Soutenir l’accessibilité la plus large d’une population étudiante de plus en plus diversifiée aux parcours atypiques
À l’issue du Sommet sur l’enseignement supérieur, plusieurs chantiers ont été mis sur pied pour poursuivre le travail. L’un de ces chantiers porte sur la révision de la politique de financement des universités. Nous voulons saisir la publication du rapport d’étape de ce chantier pour indiquer nos préoccupations concernant le réaménagement de la formule de financement des universités québécoises.
Le mandat vise à mieux adapter une politique de financement à la réalité des universités, en tenant compte notamment de différents aspects caractéristiques de l’éducation des adultes dans les établissements universitaires : programmes courts, formation continue, formation à distance et réalité des nouveaux étudiants.
On doit saluer le souci des auteurs sur le plan de l’accessibilité et de l’égalité des chances pour une population étudiante de tous âges et plus diversifiée. Bien que nous partagions ce point de départ, nous considérons important de mettre en relief les enjeux concernant l’accessibilité dans une perspective « d’apprentissage tout au long de la vie » et pas seulement au niveau de l’équité dans l’accessibilité.
L’approche concernant le financement doit toutefois s’éloigner de la vision traditionnelle de l’université, celle de l’université québécoise des 18-24 ans. Tous constatent que la proportion de la population étudiante qui a plus de 25 ans est de 47 %. Beaucoup de ces individus sont inscrits dans des programmes à temps partiel, dont une forte proportion dans des programmes de certificat. L’Université québécoise est très largement l’université des 25 ans et plus.
Cette approche s’appuie sur le constat que les parcours étudiants universitaires contemporains sont très fréquemment non linéaires et constitués d’interruption et de retour aux études. Cette réalité oblige à prendre une distance avec la notion traditionnelle de persévérance et de réussite, notamment au niveau des indicateurs de performance, et à prendre en considération les obstacles à la participation à la formation universitaire.
L’élaboration de mesures universelles pour favoriser l’accès le plus large
Notre propos n’a pas pour objet de remettre en question les grandes orientations fondamentales, caractéristiques des précédentes réflexions et qui sont reprises par le rapport, à savoir l’accessibilité et la qualité de l’enseignement universitaire. Nous questionnons plutôt les considérations subséquentes en relation avec ces principes.
Il nous apparaît hasardeux de déduire de ces grandes orientations, une approche ciblée du financement, qui gouvernera le développement des activités universitaires. Nous croyons important, non pas de situer la réflexion concernant le financement en partant de l’offre de formation, mais plutôt en cherchant à résoudre les obstacles à la participation d’une population étudiante en transformation.
Nous considérons, en effet, que la formule de financement doit servir « à relever les défis qui se dessinent dans le futur » (p. 14). Nous partageons aussi le principe que « la démocratisation de l’accès à tous les âges » (p. 14) demeure une tendance de fond. Nous constatons tout autant que le rapport la « croissance et [la] diversification des populations étudiantes » (p. 14). Or, de ce point de vue, la croissance du nombre d’adultes dans les effectifs étudiants est remarquable et équivaut à celle de la génération montante, qui, elle connait aussi des parcours non linéaires.
Nous invitons le comité à s’appuyer sur l’avis du Conseil supérieur de l’éducation intitulé « Parce que les façons de réaliser un projet d’études universitaires ont changé… », publié en juin dernier sur le parcours étudiant dans les universités. Celui-ci s’éloigne de l’image du jeune au début de la vingtaine, engagé de façon quasi exclusive dans un projet de formation et fréquentant à temps plein un campus. Bon nombre entretiennent plutôt un « rapport aux études non traditionnel », de par l’occupation d’un emploi, leurs responsabilités parentales, leur cheminement à temps partiel ou leur parcours de formation irrégulier. Bien que ces réalités ne soient pas récentes, elles apparaissent aujourd’hui avec intensité. » (Communiqué du Conseil supérieur de l’Éducation, Avis du Conseil supérieur de l’éducation sur les nouvelles façons de réaliser un projet d’études universitaires, 18 juin 2013).
Par ailleurs, nous constatons que l’énoncé des objectifs de la nouvelle politique de financement des universités n’inclut pas l'accessibilité aux études universitaires comme un des principes (p. 31). L’objectif de promouvoir et de maximiser l’accessibilité pour toutes et tous aux études universitaires est, dans notre perspective, un objectif essentiel à prendre en compte dans la définition de la nouvelle politique de financement.
Nous considérons essentiel de faire le choix de mesures universelles en vue de soutenir l’accessibilité étudiante à la formation et en réduisant les contraintes à leur engagement dans des programmes universitaires. En ce sens, nous sommes donc opposés à l’inclusion dans une politique de financement de cibles notamment, portant sur des populations étudiantes spécifiques, notamment par la mise en place de mesures de discriminations positives. La prochaine politique de financement des universités devrait s’assurer de rendre universel l’accès à différentes mesures qui participent à accroître l’accessibilité. Par universel, nous entendons la possibilité que toute étudiante et tout étudiant puissent potentiellement bénéficier des services financés. Nous reprenons quelques considérations à partir d’une telle approche.
1. Le financement à 100 % de l’effectif étudiant
Le rapport questionne la pertinence du nouveau modèle québécois de financement des universités qui finance depuis 2000 la variation de l’effectif étudiant à 100 % (p. 40 – 41), prenant appui sur différents modèles étrangers et canadiens. Il rappelle également que les défis d’accroissement peuvent être importants étant donné la stagnation des effectifs étudiants selon les prévisions ministérielles. Nous considérons justement que le maintien du financement à 100 % est une mesure universelle qui favorise l’accès le plus large et qui constitue une mesure tout à fait en phase avec les populations susceptibles de s’engager dans des parcours de formation universitaire.
Le financement à 100 % de la variation de l'effectif étudiant est un outil pour maximiser l'accès aux études universitaires pour toutes et tous. De s’en éloigner implique établir des barrières directes ou indirectes à l’accessibilité en limitant l’apport financier aux universités qu’on associe aux nouvelles populations étudiantes. C'est un élément positif du modèle québécois de financement en ce qu'il permet aux universités d’avoir le maximum de moyens pour accueillir de nouvelles populations étudiantes. Or, dans une perspective de stagnation de l’effectif de la génération montante, un tel outil peut s’avérer important pour diversifier la population étudiante universitaire. Si la participation d’un individu à des activités d’apprentissage ou de recherche n’est pas financée, les universités éviteront de l'accueillir.
Établir un modèle qui s'éloigne du financement à 100 % de la variation annuelle équivaut à mettre une barrière à l'ouverture large des portes des universités. Ça revient à mettre un quota sur le nombre d’individus susceptible d'entrer à l’université. Il crée une contrainte à l'élargissement de l'accès aux études universitaires.
Les universités ont fait preuve d'imagination dans le développement de formations longues et courtes pour satisfaire les besoins spécifiques d'une population diverse et des milieux professionnels et économiques en pleine transformation. Leurs efforts doivent être reconnus notamment par le financement de la variation des effectifs à 100 %.
2. Un financement universel quel que soit le statut étudiant
Il importe de maintenir une approche universelle aussi en ce qui concerne le statut étudiant. On doit éviter de financer de manière ciblée les effectifs étudiants suivant les statuts à temps plein, à temps partiel, jeune, vieux, travailleur/non-travailleur, retour aux études/formation initiale, en fonction du programme de grade ou non, etc. Dans une telle logique, on retrouvera toujours des exclus, les non ou moins financés. Le soutien doit être universel et identique, quel que soit l’individu. Autrement, le système universitaire se développera vers la fraction de la population qui sera financée et qui sera la plus lucrative pour l'établissement.
Il est important de ne pas moduler le financement en fonction d'un statut, sauf dans de très rares cas spéciaux, déjà prévus dans les modèles de financement et qui comportent tout autant une large part de mesures universelles, par exemple, pour des populations étudiantes émergentes.
Par ailleurs, le statut d’un programme, à savoir un programme de grade ou non, ne devrait pas non plus être un critère qui distingue le financement. Rappelons-le, nous considérons que le programme court est très souvent une porte d'entrée qui permet de gérer un début de formation ou un retour aux études.
On doit garder le cap sur l’évolution des populations étudiantes et l’accroissement des parcours non typique ou atypiques pour garantir l’universalité des mesures de financement des programmes. Un financement différentié en faveur des programmes de grade implique de diriger les efforts pour le recrutement de la population étudiante traditionnelle, ce qui pourrait se réaliser au détriment de la population « non traditionnelle », qui constitue la moitié du système universitaire québécois, les plus de 25 ans étudiant à temps partiel, et qui est aussi appelée à s’accroître dans un contexte de stagnation de la population traditionnelle.
3. L’importance des programmes courts et le financement universel
L’accessibilité générale aux études universitaires pour la population étudiante québécoise de tout âge passe par une protection des programmes courts et de l’accès à la formation continue et l’éducation permanente sur le territoire. C’est un moyen par lequel les universités accroissent l’accessibilité aux études universitaires, et par lequel elles contribuent aux rehaussements des compétences et des savoirs généraux de la population.
Les étudiantes et les étudiants en formation continue - dans les certificats, sont souvent en "formation initiale". Leur parcours de vie les a amenés à différer leur entrée à l'université et à poursuivre différents parcours scolaires. Le certificat est un outil unique et très efficace d'engagement dans des activités d’apprentissage à l’université. Il ouvre la porte de l'université à une population étudiante de tout âge de plus en plus diversifiée et aux prises avec des responsabilités de plus en plus grandes.
Notons que la formation continue est un moyen pour les universités de rendre possible une nouvelle orientation professionnelle, elle est aussi une réponse aux transformations du marché de l'emploi et des professions et aux impacts que ces changements ont sur les individus. C'est un outil de développement humain et professionnel indispensable au Québec. On doit être prudent à ne pas se départir de ce genre d'outil alors que d'autres les explorent pour rendre leurs systèmes universitaires plus agiles.
Concernant le financement, on ne peut introduire des différentielles de financement des programmes courts des programmes longs, au nom de la qualité de ces derniers. Dans un parcours de formation, les programmes courts s’intègrent aux programmes longs. Les formations courtes sont souvent structurées pour être intégrées dans un processus cohérent avec la formation longue. Il importe, même d’un point de vue de la qualité de la formation, que les programmes courts ne soient pas indépendants des programmes longs.
4. La reconnaissance des acquis
La politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue mise en place par le gouvernement du Québec en 2002 affirmait déjà que les étudiantes et les étudiants québécois ne devraient apprendre les choses qu'une seule fois. Il s’agit ici d’un élément important qui favorise l’accès par une mesure universelle, sans sacrifier sur la qualité des apprentissages. De ce point de vue, la mobilité des crédits obtenus dans les universités québécoises et canadiennes devrait être garantie. Le ministère ne devrait pas avoir à financer deux fois les mêmes formations pour un même individu.
La recherche démontre que la reconnaissance des acquis est un facteur de succès pour celle ou celui qui en bénéficie. Elle devrait donc être favorisée et financée pour permettre son adoption dans l'ensemble du système universitaire québécois. Cela supposerait de prévoir des ressources à cette fn dans le financement des services aux étudiantes et aux étudiants par exemple.
À cet égard, le financement de la reconnaissance des acquis dans les universités devrait se faire dans l’ensemble des universités du Québec.
5. Le développement de différentes mesures de soutien aux études, l’accessibilité territoriale et la formation à distance
Nous considérons de première importance, par ailleurs, que le rapport se préoccupe de l’allocation de fonds au soutien d’activités de recrutement, de soutien à la persévérance et à la réussite et à la diplomation, de soutien à la conciliation travail-famille-étude. Nous favorisons le développement de telles mesures, on pas dans une perspective sélective et ciblée, mais sur une base universelle qui favorisera les populations étudiantes aux parcours non typiques et atypiques.
Concernant les campus satellites et la formation à distance, le rapport critique la « concurrence stérile » que se livreraient les établissements. Si nous partageons l’idée qu’elle a des effets sur l’offre et le déploiement de l’accessibilité à l’enseignement universitaire sur le territoire, nous croyons important de protéger l’accessibilité de proximité. Nous partageons le constat concernant l’importance qu’accordent même les étudiants adultes à la proximité des sites d’enseignement. À cet égard, ce n’est pas parce qu’une logique de concurrence se superpose èa une logique de démocratisation géographique, que cette dernière n’est pas pertinente. Nous considérons aussi que la formation à distance peut répondre à cette attente.
Pour éviter les effets du développement anarchique de l’offre de formation universitaire, nous soutenons l’idée d’éviter les dédoublements sur un même territoire. Il convient donc de penser aux orientations qui pourraient guider le déploiement territorial de l’enseignement universitaire et aux indicateurs qui pourraient opérationnaliser ces orientations au sein de la formule de financement.
Les investissements associés à l’accessibilité territoriale de la formation continue ne peuvent toutefois subir de réductions. Les économies réalisées par une meilleure planification de l’offre et du déploiement de points de service et d’accès sur le territoire doivent servir à développer d’autres mesures universelles, telles que nous le mentionnons ci-dessus, pour favoriser l’accès dans les établissements.
En conclusion : le cadre budgétaire du Sommet et le financement ciblé
Globalement, le point de départ du rapport est de respecter les balises budgétaires adoptées par le gouvernement dans la foulée du Sommet, soit une subvention à terme (2018-2019) de 3,8 milliards; « la hauteur de la subvention de fonctionnement ni celle des droits de scolarité des étudiantes et étudiants québécois ne seront abordées » (p. 4).
Or, comme le rapport suggère le recours au financement ciblé pour atteindre des objectifs d’accroissement de l’accessibilité et d’amélioration de la qualité, les cibles vont s’intégrer dans une formule de financement qui orientera l’allocation des fonds au profit d’activités contribuant à l’atteinte des cibles adoptées.
Cette approche heurte, selon nous, le fondement d’une accessibilité universelle et desservira les objectifs poursuivis d’adaptation aux nouvelles réalités de la population étudiante universitaire et en développement.
Nous proposons plutôt le financement de mesures universelles qui répondront aux besoins des populations étudiantes atypiques et favoriseront alors l’accessibilité la plus large aux secteurs de la population québécoise qui est plus éloignée de l’enseignement universitaire.