a aussi été très riche d’enseignement. En tout, plus d’une dizaine de présentations ont été données, toutes plus intéressantes et pertinentes les unes que les autres.
Il est impossible ici de résumer l’ensemble des présentations; des actes de colloque prévu en novembre feront un travail plus précis en ce sens. Cela dit, il nous importe de terminer cet article en rendant compte, de façon non exhaustive, de certaines pistes de solution proposées par les personnes-ressources.
Des actions globales
Une condition essentielle pour lutter contre le racisme systémique est d’abord et avant tout de le reconnaître. Plusieurs personnes-ressources se sont prononcées en ce sens. Pour paraphraser une panelliste : il faut cesser d’euphémiser la discrimination systémique dans les politiques publiques, il faut arrêter de responsabiliser uniquement les individus et reconnaître la discrimination systémique.
Pour lutter efficacement contre le racisme, encore faut-il en connaître les tenants et les aboutissants. Plusieurs personnes-ressources ont noté le manque de recherches et de données sur les manifestations du racisme tant systémique qu’individuel. Actuellement au Québec, nous n’avons que des portraits parcellaires qui ne permettent pas de dégager une vue d’ensemble. À ce titre, Maryse Potvin, professeure en sciences de l'éducation à l'Université du Québec à Montréal, proposait de réaliser un portrait global comprenant des indicateurs précis pour mesurer le racisme dans différentes sphères : en emploi, dans le logement, les médias, la culture, en santé, en éducation, sur le plan juridique, etc. Ce portrait devrait s’accompagner de bilans réguliers (monitoring) et être actualisé régulièrement.
Afin de pérenniser les actions, il importe que les gouvernements et les institutions adoptent des politiques antiracistes pouvant agir autant sur les aspects systémiques qu’individuels. Les instances décisionnelles et les institutions doivent s’engager activement dans cette voie. Autrement, ce sont les personnes, individuellement, notamment les enseignantes et enseignants ainsi que les personnes racisées elles-mêmes, qui doivent porter sur leurs seules épaules une lutte d’envergure.
Il importe également d’assurer une représentativité des personnes racisées dans tous les milieux, notamment parmi le corps professoral, les hautes fonctions, les conseils d’administration et autres instances organisationnelles et décisionnelles.
Pour les personnes racisées, il faut garantir des espaces sécurisés, fournir de l’information sur les recours existants, proposer un accompagnement pendant leurs démarches et leur offrir un soutien psychologique.
La formation, la sensibilisation et la discussion comme espace d’apprentissage ont été identifiées comme des moyens essentiels pour contrer les racismes. De même, plusieurs actions en milieu éducatif ont été proposées. En voici quelques exemples.
Des actions en éducation
Un grand nombre d’actions en matière d’éducation ont été proposées. Nous en citons un échantillon :
- Éduquer aux droits et libertés en rappelant, notamment, que le racisme est une atteinte aux droits et libertés.
- Réaliser une vaste campagne de sensibilisation et d’éducation antiraciste, à l’image de celle qui a été réalisée à propos du port de la ceinture en voiture.
- Multiplier les débats sur la place publique.
- Assurer la formation continue du personnel, notamment de hauts fonctionnaires et des gestionnaires au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur ainsi que celle des policiers et policières qui, malgré un cours sur le racisme suivi dans leur formation collégiale, ont besoin de rappels continus.
- Procéder à une évaluation des apprentissages en cours d’emploi.
- Enseigner l’empathie par les arts.
- Contrer les distorsions historiques avancées par les groupes d’extrême droite.
- Diffuser largement le documentaire Briser le code du journaliste Fabrice Vil.
- Rendre visibles les expériences de discrimination.
- Mettre en lumière les actions menées par les personnes racisées.
L’ICÉA se prononce contre le racisme systémique
Pour sa part, l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA) a déposé, de son propre chef, un mémoire à la coprésidence du groupe d’action contre le racisme, soit à M. Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux et à Mme Nadine Girault, ministre des Relations internationales et de la Francophonie.
Plusieurs des constats et recommandations formulés par l’ICÉA sont semblables à ceux énoncés lors du colloque de l’IRIPI. Ce mémoire est disponible sur le site de l’ICÉA et attaché en document PDF à la fin de cet article. En résumé, l’ICÉA recommande de :
- Reconnaître le racisme systémique et routinier dans le système scolaire dans son ensemble et en particulier celui qui s’adresse aux adultes en formation.
- Documenter les différentes formes de racisme et leurs effets à l’égard des Autochtones et des personnes non blanches dans tous les lieux d’apprentissage pour adultes, tant dans le système scolaire public et privé (formel) que dans les milieux d’apprentissage non formels.
- Adopter un plan de lutte au racisme systémique qui s’étend aux organisations gouvernementales et non gouvernementales d’apprentissage pour adultes.
- Intervenir de manière proactive afin que les effets de ces différentes formes de racismes n’entravent pas la réussite scolaire et le succès des apprentissages à tous les âges de la vie.
- Établir, de concert avec les populations concernées, des plans d’action visant à rendre les milieux d’enseignement plus accueillants et à les transformer en s’inspirant des connaissances et des philosophies des Autochtones et des personnes racisées.
- Améliorer le système de reconnaissance des acquis et des compétences, notamment en y débusquant les biais racistes.
- Inclure, dans l’enseignement allant du primaire au postsecondaire, l’histoire, la culture et les savoirs des Autochtones et des personnes issues de l’immigration, les rapports entre ces groupes et la majorité blanche ainsi que leurs contributions à l’édification de la société.
- Mobiliser les institutions d’enseignement dans l’éducation et la lutte au racisme, notamment par l’entremise des services d’éducation populaire des centres de services scolaires.
Les suites au colloque
L’IRIPI rendra disponibles sur son site Web quatre conférences qui ont été prononcées durant ce colloque. Les actes du colloque seront aussi disponibles à l’automne 2020. De plus, l’IRIPI prévoit tenir un deuxième colloque, à la fin de novembre, portant sur la pédagogie inclusive. Ce sont tous là de bons moyens de se sensibiliser au racisme et de se former à l’antiracisme.
Pour paraphraser une panelliste : contrer le racisme est l’affaire de tout le monde. Il ne faut pas parler pour et avec, mais plutôt ensemble.
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ICEA_Memoire_Groupe_travail_gouv_racisme_Septembre2020.pdf | 658.89 Ko |