ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

La formation continue pour contrer les violences faites aux femmes

Contre les violences faites aux femmes« On peut bien former les policiers, mais comme dans tout domaine, ça prend de la formation continue et un accompagnement des jeunes policiers » arguait Manon Monastesse de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes lors d’une entrevue avec Le Devoir1. De fait, le journal rapporte qu’un « porte-parole de la police de Richelieu ̶ Saint-Laurent a peiné à expliquer le protocole que doivent suivre les policiers dans les cas de violence conjugale »1. D’où la nécessité de former régulièrement les membres du corps policier, jeunes et plus expérimentés.
 
La semaine dernière, un colloque sur la violence conjugale rassemblait des spécialistes qui réaffirmaient l’importance de la formation continue pour assurer le transfert de connaissance sur le terrain. Par exemple, la recherche démontre « que la rupture [du couple] constitue […] un très grand facteur de risque qui fait bondir de 75% la possibilité pour une victime [de violence conjugale] d’être blessée ou assassinée »2. Ce qui fait dire à M. Simon Lapierre, organisateur du colloque et professeur à l’École de service social de l’Université d’Ottawa, que les policiers, les juges, les avocates et les avocats doivent être mieux formés afin de bien saisir les dynamiques de la violence conjugale.
 
Par ailleurs, le parti d’opposition à la Chambre des communes a présenté un projet de loi pour s’assurer que les futurs juges reçoivent obligatoirement une formation à propos des agressions sexuelles. Cette proposition de la cheffe intérimaire du Parti conservateur du Canada, Mme Ambrose, vise notamment à faire tomber les stéréotypes et les mythes autour des agressions sexuelles. Ce projet de loi vise à prévenir les attitudes comme celles du juge Robin Camp qui avait demandé à une présumée victime d’agression sexuelle pourquoi elle n’avait pas « serré les jambes »3. Bien que cette proposition ne fasse pas l’unanimité, elle montre bien que la formation continue est à l’ordre du jour. 
 
L'apport des groupes de femmes à la formation et à la sensibilisation
Les organisations de femmes, dont les 109 maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale au Québec, ont été parmi les premières à demander à ce que les corps policiers et tous les corps professionnels œuvrant auprès des victimes de violence conjugale soient formés sur ce problème complexe. Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, explique que des maisons participent à la formation du personnel dans leur milieu, selon les collaborations tissées au fil du temps et l’ouverture des directions d’organismes. Par exemple, elles peuvent former le personnel dans les hôpitaux, les CLSC, les DPJ (directions de protection de la jeunesse). 
 
Cela dit, les maisons d’hébergement ne sont pas systématiquement associées au développement du contenu et à la diffusion de la formation auprès des différents corps professionnels. Leur participation varie d’une région à l’autre tout comme la formation continue sur le sujet peut varier d’un milieu professionnel à l’autre. Or, les maisons demandent depuis longtemps que leur expertise développée depuis plus de quarante ans soit mise à profit. Elles demandent aussi depuis longtemps que cette problématique soit intégrée dans les curriculums scolaires de toutes les professions qui sont impliquées dans la prévention, la détection et l’intervention en matière de violence conjugale, que ce soit les médecins, les infirmières et infirmiers, les juristes, les travailleuses et travailleurs sociaux, etc.
 
Les budgets de formation réduits
Madame Riendeau fait remarquer que les choix budgétaires du gouvernement font en sorte que les dépenses en formation continue sont de plus en plus minces. Il est aussi moins fréquent que l’on dégage du temps de travail pour assister à une formation. Les résultats de la recherche menée par l’ICÉA en 2016 concluent également en ce sens. De fait, les organismes d’éducation aux adultes participants affirmaient diminuer leur budget de formation au personnel pour faire face aux réductions de leur financement public.
 
Madame Riendeau donne un exemple des impacts de ces décisions. Bientôt, le ministère de la Santé et des Services sociaux mettra en ligne une formation traitant de la violence conjugale destinée au personnel de ce secteur. Selon elle, le traitement d’un sujet aussi complexe exigerait que la formation soit suivie en groupe. De cette façon, les personnes peuvent échanger sur leur pratique, engager des discussions soutenues et déconstruire les idées préconçues.
 
La sensibilisation, un travail d'éducation nécessaire
En plus de la formation continue, les maisons pour femmes victimes de violence conjugale organisent différentes activités de sensibilisation auprès de la population. Ces activités sont offertes dans différents milieux, que ce soit en entreprise, auprès de certains clubs sociaux, comme les clubs Optimistes, ou de partenaires de la région. Dans tous les cas, elles expliquent ce qu’est le cycle de la violence conjugale et quelles sont les stratégies de l’agresseur pour piéger la victime. Elles déconstruisent les préjugés et proposent des pistes d’action pour venir en aide aux victimes. Dans ce cas, on peut parler d’éducation populaire et féministe. 
 
Ce travail de longue haleine a porté ses fruits. Les maisons remarquent que les familles se positionnent de plus en plus du côté des victimes; ce qui n’était pas le cas dans le passé où les victimes étaient rapidement blâmées pour la violence qu’elles subissaient. Les proches des victimes sont mieux à même de voir les responsabilités de l’agresseur et culpabilisent moins les victimes. Aussi, les maisons répondent de plus en plus à des appels de personnes qui demandent comment elles peuvent aider une victime de leur entourage. 
 
Bien qu’on en parle depuis une quarantaine d’années, les violences faites aux femmes ne semblent pas fléchir alors que les autres méfaits diminuent. À ce titre, la contribution des groupes de femmes est non seulement importante, mais essentielle. L’éducation et la sensibilisation qu’elles font auprès de la population et des principaux acteurs contribuent à prévenir les violences faites aux femmes, à contrer les préjugés et à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. Elles concrétisent le droit des femmes à vivre en sécurité et à exercer leur liberté et leurs choix.
 
Le dernier budget du Québec prévoit, entre autres, investir des fonds pour « développer les connaissances et faire partager l’expertise pour mieux agir » en matière de violences sexuelles. Il prévoit également d’« informer et sensibiliser la population afin de contrer la banalisation des violences sexuelles »4. Ces investissements ainsi que ceux qui visent à contrer la violence conjugale peuvent contribuer à assurer une pleine citoyenneté aux femmes. Espérons qu’ils se concrétiseront rapidement.
 
1. Sioui, Marie-Michèle. 2017. « Les langues se délient à Mont-Saint-Hilaire. Une autre femme se plaint du service déficient offert par la police ». In Le Devoir, 4 avril, p. A3.
2. Paré, Isabelle. 2017. « Partir, au péril de sa vie. La séparation est un moment à risque pour la femme, doivent savoir les policiers ». In Le Devoir, 12 avril, p. A1.
3. Buzzetti, Hélène. 2017. « La magistrature réprouve le projet de loi d’Ambrose. Le Conseil canadien préconise un engagement volontaire plutôt qu’une formation imposée ». In Le Devoir, 12 avril, p. A2.
4. Plan économique du Québec, mars 2017, p. B. 60-61. http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2017-2018/fr/documents/Plan... (consulté le 19-04-2017)