ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Contrer les violences sexuelles en enseignement supérieur

 Stop aux violences sexuellesDepuis quelques années, la question des violences sexuelles envers les femmes refait surface. On pense notamment aux allégations d’agression sexuelle commises par différents élus municipaux, provinciaux et fédéraux ainsi que par des personnalités du monde des médias ou du sport. On pense également aux multiples situations de violence rapportées par les femmes autochtones. 
 
En 2014, dans la foulée de l’affaire Ghomeshi, un vaste mouvement de dénonciation a été entrepris sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter avec les mots-clics #BeenRapedNeverReported et #Agressionnondénoncé. Les femmes et les filles voulaient ainsi relater publiquement les violences sexuelles qu’elles ont vécues et, dans bien des cas, tues pendant de nombreuses années. 
 
Tous les témoignages de femmes connues et moins connues nous rappellent qu’aucun milieu n’est exempt de manifestations de violences sexuelles. Les milieux d’enseignement y compris. 
 
Des exemples à l’université
Plusieurs situations de violence sexuelle en milieu universitaire ont été rendues publiques dans les dernières années. En 2013, près de soixante enseignantes et enseignants ont fait parvenir une lettre au recteur de l’UQAM qui dénonçait « la teneur sexiste, raciste et homophobe de certains actes associés [aux] rituels d’intégration »1. À l’École de technologie supérieure (ÉTS) de Montréal, une étudiante avait subi l’assaut de cinq étudiants qui, lors de l’initiation, ont déchiré son t-shirt et la jupe hawaïenne qu’elle portait comme déguisement2. À l’Université Laval, en octobre dernier une dizaine de plaintes ont été déposées concernant des suspects qui entraient dans les chambres de résidences universitaires pour surprendre les victimes et commettre des « agressions sexuelles ou une infraction criminelle »2.
 
Un fléau à l’université
Ce ne sont pas des exemples isolés. L’étude récente de Bergeron et coll. (voir note 1) révèle que le tiers (37 %) des 9284 personnes répondantes ont vécu une forme de violence sexuelle depuis leur arrivée à l’université4. « Un fléau », soulignent les chercheuses . Dans cette étude, les violences sexuelles sont définies selon trois catégories :
  • « le harcèlement sexuel (comportements verbaux et non verbaux qui traduisent des attitudes insultantes, hostiles et dégradantes), 
  • les comportements sexuels non désirés (comportements verbaux et non verbaux à caractère sexuel, offensants, non désirés ou non réciproques, incluant la tentative de viol et l’agression sexuelle) 
  • et la coercition sexuelle (chantage en retour de récompenses) »4.
Cette enquête s’adressait à la population universitaire de six universités québécoises, soit les étudiantes et étudiants, ainsi que le personnel enseignant et non enseignant. Les résultats révèlent que les personnes plus susceptibles d’avoir vécu au moins un geste de violence sexuelle sont les femmes, les minorités de genre (transsexuelles, etc.), les minorités sexuelles ou en questionnement sur leur orientation sexuelle, les personnes en situation de handicap et les personnes dont le statut est étudiant5.
 
Des conséquences importantes
Il est reconnu que la violence sexuelle a un impact important sur les survivantes. Le terme « survivante » est ici utilisé pour parler des « victimes ». Les groupes de lutte contre les agressions à caractère sexuel l’utilisent pour montrer la force et le courage des personnes qui surmontent les effets parfois dévastateurs des agressions sexuelles. Bien que toute violence sexuelle soit inacceptable, elle laissera différentes séquelles selon les circonstances et plusieurs autres facteurs. Ainsi, les personnes qui vivent des agressions sexuelles, qu’elles soient en milieu universitaire ou non, peuvent vivre de la honte et de la culpabilité, de la tristesse, une perte d’estime de soi, des problèmes psychologiques, relationnels et sexuels, une dépression et même un état de stress post-traumatique6
 
Dans un contexte scolaire, ces difficultés peuvent se répercuter sur la capacité à se concentrer, à suivre ses cours et à produire ses travaux, pouvant même aller jusqu’à abandonner sa formation, perdre ou abandonner un emploi étudiant. Selon l’étude de Bergeron et coll., 47 % des « victimes » disent qu’elles ont été affectées non seulement sur le plan physique, mental et personnel, mais aussi sur le plan de la réussite scolaire ou professionnelle. En outre, « un peu plus de 10 % ont changé de parcours scolaire, sportif ou professionnel ou ont eu l’intention de le faire »7. C’est sans contredit un obstacle dans le parcours scolaire qui peut nuire à la persévérance et à l’obtention d’un diplôme. 
 
Des actions et des pistes de solution
Depuis le rapport Jean qui, en 1982, soulevait le « manque de formation du personnel des établissements et services qui s’occupent des cas de viol ou de violence faite aux femmes »8, le sujet des violences sexuelles en éducation des adultes a été très peu traité. Des actions s’engagent toutefois depuis quelques années, du moins, au niveau de l’enseignement supérieur. On pense à la campagne « Sans oui, c’est non » initiée en 2014 par l’Université Laval et investie par 24 institutions d’enseignement postsecondaire et 31 associations étudiantes. On pense au Groupe Québec contre les violences sexuelles créé par de jeunes femmes, dont trois qui ont subi une agression sexuelle dans un établissement postsecondaire. Elles présentaient, en octobre dernier, une série de recommandations à la ministre de l’Enseignement supérieur, Mme Hélène David, pour contrer les violences sexuelles dans les établissements postsecondaires. On pense aussi à la recherche citée plus haut qui trace également des pistes de solution. 
 
Évidemment, il faut souligner l’important travail des groupes de femmes qui, depuis plus de 40 ans, font de la sensibilisation, de l’intervention, de l’action politique et de la recherche sur l’ensemble de la problématique des agressions sexuelles. On pense tout particulièrement au Regroupement québécois des centres d’aide et de luttes contre les agressions à caractère sexuel qui regroupe près d’une trentaine de centres d’aide au Québec. Il a entre autres participé à la recherche de Bergeron et coll. 
 
Il faut aussi souligner que la plupart des universités ont soit une politique ou un bureau d’intervention en matière d’agression sexuelle ou les deux. Cela dit, selon Bergeron et coll., seulement 10 % des personnes qui ont vécu de la violence sexuelle ont porté plainte aux instances officielles des universités9. Ce qui semble suivre la tendance générale puisque « l’agression sexuelle est le crime le moins dénoncé et un des moins condamnés (moins de 50 %) par la justice »10. Il y a donc lieu de faire plus, non seulement pour endiguer le problème, mais aussi pour que les agressions soient sanctionnées et les personnes survivantes soutenues.
 
Loi-cadre
Il semble que ce soit dans cet esprit que la ministre de l’Enseignement supérieur envisage d’intervenir. D’ici la fin de mars, la communauté universitaire est invitée par son ministère à participer à des journées de réflexions qui se tiendront dans cinq villes du Québec. Suite à la tenue de cette première journée de réflexion, la ministre Hélène David a dit souhaiter l’adoption d’une loi-cadre pour contrer les violences à caractère sexuel dans les collèges et universités d’ici la rentrée scolaire de l’automne prochain. C’est donc un dossier à suivre. 
 
Un droit à l’éducation
Pour l’ICÉA, le droit à l’éducation ne se limite pas à la garantie d’accès à des services d’éducation de qualité, répondant aux attentes des apprenantes et des apprenants. Il comprend aussi le respect de tous les droits de la personne EN éducation. En ce sens, les violences sexuelles constituent une violation des droits humains dans le domaine de l’éducation. Dans le domaine du droit à l’éducation, une formule nous rappelle ces exigences incontournables du droit À l’éducation, EN éducation et PAR l’éducation, référant ici à l’éducation aux droits. 
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1. Bergeron, M., Hébert, M., Ricci, S., Goyer, M.-F., Duhamel, N., Kurtzman, L., Auclair, I., Clennett-Sirois, L., Daigneault, I., Damant, D., Demers, S., Dion, J., Lavoie, F., Paquette, G. Et S. Parent (2016). Violences sexuelles en milieu universitaire au Québec: Rapport de recherche de l’enquête ESSIMU. Montréal: Université du Québec à Montréal, p. 6. En ligne : http://salledepresse.uqam.ca/fichier/document/PDF/Rapport_ESSIMU_FINAL.pdf (21-02-2017).
2. Sioui, Marie-Michèle. 2016. « Haro sur la violence sexuelle sur les campus. Trois victimes réclament des actions concrètes pour protéger les femmes alors qu’une vague d’agressions est rapportée à l’Université Laval ». Le Devoir, 17 octobre. En ligne : http://www.ledevoir.com/societe/education/482402/agressions-en-serie-a-l... (21-02-2017).
3. Elkouri, Rima. 2017. « Violences sexuelles à l’université : un fléau bien réel ». La Presse, 16 janvier. En ligne : http://www.lapresse.ca/actualites/education/201701/15/01-5059860-violenc... (21-02-2017)
4.  Bergeron, et coll.  (2016). Op. cit., p. ii.
5.  Bergeron, et coll. (2016). Op. cit., p. 31.
6.  Pour plus d’information sur l’état de stress post-traumatique : http://www.iusmm.ca/hopital/usagers-/-famille/info-sur-la-sante-mentale/....
7.  Bergeron, et coll. (2016). Op. cit., p. 37.
8.  Commission d’étude sur la formation des adultes. 1982. Apprendre : une action volontaire et responsable. Énoncé d’une politique globale de l’éducation des adultes dans une perspective d’éducation permanente, p. 140.
9.  Bergeron, et coll. (2016). Op. cit., p. 45.
10. Pelletier, Francine, « L’affaire Sklavounos », Le Devoir, 8 février 207, p. A9. En ligne : http://www.ledevoir.com/societe/justice/491091/l-affaire-sklavounos (21-02-2017).