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Lettre de la rentrée - La conjoncture 2018-2019 en éducation des adultes

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Lettre de la rentrée - La conjoncture 2018-2019 en éducation des adultes

Par Pierre Doray et Daniel Baril.
Les auteurs sont respectivement président et directeur général de l’ICÉA

Chaque rentrée scolaire est un moment où l’éducation se trouve sous les projecteurs. L’attention publique se tourne vers ces centaines de milliers de jeunes qui reprennent la route des bancs d’école, après le congé estival. Or, la rentrée scolaire est aussi un moment fort pour des centaines de milliers d’adultes qui poursuivent ou reprennent des études dans des centres d’éducation des adultes, des centres de formation professionnelle, dans des établissements d’enseignement postsecondaire ou qui s’inscriront à des formations dans des organismes communautaires d’alphabétisation, d’éducation populaire ou de développement de l’employabilité. À ces personnes s’ajoutent toutes celles qui participeront à des activités d’apprentissage offertes dans diverses associations, qui se tourneront vers des pairs pour acquérir de nouvelles con-naissances ou qui par elles-mêmes se formeront en ligne. À l’heure de la rentrée scolaire 2018-2019, l’ICÉA propose son analyse de la conjoncture et des certains défis qui lui apparaissent importants.

La prochaine élection générale marquera sans contredit l’éducation au Québec, sans oublier l’éducation des adultes. Le gouvernement élu aura l’occasion de donner une nouvelle impulsion à cette dernière par la poursuite des politiques existantes, leur modification ou l’adoption de nouvelles politiques.
À cet égard, il importera de faire un suivi de plusieurs orientations et mesures en éducation des adultes annoncées dans les deux dernières années, dont la Politique de la réussite éducative (quelle place sera accordée à la réussite des adultes), la stratégie d’alphabétisation, le programme Objectif emploi, la mise en place de Qualification Québec et la mise en œuvre de la nouvelle Stratégie nationale de la main-d’œuvre. Les décisions à venir, concernant ces mesures, seront stratégiques pour des milliers de Québécoises et de Québécois et pour le Québec dans son ensemble.

Plus spécifiquement, l’action publique doit être plurielle. Ainsi, sur le plan des acquis scolaires, le Québec devient une société de plus en plus polarisée. Par exemple, le Québec, tout comme le Canada, figure en tête de liste des sociétés comptant sur une proportion élevée de sa population détenant une scolarité de niveau postsecondaire. Près du deux tiers de la population possèdent un diplôme de niveau postsecondaire. Mais, un tiers de la population est faiblement scolarisée. Dans ce contexte, le défi de la lutte aux inégalités en éducation consiste à soutenir l’accès à cette scolarité de base pour une portion minoritaire de la population. Dans un contexte de société fortement basée sur le savoir, ces populations faiblement scolarisées font face à d’importants risques d’exclusion socioéconomique et culturelle. Pour ces personnes, les bénéfices de la société du savoir peuvent devenir inaccessibles.

On se doit aussi de faire face aux nouvelles demandes de connaissances et de compétences qui s’imposent au quotidien. En ce sens, les individus doivent acquérir et maîtriser des connaissances et des compétences associées aux différentes sphères de leur vie, comme l’utilisation des technologies numériques, la gestion de leur santé, l’impact de leur mode de vie sur le développement durable, leurs finances personnelles, les relations interculturelles, la consommation, la participation citoyenne et l’intégration des nouveaux immigrants, etc. Cette nouvelle demande sociale de connaissances et de compétences élève les attentes en matière d’apprentissage et définit un nouveau contexte de l’éducation des adultes, un contexte marqué par l’omniprésence des exigences en matière de connaissances et de compétences diversifiées. Ipso facto, ne pas répondre à ces demandes élève les risques de précarisation ou d’exclusion socioéconomique et culturelle posées aux individus. Dès lors, il faut penser des mesures éducatives pertinentes pour toutes les catégories sociales et non seulement pour la main-d’œuvre.

Cette pression tous azimuts des exigences d’apprentissage pose un nouveau défi pour les lieux d’éducation et d’apprentissage des adultes. Ceux-ci, existant souvent depuis plusieurs décennies (ex. : établissements scolaires et institutions d’enseignement, groupes communautaires en alphabétisation, éducation populaire et en développement de l’employabilité), doivent répondre à une vaste gamme de besoins en matière de connaissances et de compétences et le faire en tenant compte des attentes des individus ainsi que de leurs conditions de vie, incluant leur disponibilité. De plus, ce paysage de l’offre d’éducation des adultes est en transformation, alors que de nouveaux lieux en émergence viennent redéfinir les possibilités d’apprentissage (ex. : autoformation en ligne, apprentissage par les pairs, microapprentissage, etc.).

Ces lieux établis ou en émergence d’éducation et d’apprentissage des adultes enrichissent l’infrastructure éducative au service des adultes, mais du même souffle ils la complexifient, ce qui n’est pas sans compliquer la tâche des politiques en éducation des adultes. Par exemple, reconnaître et mobiliser l’apport distinct de chacun de ces lieux, en tenant compte des conditions spécifiques de leur développement, élargit la portée des politiques en éducation des adultes. De même, la coordination de ces différents lieux, au profit de parcours d’apprentissage tout au long de la vie misant ou pouvant miser sur une diversité de possibilités d’apprentissage, implique l’adoption d’une vision systémique de l’infrastructure d’éducation et d’apprentissage des adultes.

La conjoncture actuelle de l’éducation des adultes est donc marquée par certaines tendances lourdes : la polarisation de la société, sur le plan des acquis d’apprentissage, et les situations de précarisation, d’exclusion et de marginalisation en découlant; l’omniprésence d’une demande sociale de connaissances et de compétences diversifiées concernant plusieurs sphères de la vie quotidienne, dans une société fortement basée sur le savoir; et la multiplication des lieux établis et en émergence d’éducation et d’apprentissage, enrichissant et complexifiant l’infrastructure d’éducation et d’apprentissage des adultes et appelant à l’adoption d’une vision systémique.

Cette conjoncture pose ainsi des enjeux lourds de conséquences, comme celui de la prise en compte des nouvelles formes d’inégalités éducatives dans une société du savoir, la diversification des lieux de formation et leur reconnaissance tangible. Définitivement, le prochain mandat de gouvernement fera face à des défis majeurs, dans le domaine de l’éducation des adultes.