Les trois architectes de l’enquête, soit Daniel Baril, Louise Brossard et Hervé Dignard, ont présenté les résultats de l’enquête portant sur la réduction du financement public en éducation des adultes (période 2010-2015) à partir d’une présentation PowerPoint. La vingtaine de personnes présentes ont apporté plusieurs exemples qui montrent la précarisation des services offerts en éducation des adultes, et ce, tant dans le milieu communautaire que dans le milieu institutionnel.
Des exemples préoccupants sur le terrain
Selon les témoignages des participantes et participants, il est difficile de connaître exactement le montant de la réduction du financement public dans les programmes de formation générale des adultes et de francisation offerts par les commissions scolaires. Cependant, les observations sur le terrain montrent clairement une dégradation des services. Par exemple, il y a moins de classes ouvertes, ce qui augmente le nombre d’élèves par classe puisque la seule limite d’inscription est la capacité d’accueil des classes. Ce faisant les classes débordent. Le nombre d’élèves étant plus élevé, le personnel enseignant dispose de moins de temps pour accompagner les élèves. . Or, ces adultes en apprentissage ont pu connaître des problèmes d’apprentissage et peuvent toujours avoir besoin d’une aide particulière. Ces conditions augmentent le décrochage scolaire et la surcharge professionnelle. De plus, les programmes d’insertion socioprofessionnelle tendraient à être réduits. Pourtant, comme le souligne le Conseil supérieur de l’éducation, il s’agit d’un service éducatif prévu au Régime pédagogique de la formation générale des adultes1. De plus, ce programme s’adresse souvent à des personnes qui n’ont pas trouvé réponse à leurs besoins éducatifs dans le milieu formel de formation (l’école) et qui ont des difficultés particulières exigeant une réponse adaptée à leurs besoins2.
En francisation, les personnes immigrantes sont aussi très affectées par les réductions financières puisque certaines commissions scolaires auraient diminué les budgets alloués à ces services; ce qui se traduit par un manque de places pour l’apprentissage du français.
D’autres personnes présentes ont témoigné des changements à Emploi-Québec. Selon elles, le Conseil du Trésor a donné comme directive à Emploi-Québec de privilégier les mesures d’employabilité plus courtes qui mènent plus rapidement à un retour en emploi. En conséquence, plusieurs parcours au secteur des adultes sont mis de côté (notamment lorsqu’ils sont longs). De plus, la formation offerte aux personnes immigrantes se rétrécirait. Ces dernières seraient également davantage orientées vers des formations jugées plus importantes par Emploi-Québec, et ce, en dépit de leurs intérêts ou de leurs compétences. Enfin, Emploi-Québec aurait éliminé plusieurs mesures incitatives qui limitent l’accès à la formation des adultes, comme le paiement de la carte d’autobus.
Une participante à l’événement a conclu que l’accessibilité aux services d’éducation des adultes demeure un problème toujours d’actualité. Bien que la future politique d’éducation du gouvernement québécois soit axée sur la réussite éducative, il devra aussi s’attaquer au problème d’accessibilité et à celui de l’offre de services adéquate et en nombre suffisant.
Sur une autre question, une participante a illustré comment les coupes dans une organisation peuvent avoir un impact sur d’autres organisations. Par exemple, si les groupes de base produisent moins d’outils, ce sont tous les autres organismes qui bénéficient moins de leur expertise et des nouveaux projets initiés. De même, si les organisations nationales ont moins d’argent pour produire des outils et des analyses, les organisations locales sont moins alimentées.
Enfin, les personnes présentent ont souligné des effets pervers du passage d’un financement « par personne » à un financement par projet. Le premier implique l’accompagnement et la réussite de la personne alors que le second vise la rentabilité de l’action menée.
D’autres recherches confirment les résultats de l’ICÉA
D’autres enquêtes font écho à celle produite par l’ICÉA. Paula Duguay, présidente du comité de l’ICÉA qui traite des politiques en éducation des adultes, en a fait mention au moment de l’ouverture de l’événement. Le récent avis du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) sur l’éducation populaire analyse des situations qui concordent avec des résultats obtenus par l’enquête de l’ICÉA. Par exemple, il ressort clairement de l’enquête de l’ICÉA que les organisations non gouvernementales, celles de l’éducation populaire et de l’action communautaire autonome sont très fragilisées. Tout comme l’enquête de l’ICÉA, l’avis du CSE souligne que les organismes communautaires peinent à répondre à tous les besoins des populations à cause de la précarité financière dans lesquels ils se trouvent. Cette précarité a aussi un impact sur le personnel. Non seulement leurs conditions de travail se dégradent, mais des postes de travail sont abolis3. L’enquête de l’ICÉA arrive au même constat.
Par ailleurs, le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) dégage des conclusions similaires suite à une vaste consultation qu’il a menée dans douze régions du Québec auprès de 1100 personnes. Cette consultation, nommée la Commission populaire pour l’action communautaire autonome, a donné lieu à un rapport intitulé Les organismes d’action communautaire autonome : entre engagement et épuisement. Ce rapport a été déposé à l’Assemblée nationale à la fin novembre 2016.
Une lueur d’espoir
Heureusement, les services d’éducation aux adultes permettent à plusieurs d’atteindre leurs objectifs et d’augmenter leur qualification. Une représentante de Qualification-Montréal nous invitait à visionner, sur leur site Web, des témoignages d’adultes, immigrants ou non, qui sont encourageants. Ces personnes apprenantes ont réussi à obtenir un diplôme d’études collégiales (DEC) ou en formation professionnelle (DEP) dans un temps significativement plus court qu’au régulier grâce à une approche de reconnaissance des acquis et des compétences en mode intensif et personnalisé. Il s’agit d’un projet pilote sur l’Île de Montréal faisant appel à la concertation des acteurs importants en formation des adultes, nommément, Emploi-Québec, le secteur de l’éducation en formation technique et professionnelle et le ministère Immigration, Diversité et Inclusion (MIDI).
De plus, le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, monsieur Sébastien Proulx, annonçait, le 2 décembre dernier, une enveloppe de 20 millions de dollars en alphabétisation. De ce montant, 9 millions sont destinés aux organismes d'action communautaire autonome en éducation. Toutefois, ceux-ci réclament 15 millions pour financer leur mission de base. Bien que cette annonce soit une bouffée d’air frais, il reste à voir comment elle sera attribuée. Il faudra encore veiller au grain.
1. 2016. Conseil supérieur de l’éducation. 2016. L’éducation populaire : mise en lumière d’une approche éducative incontournable tout au long et au large de la vie. Version abrégée. Avis au ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport et à la ministre responsable de l’Enseignement supérieur. Québec : gouvernement du Québec (octobre), p. 83-84 [62 p.].
2. 2016. Conseil supérieur de l’éducation. 2016. Ibidem, p. 125.
3. 2016. Conseil supérieur de l’éducation. 2016. Ibidem, p. 143.
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