Le point sur l’enseignement à distance dans les cégeps
Depuis le lundi 6 avril dernier, les activités d’enseignement ont repris à distance dans la plupart des cégeps du Québec. Dans plusieurs cas, cette reprise est intervenue à la suite d’une entente entre le personnel enseignant et la direction du collège. Par ailleurs, il apparait qu’une majorité d’enseignantes et d’enseignants estiment avoir été assez consultés au sujet des modalités de la reprise des activités d’enseignement à distance et jouir d’une grande liberté dans le choix des types d’enseignements à retenir pour y parvenir.
Voilà ce que révèle une enquête menée les 8 et 9 avril dernier par la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants (FNEEQ-CSN) auprès de 36 des 45 syndicats du regroupement cégep de la fédération (FNEEQ-CSN, 8-9 avril 2020). Compte tenu de son éloignement dans le temps, il est évident que ce portrait a évolué depuis.
Selon ce sondage, 33 des 36 syndicats consultés par la FNEEQ ont indiqué que la reprise à distance était amorcée dans leur collège depuis le 6 avril dernier. Deux syndicats faisaient état d’une reprise à partir du 14 avril et le dernier d’une reprise à partir du 16 avril.
Ententes, consultation et liberté de choix
Afin que la reprise à distance des apprentissages soit profitable à toutes et à tous, il apparait important de la fonder sur des ententes de collaboration entre les directions des cégeps et le personnel enseignant. Selon le sondage mené par la FNEEQ, cette condition essentielle semble avoir été atteinte dans un peu plus de la moitié des cégeps du Québec.
En effet, parmi les 36 syndicats sondés par la FNEEQ, 19 syndicats (53 %) ont indiqué qu’ils étaient parvenus à une entente (7 convenues en CRT et 12 non officielles) avec la direction de leur collège au sujet de la reprise à distance de l’enseignement. Cela dit, 13 syndicats (36 %) faisaient état de discussions toujours en cours et quatre syndicats (11 %) déploraient le fait que les conditions de reprise avaient été imposées par la direction.
Le sondage de la FNEEQ révèle par ailleurs que les modalités de reprise ont fait l’objet de consultations de la part de plusieurs directions de collège. En effet, 75 % des syndicats sondés par la FNEEQ soutenaient avoir été consultés par leur direction : 19 syndicats disaient avoir été « assez consultés » et huit syndicats disaient avoir été « très consultés ». Cela dit, le quart des syndicats sondés par la FNEEQ (neuf sur 36) estimaient tout de même avoir été « assez peu consultés » par leur direction. Ici encore, on constate le défaut d’une condition qui apparait essentielle au succès de la reprise à distance des apprentissages.
Finalement, 95 % des syndicats sondés par la FNEEQ (34 sur 36) répondaient non à la question de savoir si leur collège leur imposait des types spécifiques d’enseignement à distance. Les membres de ces syndicats estimaient ainsi jouir d’une « grande liberté » dans le choix des modes d’enseignement à retenir, notamment en ce qui concerne le caractère synchrone (en direct) ou asynchrone (en différé) des activités.
Il importe de souligner ici que la liberté de choix quant aux modes d’enseignement est susceptible d’avoir une grande influence sur le succès de la reprise à distance des apprentissages. Les formules pédagogiques qui se présentent comme des solutions de rechange à l’enseignement sont nombreuses : lectures, travaux, évaluations, forums ou lieux virtuels d’échanges, capsules vidéo, etc. Par ailleurs, les enseignements peuvent être diffusés à partir d’une grande diversité d’outils et de moyens (téléphone, courriel, visioconférence, TEAMS, LEA, MIO, Zoom, Moodle, etc.).
Dans cette perspective, il est important de donner aux responsables de l’enseignement la liberté de choisir les formules, les outils et les moyens les plus adaptés à la situation de toutes les personnes concernées. Cette liberté s’accompagne toutefois d’une obligation de s’assurer que les choix faits, notamment sur le plan technologique, conviennent aux personnes en apprentissage.
Le développement de la formation continue
La situation actuelle a sans contredit affecté le développement de l’offre de la formation continue au collégial. Ce type de formation offerte dans la plupart des cégeps s’adresse principalement aux apprenants adultes, aux entreprises, et à leurs travailleuses et leurs travailleurs. Selon les indicateurs développés par l'ICÉA, les adultes de 25 ans et plus (67 %) ainsi que les femmes (57 %) constituent la majorité des personnes inscrites à cet ordre d’enseignement (ICÉA, 2019).
La contrainte de l’enseignement à distance ainsi que l’annonce par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Programme actions concertées pour le maintien en emploi (PACME) ont poussé plusieurs cégeps à développer une offre adaptée à la situation de pandémie. C’est notamment le cas du collège de Maisonneuve, du cégep de Rimouski et du cégep John Abbott.
Le collège de Maisonneuve a récemment « bonifié son nombre de formations de courte durée offertes à distance pour les entreprises et les organisations. Ces formations couvrent différents champs d’application tels la bureautique, le multimédia, la réseautique, la gestion de projet, les ressources humaines, la gestion de la diversité culturelle, etc. (collège de Maisonneuve, 2020) » Quant au cégep de Rimouski, il propose désormais 35 formations offertes en ligne permettant aux entreprises de bénéficier du PACME (Cégep de Rimouski, 2020). La participation à ces formations requiert par ailleurs un équipement minimal (ordinateur, tablette ou Chromebook avec caméra, microphone et haut-parleurs).
Finalement, il semble que le cégep John Abbott ait pour sa part réussi à devenir un collège virtuel en 14 jours (Réseau collégial du Québec, 2020). Le cégep fait état d’une solide préparation et de l’utilisation d’infrastructures déjà existantes. Le cégep avait mis en place une cellule de crise dès la fin février et déjà commandé 150 ordinateurs portables à la mi-mars. Le cégep a par ailleurs misé sur « l’application Léa, un environnement de communication Prof-Étudiants intégré à Omnivox » qui « permet à chaque enseignant de diffuser aisément de l’information à ses classes, d’interagir avec les étudiants » (Réseau collégial du Québec, 2020). Dès les débuts de la crise, les enseignantes et les enseignants ont maintenu des liens virtuels avec la communauté étudiante afin de s’assurer de sa disponibilité. La FNEEQ déplore pour sa part que le cégep ait réussi ce tour de force en bousculant son personnel et en ne le consultant à peu près pas. Elle a dû intervenir de manière très soutenue afin que le cégep respecte les directives ministérielles ordonnant l’arrêt des activités jusqu’au 27 mars inclusivement.
Le sondage mené par la FNEEQ les 8 et 9 avril dernier questionnait les syndicats du regroupement cégep au sujet des décisions prises par leur collège « concernant les nouveaux cours qui devaient démarrer d’ici la fin de la session à la formation continue ». Les résultats obtenus montrent que les cégeps étaient alors partagés entre la décision d’offrir à distance les nouveaux cours à la formation continue, d’une part, et l’absence de décision, d’autre part. Il y a lieu de se demander ici si ces résultats ne sont pas révélateurs de disparités ou de déséquilibres à venir dans le développement de la formation continue du collégial au Québec.
Les cégeps jouent un rôle de premier plan dans le développement de la formation continue qui est offerte aux adultes en apprentissage des régions du Québec. À ce titre, les adultes de toutes les régions du Québec devraient pouvoir bénéficier d’une expertise minimale dans le développement de la formation continue qui leur est offerte à distance. Il y aura toujours des établissements en avance sur les autres, mais la contrainte de l’enseignement à distance ne devrait pas freiner le développement de la formation continue de certaines régions du Québec.
Les principales difficultés identifiées
Questionnés au sujet des obstacles susceptibles de nuire à la reprise à distance des activités d’enseignement, les enseignantes et les enseignants consultés par la FNEEQ ont souligné un grand nombre de difficultés et de problèmes (voir l’encadré 1).
Cette liste met en lumière la nécessité pour les directions des cégeps du Québec de favoriser la collaboration et le partage de connaissance entre les différentes unités administratives ou départementales des collèges. Elle souligne également la nécessité de fournir aux enseignantes et aux enseignants l’expertise nécessaire et le soutien professionnel leur permettant de trouver des solutions adaptées aux problèmes rencontrés.
Cette expertise existe aux niveaux local, régional et national. Elle a été développée par de nombreux établissements scolaires, collégiaux, universitaires et même communautaires au cours des dernières années. C’est le bon temps de la partager pour le bénéfice de tous. Il en va tout à la fois du succès des apprentissages de nombreuses personnes apprenantes et de la rentabilité des sommes investies par le gouvernement du Québec dans la réalisation de ces différents projets.
Citons à ce titre l’exemple de la commission scolaire Beauce-Etchemin, qui offre de la formation à distance depuis 20 ans et qui se dit « prête à partager son savoir-faire avec tout le réseau scolaire en cette période de pandémie » (Dion-Viens, 20 avril 2020). Citons également le collège de Rosemont, à Montréal, dont le partenariat avec Insertech, une entreprise de technologie locale, permet de fournir aux étudiantes et aux étudiantes les équipements nécessaires à la réussite de l’enseignement à distance (Collèges et instituts Canada, 20 avril 2020).
Citons finalement la TÉLUQ, qui offrira à partir du 4 mai une formation accélérée portant sur la formation à distance à l’intention des enseignantes et des enseignants – la création de cette formation est le fruit d’une entente conclue avec le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MÉES, 27 avril 2020).
Les autres obstacles en présence
Comme autres obstacles rencontrés dans la situation actuelle, les enseignantes et les enseignants mentionnent notamment la surcharge de travail, l’anxiété pour toutes les personnes concernées ainsi que les règles limitant l’accès au collège, notamment en ce qui concerne la récupération du matériel scolaire.
Bien qu’elle soit le lot de tout le personnel enseignant, la surcharge de travail apparait être plus problématique pour les enseignantes et les enseignants de la formation continue. Le sondage de la FNEEQ révèle en effet que 21 syndicats consultés ont indiqué que leur collège n’offrirait aucune rémunération supplémentaire pour l’adaptation des cours de la formation continue ainsi que pour l’encadrement plus poussé des étudiantes et des étudiants que ce type d’enseignement nécessite.
Par ailleurs d’autres questions liées à la rémunération des contrats non signés, les ressources de l'automne 2020 (notamment en ce qui concerne l’encadrement des étudiants) ou encore l’allongement des négociations et des discussions avec la direction sont également des sujets de préoccupation pour les enseignantes et les enseignants.
Et les adultes apprenants dans tout ça?
La reprise à distance de l’enseignement dans les cégeps du Québec concerne principalement les jeunes adultes de 24 ans et moins. Cela dit, il faut tenir compte du fait que de nombreux adultes de 25 ans et plus fréquentent les cégeps du Québec. En 2012, les adultes de 25 ans et plus représentaient 16 % de la population étudiante des cégeps, soit respectivement 8 % de l’effectif de la formation régulière et 63 % de l’effectif de la formation continue. Par ailleurs, sachant que la population d’adultes de 25 ans et plus à la formation continue a augmenté à 67 % en 2018, il est possible d’imaginer qu’elle ait également augmenté à la formation régulière.
Il est ainsi possible de soutenir que, de toutes les personnes actuellement inscrites dans les cégeps du Québec, au moins une sur six a 25 ans ou plus. Cette distinction s’avère importante dans la mesure où cette personne sur six est plus susceptible que les autres d’assurer seule sa sécurité financière ou d’assumer des responsabilités parentales. Pour cette dernière, les obstacles à la formation sont donc accrus.