Présentation des résultats de la consultation menée par l'ICÉA
Le 18 janvier 2023, l’ICÉA a organisé un webinaire pour présenter les résultats de sa consultation sur l’Opération main-d’œuvre. Cette consultation avait pour objectif de connaître le degré d’approbation des personnes répondantes à l’égard des constats et des préoccupations formulés par l’ICÉA concernant l’Opération main-d’œuvre (ICÉA, 2022).
Le webinaire visait également à échanger avec les membres de l’ICÉA et les partenaires du marché du travail sur les résultats de cette consultation ainsi qu’à leur permettre de partager leurs propres constats et préoccupations en lien avec l’Opération main-d’œuvre.
Cliquez ici pour consulter les résultats de la consultation : https://icea.qc.ca/fr/consultation-de-l'icéa-sur-l'opération-main-d'oeuvre-les-résultats.
Déroulement du webinaire
Pierre Doray a introduit l’activité en rappelant quelques moments marquants dans l’évolution de la formation professionnelle et technique au sens large.
Hervé Dignard a ensuite présenté les résultats de la consultation. De manière générale, les personnes qui ont répondu à la consultation sont dans une forte proportion en accord avec les constats que nous avons formulés. Un article présentant les résultats de la consultation sera publié prochainement sur le site de l’ICÉA.
Plusieurs enjeux abordés
Lors de la période d’échange, les participant·e·s nous ont fait part de leurs constats et de leurs préoccupations, et ont amené certaines précisions à nos constats.
La formation accélérée et ses répercussions
Durant la période d’échange, la question des formations accélérées a été abordée. L’un de nos constats était de dire que trois grandes stratégies avaient été mises de l’avant dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre :
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Former plus rapidement les personnes pour l’emploi;
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Recruter à l’étranger des personnes immigrantes dont les compétences correspondent à des besoins de main-d’œuvre ciblés;
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Favoriser le retour en emploi de personnes retraitées dont les compétences et l’expérience pourraient être utiles.
Des personnes participantes ont rappelé que dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre, les formations accélérées concernent surtout la formation professionnelle. On peut mentionner, par exemple, la formation accélérée pour devenir préposé·e aux bénéficiaires (PAB) en centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) qui mène à l’obtention de l'attestation d’études professionnelles (AEP) Soutien aux soins d’assistance en établissement de soins de longue durée (SSAES). Il a aussi été spécifié que certaines de ces formations sont non seulement accélérées, mais aussi plus courtes, car on a coupé dans la matière et donc, dans les connaissances et les compétences à développer. L’exemple du diplôme d’études professionnelles (DEP) Assistance à la personne en établissement et à domicile a été mentionné. C’est une partie du DEP qui est offert pour former rapidement les préposé·e·s aux bénéficiaires en CHSLD.
Il a également été question de la formation pour devenir infirmières et infirmiers auxiliaires menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) en Santé, assistance et soins infirmiers (SASI). Une voie accélérée a été mise sur pied en 2022. La formation est offerte en 14 mois à raison de 35 heures par semaine. Des participant·e·s au webinaire ont déploré les conditions d’apprentissage pour les personnes suivant la formation accélérée de même que les conditions de travail des enseignant·e·s.
Ces deux exemples de formation professionnelle mettent en lumière des modèles différents de formation accélérée. Il nous semble qu’on pourrait parler de formation accélérée raccourcie et de formation accélérée intensive.
D’autres formations ont également fait l’objet d’une annonce gouvernementale. C'est le cas de la formation en soutien administratif aux secteurs cliniques menant à l’obtention d’une AEP qui est d'une durée de huit semaines (240 heures). En septembre 2022, la CAQ a d’ailleurs annoncé son intention de développer neuf programmes courts de formation qui seraient rémunérés[1].
Selon les personnes participantes, la mise en place de formations accélérées au niveau de la formation professionnelle a de nombreuses répercussions. Ces formations contribueraient, par exemple, à alourdir la charge de travail d’autres travailleur·euse·s puisque les personnes formées n’auraient pas toutes les compétences requises, d’autant plus qu’elles seraient parfois amenées à œuvrer dans des milieux pour lesquels elles n’ont pas été formées. C’est le cas, par exemple, des préposé·e·s aux bénéficiaires ayant suivi la formation accélérée pour travailler en CHSLD, mais qui travaillent dans d’autres secteurs comme le milieu hospitalier. On déplore aussi le taux d’abandon élevé des élèves durant leur formation ainsi que les cas d’abandon de ces professions une fois sur le marché du travail.
En même temps qu’on reconnaît que l’Opération main-d’œuvre contribue à faire connaître la formation professionnelle, certaines personnes ont mentionné que la mise en place de formations accélérées contribue à la dévaloriser puisqu'on forme rapidement des personnes qui arrivent en emploi sans posséder toutes les compétences requises.
S’il existe des formations courtes à d’autres ordres d’enseignement comme les attestations d’études collégiales (AEC), il n’est pas question de la création de nouvelles formations courtes ou de diminuer la durée de formations existantes dans l’Opération main-d’œuvre sauf quelques exceptions. C’est le cas, entre autres de la certification collégiale en initiation à l’éducation à la petite enfance, une formation courte de 90 heures permettant d'occuper des emplois de personnel éducateur non qualifié dans le réseau des services de garde éducatifs à l'enfance (SGEE)[2].
Des réserves ont été émises concernant les nouvelles formations courtes au collégial ainsi que les nouvelles voies d’accès à la profession enseignante, notamment les programmes de maîtrises qualifiantes pour l’enseignement au préscolaire et au primaire.
Les domaines ciblés et les enjeux d'orientation
Plusieurs personnes ont déploré que l’Opération main-d’œuvre soit limitée à un nombre restreint de domaines[3] et que le gouvernement semble chercher avant tout à répondre à ses propres pénuries de main-d’œuvre.
Les enjeux d’orientation ont également été abordés en lien avec les secteurs ciblés. L’importance d’impliquer les personnes qui travaillent dans ce milieu, comme les conseillers en emploi, a été rappelé. Ces derniers peuvent aider les personnes à faire des choix éclairés en matière d’orientation.
On craint justement que des choix d’orientation soient faits en fonction des bourses disponibles dans certains domaines et programmes en particulier. Des problèmes de rétention pourraient se poser si des personnes ont choisi un programme uniquement pour les bourses offertes.
Durant la période d’échange, une personne œuvrant dans le milieu collégial a mentionné que des déplacements dans les inscriptions se sont produits. Ainsi, certains programmes d’étude ciblés par les bourses Perspective Québec dans le domaine des technologies de l’information ont vu leurs inscriptions considérablement augmenter au détriment d’autres programmes pour lesquels il y a aussi des pénuries de main-d’œuvre. Qu’en sera-t-il du taux de réussite et de persévérance? Il n’y a pas encore de données à ce niveau, mais on sent que les bourses offertes ont été très attractives.
Une personne mentionne que dans les phases subséquentes de l’Opération main-d’œuvre, d’autres domaines devaient être inclus tels que l’aéronautique, les énergies vertes, etc.
Formation transférable et qualifiante
Pour plusieurs personnes participant au webinaire, il est important que les formations soient transférables et qualifiantes. Cependant, pour d’autres acteurs, comme les entreprises, cela compte moins.
Durant le webinaire, des échanges ont justement porté sur la différence entre les formations créditées et les formations non créditées. Les certifications collégiales, qui sont des formations courtes non créditées fonctionnant à partir de l’approche par compétences (APC), sont un exemple de formation non créditée. Depuis quelques années, elles se développent dans le réseau des cégeps. Une personne se demande si la formation créditée est toujours nécessaire alors que certaines formations telles que les certifications collégiales viendraient répondre à des besoins et pourraient amener vers des formations créditées, par exemple des AEC.
Dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre, ce sont des formations créditées qui sont visées, des diplômes ministériels ou des diplômes délivrés par les établissements d’enseignement comme les AEC et les AEP.
La reconnaissance des acquis et des compétences
Quelques-uns des constats de l’ICÉA concernaient le fait de faire appel à l’immigration pour combler certains besoins de main-d’œuvre ainsi que la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) des personnes immigrantes. Quelques commentaires ont été faits concernant la déqualification que vivent beaucoup de personnes immigrantes dont les compétences et les acquis n’ont pas été reconnus. On a mentionné l’exemple des infirmières recrutées à l’international. Bien qu’elles soient recrutées parce qu’elles sont déjà infirmières, leur parcours d’intégration en emploi peut s’avérer long et complexe, et impliquer des mois de formation pour obtenir une AEC et réussir l’examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Pendant leurs études, elles peuvent travailler comme préposée·s aux bénéficiaires.
Dans la discussion, on a insisté sur l’importance de distinguer les notions de requalification et de reconnaissance des acquis et des compétences, bien qu’il y ait des liens entre elles. Les parcours qui visent à requalifier des personnes peuvent convenir à certaines personnes, mais pas à celles qui souhaitent se faire reconnaitre leur compétence et leurs diplômes. Les parcours de RAC impliquent encore pour beaucoup de personnes un processus de rediplomation.
Favoriser les passerelles entre les formations et penser en termes de parcours de formation
À la fin des échanges, Pierre Doray mentionne qu’il est important que l'Opération main-d’œuvre inclue des formations universitaires. Par le passé, cela n’a pas toujours été le cas dans des opérations similaires. Les programmes de bourses, comme l'actuel programme de bourses Perspective Québec, n’ont pas toujours permis à des personnes sans emploi de suivre une formation universitaire.
Il conclut en insistant sur le fait que le système d’éducation doit favoriser davantage les passerelles entre les formations. Il déplore que nous fonctionnions encore trop en silo et que nous travaillons et pensons peu en interordre, et souligne l'importance de penser en termes de parcours de formation. Il y a donc des enjeux importants en ce qui concerne la planification des programmes.
Pour visionner le webinaire
Si vous souhaitez écouter le webinaire, vous pouvez le faire ici : https://www.youtube.com/watch?v=DlkpC4TtUGg
Pour en savoir plus sur l’Opération main-d’œuvre :
Document complet sur l’Opération main-d’œuvre : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/emploi-solidarite-sociale/documents/RA_operation_maindoeuvre.pdf
ICÉA (2022). « Opération main-d’œuvre : repenser la formation pour l’emploi, la reconnaissance des acquis et l’immigration », Nouvelles, 8 avril 2022, site Internet de l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes. En ligne. https://icea.qc.ca/fr/actualites/op%C3%A9ration-main-d%E2%80%99%C5%93uvre-repenser-la-formation-pour-l%E2%80%99emploi-la-reconnaissance-des-acquis
Pour aller plus loin
Chronologie de la formation professionnelle et technique au Québec de 1945 à 2005 faite par le CDÉACF :
https://cdeacf.ca/dossier/chronologie-formation-professionnelle-technique-quebec
Pour en savoir plus sur le projet mené par ATF « Contrer les effets systémiques de la non-reconnaissance des diplômes étrangers sur les femmes immigrantes », voir : https://www.atfquebec.ca/projetrac/
[1] Pour en savoir plus sur cette annonce, voir : https://www.lapresse.ca/elections-quebecoises/2022-09-01/formation-profe...
[2] Pour en savoir plus, voir: https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/operation-main-doeuvre-une-offensive-majeure-pour-recruter-et-qualifier-des-milliers-de-nouvelles-educatrices-et-nouveaux-educateurs-de-la-petite-enfance-37385 et http://www.lescegeps.com/nouvelles/2022-10-25_nouvelle_certification_collegiale_premiers_pas_vers_leducation_a_la_petite_enfance
[3] Rappelons que les six domaines sont les suivants : la santé et les services sociaux, l’éducation, les services de garde éducatifs à l'enfance, les technologies de l'information, le génie et la construction.
[4] Pour en savoir plus : https://www.newswire.ca/fr/news-releases/priorites-de-la-federation-des-....