La pandémie exerce une pression élevée et constante sur les sociétés. Pour atténuer les effets de cette situation, l’éducation des adultes est l’un des moyens sur lequel les sociétés peuvent compter. Or, dans la gestion de la crise, ce secteur fait face à un paradoxe : bien que son apport pourrait être important, il est peu sollicité par les gouvernements. En fait, des mesures prises ont même pour effet de précariser les organisations en éducation des adultes, au point de remettre en question leur viabilité économique. C’est ce qui ressort de trois déclarations rendues publiques ces dernières semaines sur l’éducation des adultes et la Covid-19.
Déclaration de l’Asia South Pacific Association for Basic and Adult Education (ASPBAE)
Dans sa déclaration, le réseau ASPBAE met en évidence les multiples conséquences de la pandémie (humaines, économiques, démocratiques, éducatives). Sur le plan éducatif, la déclaration rappelle que le droit à l'éducation doit être respecté, même en temps de crise majeure.
Depuis que les lieux d’éducation ont été dans l’obligation de fermer leur porte, la formation en ligne est devenue une solution de rechange. Or, ASPBAE attire l’attention sur des lacunes dans les solutions proposées. En fait, l’organisation estime que les mesures mises en place renforcent les inégalités en éducation des adultes. Car, explique ASPBAE, plusieurs populations marginalisées n'ont pas accès à l'équipement informatique et à du matériel didactique adaptée. La déclaration met plus particulièrement l'accent sur les besoins des filles et des femmes, des communautés ethnoculturelles, des personnes en situation de handicap et des adultes. De même, dans un contexte de formation en ligne, le personnel enseignant et toute personne formant les jeunes et les adultes font face à plusieurs défis logistiques et pédagogiques. À cette fin, la déclaration appelle à garantir la sécurité de ces personnes et à soutenir leurs efforts pour rejoindre toutes les personnes en apprentissage, en particulier, celles plus difficilement joignables (ex. : communautés rurales, personnes ayant des besoins spéciaux).
Plus largement, pour les adultes, les responsabilités découlant du contexte de crise sanitaire compliquent la création des conditions propices à la poursuite des apprentissages. Les répercussions économiques, notamment, la perte d'emploi, peuvent empêcher la poursuite des apprentissages. De manière plus particulière, cet impact économique sera plus marqué chez les femmes qui assument le poids de multiples responsabilités familiales. Pour contrer cet effet économique, ASPABE préconise des mesures financières qui transfèrent des fonds directement aux personnes, en particulier, aux femmes, et appelle à privilégier des actions protégeant les emplois.
Pour ASPABE, l'éducation des adultes pourrait faire les frais de priorités budgétaires privilégiant le financement de la santé et des coûts de la relance économique. Pour éviter des reculs budgétaires, la déclaration invite les gouvernements à protéger les budgets des missions éducative et sociale de l'État.
Réseau regroupant des organisations de la société civile, ASPABE met en évidence le rôle que ces dernières jouent dans les contextes de crise. L’accent est mis sur l'offre de services éducatifs aux populations, la diffusion d'information factuelle, le soutien à la prise de parole publique de la population dans les débats orientant la sortie de crise et la relance, le suivi des actions gouvernementales et sur l'appel à l'aide internationale.
Déclaration de la European Association for the Education of Adults (EAEA)
Un réseau européen a rendu publique une déclaration sur l’éducation des adultes dans le contexte de la pandémie. On y constate que les répercussions de la pandémie s’étendent à tous les pays, de même qu’à plusieurs sphères de la vie. En éducation des adultes, l’impact de cette crise pourrait être majeur, au point où l’EAEA estime que la viabilité économique de plusieurs organisations est à risque, alors même que celles-ci peuvent contribuer à atténuer les effets de cette crise.
La déclaration de l’EAEA fait ressortir que le modèle de financement de l’éducation des adultes aggrave les conséquences économiques de la pandémie. Basé principalement sur le nombre de participantes et de participants aux activités, ce modèle, explique l’EAEA, peut réduire à néant les revenus des dispensateurs de services éducatifs, notamment, lorsque le gouvernement interdit l’offre de services en présentiel, comme c’est le cas actuellement. Dans ce contexte, des assouplissements ont permis la comptabilisation des participantes et des participants aux activités offertes désormais en ligne. Or, s’étonne l’EAEA, ces possibilités n’ont pas été étendues à l’éducation des adultes dont plusieurs organisations ont pourtant fait migrer des activités en ligne. Finalement, un financement privilégiant les activités en ligne ne tient pas compte de la fracture numérique chez les organisations en éducation des adultes et leur personnel et d'obstacles à la participation en ligne suscités par la conciliation entre la famille, le travail et les études.
À ce jour, souligne la déclaration, nous ne connaissons pas encore la portée de l'impact de la crise sur l'éducation des adultes. Cependant, certains phénomènes sont observables, comme la réduction de l'accès à l'éducation des adultes et la précarisation d'organisations qui tiennent à bout de bras certains services essentiels à l’intention de personnes vivant des difficultés (ex. : mentorat, conseil).
Pour l’EAEA, les approches préconisées en éducation des adultes peuvent servir de modèle aux actions gouvernementales. Par exemple, la priorisation des personnes et des différentes sphères de leur vie et une gestion de crise fondée sur la recherche du bien-être des personnes, et non pas sur le profit économique, sont des perspectives pertinentes pour la crise en cours. En outre, la littératie médiatique des adultes est des plus urgente, alors que prolifère l'information sanitaire et que certaines populations sont méfiantes à l'égard des gouvernements. De plus, l'ancrage de l'éducation des adultes dans les communautés est aussi un atout sur lequel compter.
Des actions concrètes doivent être mises en œuvre, insiste l’EAEA, pour mettre l'éducation des adultes à contribution dans la gestion de la crise :
- Financer tous les services contractés en formation de la main-d’œuvre, même si ces services n'ont pu être offerts en raison des mesures gouvernementales prises pour contrer la crise ;
- Financer des mesures spéciales atténuant l'effet négatif de la crise, comme des bons d'éducation pour l'ensemble de la population, incluant, les populations migrantes ;
- Créer un fonds d’aide financière à la numérisation des services éducatifs des organisations à but non lucratif ;
- Inclure la participation en ligne dans la comptabilisation des participantes et des participants aux activités financées;
- Inclure aux fins de financement des activités misant sur l'autoformation en ligne ;
- Poursuivre et renforcer les stratégies fédérales (européennes) en éducation des adultes.
Déclaration de DVV International
L’organisation DVV International a contribué à la réflexion sur l’éducation des adultes en temps de crise sanitaire en publiant une déclaration. Les répercussions de la crise sanitaire se font sentir dans plusieurs sphères, fait ressortir cette déclaration. Dans le secteur de l'éducation des adultes, cette crise précarise plusieurs organisations et, craint DVV International, elle pourrait entraîner la disparition de plusieurs de celles-ci.
Il est clair pour DVV International que l'éducation des adultes peut contribuer à atténuer les effets de la crise et à la surmonter. Pour cette raison, l'organisation internationale appelle toutes les parties prenantes du secteur de l'éducation des adultes à faire face à la situation, notamment, en assurant le maintien de l'offre d'éducation non formelle dont les services et les approches sont particulièrement adaptés aux défis posés par la situation en cours.
DVV International met en valeur plusieurs des forces de l’éducation des adultes, qui en font un moyen d'intervention en mesure de relever les défis de la crise sanitaire : approche basée sur la demande et les conditions des personnes, flexibilité des moyens et des parcours d'apprentissage non formels, orientés vers l'action et transformationnels.
Dans sa déclaration, DVV International propose des actions qui misent sur ces forces ou qui soutiennent les organisations à l’œuvre dans le secteur :
- L’expérience dans la communication simplifiée pour joindre les populations marginalisées, particulièrement pertinente en matière de santé;
- Pallier la disparition des revenus des personnes en privilégiant des mesures génératrices de revenus, comme l’embauche dans le secteur des biens et des services sanitaires;
- Compter sur l'ancrage dans les communautés des organisations de l’éducation des adultes afin de mobiliser les communautés;
- Renforcer ou mettre en place des opportunités alternatives d'apprentissage, dans le but de pallier l'interruption des services éducatifs en présentiel et afin d'éviter l'aggravation de la crise en éducation qui prévalait avant la pandémie;
- Créer des occasions de réfléchir aux valeurs communes, notamment, la responsabilité, la solidarité et la citoyenneté active.
Pour DVV International, surmonter la présente crise force à mettre en place de nouvelles mesures, en plus de compter sur celles existantes. En ce sens, l’organisation propose :
- D’élargir les solutions misant sur le numérique : plateformes, formation non formelle, cours en ligne crédités;
- De développer les compétences numériques des parents accompagnant leurs enfants dans la poursuite en ligne des apprentissages ou en situation de télétravail;
- D’accroître la capacité de rejoindre les populations par l'entremise des médias sociaux et les moyens traditionnels de formation à distance que sont la radio et la télévision;
- D’offrir un soutien psychologique aux adultes affectés par la crise.
Miser davantage sur des moyens existants ou en créer de nouveaux impliquent de financer les choix effectués. DVV International soumet à la discussion des priorités en matière de financement de l’éducation des adultes.
- Accès des groupes vulnérables à l'infrastructure numérique ;
- Formation du personnel à l'utilisation des outils numériques et aux moyens de joindre les personnes en apprentissage;
- Accroissement de l'offre de formation continue en ligne pour les formatrices et les formateurs ainsi que les gestionnaires des organisations;
- Mise en place de communautés de pratique dans le domaine du développement des compétences numérique du personnel;
- Soutien des actions éducatives dans le domaine du numérique.
En éducation des adultes, il est urgent de mettre immédiatement en œuvre des actions, insiste DVV International. Car, après la crise, ce secteur traversera une crise existentielle. La déclaration urge les gouvernements à poser ces actions.
- Soutien des réseaux prenant la défense du rôle de l'État dans la gestion de la crise et de ses suites;
- Adoption de mesures qui ne profitent pas de la crise pour restreindre les lieux d'action et d'intervention de la société civile;
- Miser sur les organisations existantes, au lieu d'en créer de nouvelles;
- Privilégier des mécanismes de financement flexibles et sur mesure assurant la survie des organisations offrant des services d'éducation des adultes et des réseaux dans le secteur.
Pour DVV International, il est de la responsabilité du gouvernement d'assurer la survie du secteur de l'apprentissage et de l'éducation des adultes.
Sonner l’alarme sur la situation présente et à venir de l’éducation des adultes
Ces trois documents partagent plusieurs préoccupations. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne l’aggravation des inégalités résultant des mesures privilégiées, notamment, relativement à la formation en ligne. Adapter ces mesures aux réalités de populations déjà marginalisées reste à faire. Or, là où ces déclarations surprennent, c’est dans l’évaluation proposée de la situation de l’éducation des adultes et de l’avenir du secteur. La précarisation économique de plusieurs organisations en éducation des adultes sera lourde de conséquences, font valoir les déclarations. On appréhende une crise existentielle qui pourrait se conclure par la disparition d’organisations et l’affaiblissement généralisé de l’éducation des adultes. En ce sens, la priorisation éventuelle par les gouvernements du financement de la santé et de la relance économique risque d’accentuer la précarisation de l’éducation des adultes. Pour l'éducation des adultes au Québec et au Canada, ces considérations invitent à la vigilance.