Lors de la dernière campagne électorale au Québec, il a été peu question d’éducation. Il a fallu que plusieurs organisations et associations soulèvent le problème pour qu’on entende les politiciennes et les politiciens aborder un peu plus cet enjeu[1].
Le moins qu’on puisse dire c’est que l’éducation des adultes n’était pas sur les écrans radars durant la dernière campagne électorale. Certes, les partis politiques ont fait quelques annonces. Par exemple, le Parti Québécois (PQ) a lancé l’idée d’un grand chantier sur l’analphabétisme. Le Parti conservateur du Québec (PCQ), pour sa part, a fait une annonce concernant la francisation des personnes immigrantes. Cependant, dans l’ensemble, les engagements des partis en éducation concernaient beaucoup plus l’éducation des jeunes.
Des engagements en éducation des adultes
Pourtant, une analyse approfondie des plateformes électorales et des programmes des partis politiques qui étaient représentés à l’Assemblée nationale avant le déclenchement des élections montre qu’ils ont des engagements qui concernent l’éducation des adultes. Toutefois, ils ne sont pas présentés sous une rubrique « éducation des adultes » et plusieurs d’entre eux ne concernent pas exclusivement les apprenant·e·s adultes.
Par exemple, tous les partis politiques ont pris des engagements en ce qui concerne la francisation et la valorisation de la qualité de la langue française que ce soit pour les personnes immigrantes, les étudiantes et les étudiants anglophones dans les institutions d’enseignement supérieur ou encore la population en général (voir le tableau 1).
Dans le cas de la Coalition Avenir Québec (CAQ), bien que la création du guichet unique de services Francisation Québec soit rappelée, les engagements concernent plus la protection et la promotion de la langue française que la francisation en tant que telle[2]. De même, les engagements du PCQ en matière de francisation sont beaucoup plus détaillés dans le programme du parti que dans sa plateforme électorale.
Le PCQ et la CAQ ont pris des engagements pour valoriser les formations professionnelles et augmenter la diplomation dans ces filières dans l’optique de répondre aux besoins de main-d’œuvre. Pour la CAQ, l’augmentation de la diplomation sera possible :
[…] en accentuant la formation à distance, en utilisant la double diplomation (DEP et DES), en instaurant de nouveaux programmes courts comme celui ayant permis de former des préposés aux bénéficiaires et en augmentant notre enveloppe budgétaire de requalification pour les personnes sans emploi ou qui se réorientent (p. 41).
Tous les partis, à l’exception du PQ, ont pris des engagements concernant la formation et la requalification de la main-d’œuvre. Par exemple, on pouvait lire dans la plateforme de Québec solidaire (QS) : « Pour assurer une transition économique juste, nous créerons un fonds de requalification de la main-d’œuvre afin d’aider les travailleuses et les travailleurs des industries polluantes à se trouver un emploi vert à la mesure de leurs compétences » (p. 7). En lien avec la pénurie de main-d’œuvre, notamment dans le milieu de la santé, le Parti libéral du Québec (PLQ) et le PCQ s'engageaient à accélérer la reconnaissance des diplômes étrangers. QS prenait aussi cet engagement, pas seulement pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre, mais pour permettre aux personnes immigrantes de développer leur plein potentiel (p. 34).
Quelques engagements ont également été pris en matière d’enseignement supérieur. Le PLQ s’est engagé à poursuivre le développement de pôles d’enseignement supérieur en région pour équilibrer le bassin de main-d’œuvre à la grandeur du Québec et contribuer à la vitalité des régions, ainsi qu’à donner plus de souplesse aux cégeps dans l’élaboration de leur offre de formations, notamment pour leur permettre « à chacun d'eux d'attirer plus d'étudiants » (p. 46).
Le PLQ souhaitait également revoir le programme de bourses Perspective Québec pour « mieux soutenir certaines catégories d’étudiants dans la poursuite de leurs études » (p. 48). Sans référer à ce programme de bourses, le PCQ souhaitait toutefois offrir aux étudiant·e·s des secteurs considérés comme essentiels des « bonifications des bourses, remboursements de prêts, etc. » (p. 64). Il souhaitait également apporter des modifications au programme de prêts et bourses pour « que les étudiants travaillant pendant leurs études ne soient plus pénalisés » (p. 64).
De son côté, la CAQ s’est engagée à former et à recruter davantage de médecins et de professionnels de la santé. Le PCQ avait des engagements similaires, notamment pour augmenter les inscriptions en médecine et former plus de super-infirmières. La CAQ souhaite également promouvoir une « approche intégrée » en enseignement supérieur :
Les cégeps aussi bien que les universités regorgent de possibilités. Leur potentiel ne demande qu’à être mieux exploité, au bénéfice de l’enseignement, mais également de la recherche. Le savoir qui y est produit peut avoir des répercussions importantes sur l’économie à l’échelle locale et nationale. L’arrimage entre l’enseignement supérieur et les entreprises mérite cependant d’être bien meilleur (p. 44).
Afin de favoriser l’accès aux établissements publics d’enseignement, QS s’engageait à éliminer « tous les frais scolaires facturés dans les établissements publics, du préscolaire au secondaire, incluant la formation générale des adultes et la formation professionnelle » (p.17). Le parti s’engageait aussi à revoir l’encadrement du statut de stagiaire, à assurer une rémunération de tous les stages et à diminuer progressivement les frais pour les études postsecondaires (p. 17). Une autre mesure consistait en un engagement à poursuivre le développement du réseau des services de garde éducatif à l’enfance, notamment dans les milieux de travail et d’étude (p. 13). Des mesures susceptibles de contribuer à une conciliation études-famille-travail réussie.
QS a abordé d’autres enjeux reliés à l’éducation des adultes tels que la fracture numérique et l’importance de développer des compétences en littératie numérique. QS s’est également engagé à augmenter le financement à la mission des groupes d’action communautaire autonome ainsi qu’à promouvoir l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale dans les écoles, les organisations sociales, les milieux de vie et de travail.
Le programme de QS met d’ailleurs plus de l’avant l’importance de l’éducation des adultes et de l’apprentissage tout au long de la vie.
Par ailleurs, afin de favoriser un processus d’autoformation critique et d’éducation tout au long de la vie, un gouvernement solidaire élargira et facilitera l’accès à l’alphabétisation (traditionnelle et informatique) et à la formation générale, professionnelle et technique pour tous les adultes désirant faire un retour aux études ou avoir accès à du perfectionnement (p. 37).
Il est question, par exemple, de l’éducation à l’environnement, à la citoyenneté, à la nutrition, à la paix, aux médias, etc. De plus, il est question d’éducation et de sensibilisation à différents enjeux tels que la reconnaissance du travail non rémunéré. Pour ce faire, on souhaite mobiliser le système scolaire et reconnaître l’apport et l’importance du milieu communautaire, et notamment de l’éducation populaire. Par ailleurs, toute une section du programme concerne la formation continue comprise dans un sens large, dans les secteurs scolaires et non scolaires.
L’éducation des adultes et le déficit de gain politique ?
La comparaison que nous avons faite entre les plateformes électorales et les programmes de certains partis, notamment de QS et du PCQ, a révélé que ces derniers contenaient parfois plus d’engagements en matière d’éducation des adultes que les plateformes électorales. Par exemple, QS réfère à l’apprentissage tout au long de la vie dans son programme alors que cette notion est complètement mise de côté dans sa plateforme.
Pourquoi ces engagements n’ont-ils pas été repris ? Pourquoi ont-ils été si peu mis de l’avant durant la campagne électorale ? Est-ce parce qu’ils ne sont pas politiquement payants ?
Avec tous les défis et les transformations que vit notre société, une société qui aspire à être une société du savoir, et dans un monde en perpétuel changement, comment se fait-il que l’éducation des adultes ne fasse pas partie des priorités des partis politiques ? Est-ce parce qu’il y a une méconnaissance de tout ce à quoi réfère l’éducation des adultes ? Est-ce parce qu’est privilégiée une approche où les adultes doivent s’occuper eux-mêmes de leur éducation et de leur formation ?
On ne peut pas seulement mettre en place des mesures à court terme pour régler telle ou telle pénurie de main-d’œuvre. D’autant plus que certaines mesures et certains programmes de formation ne s’attaquent pas suffisamment aux enjeux qui ont des répercussions sur la participation des adultes à des activités d’apprentissage et de formation.
Penser l’éducation des adultes et l’apprentissage tout au long de la vie ?
Par ailleurs, peu ou pas de ponts sont faits entre l’éducation des jeunes et l’éducation des adultes. Par exemple, dans la plateforme électorale de la CAQ, on s’engage à ce que tous les enfants aient un « dossier numérique personnalisé qui les suivra tout au long de leur parcours scolaire [au primaire et au secondaire » (p. 42). L’idée est intéressante, mais le parcours scolaire d’une personne ne s’arrête pas une fois qu’elle a terminé ses études secondaires ou qu’elle atteint sa majorité. Il serait important de penser l’organisation et la gestion des parcours d’apprentissage tout au long de la vie.
De plus, peu de liens sont faits entre les solutions à mettre en place pour lutter contre différents problèmes et enjeux sociétaux identifiés par les partis et l’éducation des adultes. En effet, dans les plateformes électorales, il est question d’enjeux comme la lutte aux changements climatiques, la lutte contre le racisme ou encore le développement de l’économie numérique. Or, les partis ne prévoient rien ou presque pour sensibiliser, former et outiller les citoyens et les citoyennes.
L’éducation des adultes, c’est aussi le développement de connaissances et de compétences dans différentes sphères de la vie : environnement et développement durable, numérique, finance, santé, vivre-ensemble, citoyenneté, etc. C’est faire en sorte que les personnes possèdent les compétences nécessaires pour vivre, participer et travailler dans une société en constant changement, dans un monde où le numérique prend une place de plus en plus grande et où la crise climatique exige d’importantes transformations.
Quelle place pour l’éducation des adultes dans un deuxième gouvernement de la CAQ ?
Pouvons-nous espérer que la CAQ, dans son deuxième mandat, pose des actions importantes et structurantes en matière d’éducation des adultes comme l’adoption d’une nouvelle politique gouvernementale d’éducation des adultes ?
Durant la campagne électorale, lorsque nous avons demandé aux partis politiques s’ils s’engageaient à adopter une politique gouvernementale d’éducation et de formation continue, la réponse de la CAQ a été la suivante :
Si réélue, la Coalition Avenir Québec accordera davantage d’importance à l’apprentissage tout au long de la vie; les individus et les entreprises devront s’impliquer davantage pour s’adapter au rythme accéléré de changements qui caractérisent notre époque, particulièrement à la suite de la COVID-19. Il faut en arriver à éradiquer l’analphabétisme et l’insuffisance de formation de base et, ce faisant, lutter contre la pauvreté et l’exclusion (p. 2-3).
Cette réponse nous laisse perplexes et nous amène à nous interroger sur la volonté de la CAQ d’adopter une telle politique.
On se demande également de quelle manière le nouveau gouvernement entend accorder plus d’importance à l’apprentissage tout au long de la vie alors que cette notion n’apparaissait pas dans leur plateforme électorale. Nous avons l’impression qu’à force de tout compartimenter et de fonctionner en silo, le gouvernement n’a pas une compréhension globale du champ de l’éducation des adultes ainsi que des défis et des enjeux qui nécessitent de trouver des solutions appropriées et innovantes.
L’éducation des adultes est une composante essentielle de l’apprentissage tout au long de la vie. Comme le fait valoir l’UNESCO, les systèmes éducatifs qui font la promotion de l’apprentissage tout au long de la vie doivent adopter des approches holistiques faisant intervenir tous les secteurs et lieux d’éducation des adultes pour offrir des possibilités d’apprentissage à tous et à toutes (Éducation 2030 Cadre d'action, UNESCO 2015). Ainsi, si la CAQ souhaite accorder plus d’importance à l’apprentissage tout au long de la vie, il est fondamental de reconnaître et de valoriser l’éducation des adultes dans toute sa diversité, ce qui ne peut se faire efficacement que dans le cadre d’une nouvelle politique.
Penser l’éducation des adultes comme un bien public et un bien commun ?
La notion de bien commun réfère notamment au principe d’intérêt général. Un bien commun viserait l’intérêt de l’ensemble de la communauté, contrairement à l’intérêt particulier, et ses bienfaits seraient partagés entre tous les membres d’une communauté ou d’un groupe.
L’éducation des adultes joue un rôle important dans la société en favorisant l’épanouissement, le développement et l’autonomie des personnes, leur intégration sociale et leur participation active à la société (activités économiques, communautaires et politiques), ainsi que leur insertion et leur mobilité en emploi. Elle contribue également au développement, à la productivité et à la compétitivité du Québec.
Concevoir l’éducation des adultes comme un bien public et un bien commun permettrait de s’assurer que toutes les personnes aient accès à l’éducation et à la formation nécessaire à leur épanouissement personnel et professionnel. Cette conception permettrait également de valoriser et de reconnaître l’apport de tous les secteurs et lieux d’éducation des adultes, et l’importance de la participation et de l’engagement des citoyennes et des citoyens dans les orientations et les décisions en matière d’éducation.
Il est grand temps que le gouvernement pose des actions majeures en éducation des adultes vingt ans après l’adoption de la Politique gouvernementale d’éducation et de formation continue. L’utilisation de la notion d’apprentissage tout au long de la vie exige de réfléchir et d’agir en éducation des adultes.
Références pour les plateformes électorales et les programmes des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale avant les élections du 3 octobre dernier
Coalition Avenir Québec. Continuons. Plateforme électorale de la Coalition Avenir Québec. (2022). https://coalitionavenirquebec.org/wp-content/uploads/2022/09/caq-plateforme-coalition-avenir-quebec-2022-1.pdf
Parti conservateur du Québec (2022). Liberté 22. Plateforme du Parti conservateur du Québec. https://assets.nationbuilder.com/pcq/pages/5328/attachments/original/1663431621/WEB_FR_PLATERFOME_PCQ_22.08.2022_revis%C3%A9_light_2.pdf?1663431621
Parti conservateur du Québec (2021). Propositions adoptées. Congrès national 2021. https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/pcq/pages/5037/attachments/original/1637824783/Propositions_adopte%CC%81es_au_Congre%CC%80s_2021_du_PCQ.pdf?1637824783
Parti libéral du Québec (2022). Le livre libéral. https://secureservercdn.net/45.40.155.193/bmb.7a9.myftpupload.com/wp-content/uploads/2022/07/livreliberal-fr-v2.pdf
Parti Québécois (2022). Nos propositions. https://pq.org/nos-propositions/
Québec solidaire (2022). Changer d'ère. Plateforme électorale. https://assets.ctfassets.net/vgc87z7vc7p3/1L4uUzFshrjuWKvOozcHCB/1153149a7744a69c25af5fbb9ce33e48/E22-Plateforme-Web-1p.pdf
Québec solidaire (2019). Programme. https://api-wp.quebecsolidaire.net/wp-content/uploads/2021/09/programmeqs2019-1.pdf
[1] Voir, par exemple : Provost, A.-M. (2022). Où est l’éducation dans la campagne électorale ? Le Devoir (10 septembre). https://www.ledevoir.com/politique/quebec/754776/ou-est-l-education-dans-la-campagne-electorale-quebecoise ; Gaulin, L. et S. Lavoie (2022). L’éducation, grande oubliée de la campagne électorale ? La Tribune (20 septembre). https://www.latribune.ca/2022/09/20/leducation-grande-oubliee-de-la-campagne-electorale-6dea1108b30e36f544fa1bd05f1bc6e4
[2] Toutefois, dans une réponse que la CAQ nous a fait parvenir, on pouvait lire que : « Grâce à Francisation Québec, le gouvernement de la CAQ entend faciliter les démarches et diriger la personne vers le service le mieux adapté à ses besoins avec des cours de français en classe, en milieu de travail ou en ligne, ou encore spécialisé par domaine d'emploi » (p. 5).