La plateforme Francobadges
L'ICÉA et le Réseau pour le développement de l'alphabétisme et des compétences (RESDAC) ont récemment lancé Francobadges, une toute nouvelle plateforme francophone de badges numériques ouverts. Développée avec la collaboration de CanCred Factory, cette plateforme offre aux organismes d’éducation des adultes de la francophonie canadienne la possibilité de valoriser des compétences, des apprentissages ou des acquis à l’aide de badges numériques ouverts.
Dans la cadre d’une consultation (accédez à la consultation), l’ICÉA et le RESDAC invitent les personnes et les organisations intéressées à explorer cette plateforme et ses fonctionnalités; puis à leur transmettre des commentaires et des suggestions d’amélioration.
L’événement public qui a permis de lancer cette consultation nous a tous rappelé que les possibilités offertes par les badges numériques sont encore méconnues, tout particulièrement en ce qui concerne la valorisation des acquis non formels.
Rappelons ici qu’un badge numérique est « un fichier numérique » dont la représentation visuelle présente et valorise un apprentissage ou un accomplissement. Un badge numérique est généralement « composé de données structurées (métadata) qui sont validées, cryptées et décernées par le système de badge selon les configurations de l’organisme émetteur. (Laniakea Technologies, 2023) » Consulter le lien suivant pour en apprendre plus sur les badges numériques ouverts : https://openbadgefactory.com/fr/a-propos-des-open-badges/.
Comprendre les badges numériques
La compréhension de ce que sont les badges numériques est un objectif à atteindre (collectivement) pour favoriser et généraliser leur utilisation. Cette compréhension passe par des apprentissages essentiels que toute organisation qui souhaite utiliser efficacement la plateforme Francobadges devrait réaliser.
Quelles que soient leurs motivations, les personnes intéressées devront notamment apprendre à créer des badges numériques et à les émettre. Ces personnes devront également apprendre à générer les conditions propices à l’utilisation des badges numériques au sein de leur organisme et par les adultes apprenants qu’elles ciblent.
Créer un badge numérique n’est que le premier défi à relever dans l’utilisation de la plateforme Francobadges. Ce badge créé, il faut l’émettre auprès des bonnes personnes et s’assurer que ces personnes sauront comment utiliser ce badge afin de valoriser leurs acquis. Le succès de ces opérations sera d’autant plus facile à atteindre si on se pose les bonnes questions.
La création d’un badge numérique
La création d’un badge numérique réclame de s'interroger sur sa raison d’être et son utilité : Qu’est-ce qui sera reconnu? De quelle manière? Pour quelles raisons? La dernière de ces questions est certainement la plus importante, puisqu’un badge qui n’a pas de réelle utilité – ou dont l’utilité n’est pas reconnue – ne sera pas utilisé par ses destinataires.
L’exemple de l’ICÉA
La décision de l’ICÉA de s’engager dans la création de badges numériques a fortement été influencée par le développement de l’outil Nos compétences fortes (NCF). Cet outil de valorisation et de reconnaissance des forces des personnes comprend un référentiel de 22 compétences génériques. Ces compétences sont rapidement apparues comme des objets de reconnaissance et de validation pour d’éventuels badges numériques.
Le référentiel qui les présente est connu de nombreuses organisations en éducation des adultes. Il fournit par ailleurs les renseignements essentiels à la construction de badges. Qui plus est, le processus d’autoreconnaissance et de reconnaissance par les pairs de la démarche Nos compétences fortes permet d’identifier, pour chaque personne participante à des ateliers NCF, des compétences génériques fortes dont la valeur peut être appuyée par des preuves de reconnaissances recueillies tout au long de l’animation des ateliers.
En réponse à la question de savoir ce que des badges numériques NCF pouvaient reconnaître, trois objets de reconnaissance apparaissaient :
1) La participation à la démarche NCF
Ce premier type de badge permet à l’ICÉA de reconnaître la participation active d’une personne aux ateliers NCF. La participation des personnes est déjà soulignée à la fin des ateliers NCF, avec la remise d’une attestation papier. Cependant, l’émission d’un badge de participation constitue une valeur ajoutée pour la personne participante, car ce certificat numérique portable fournit des précisions sur la démarche Nos compétences fortes et ses objectifs de formation qu’on ne peut inclure sur le certificat papier.
2) Les compétences génériques fortes
Ce deuxième type de badge permet à l’ICÉA de reconnaître chacune des compétences génériques fortes qui composent le portrait personnel de la personne participante aux ateliers NCF. Lors de ces ateliers, chaque personne participante se reconnaît en moyenne cinq compétences génériques fortes tirées du référentiel des compétences génériques de l’ICÉA. Nous avons donc créé des badges numériques qui présentent ces compétences, tout en expliquant quand, comment et où elles ont été reconnues à titre de forces d’une personne. Ces badges permettent à la personne participante de faire valoir plus efficacement ses compétences fortes auprès d’un employeur, par exemple.
3) L’expertise et la spécialisation en animation d’ateliers NCF
Ce denier type de badge permet à l’ICÉA de reconnaître l’expertise et la spécialisation d’une personne dans l’animation d’ateliers NCF. Quatre badges d’expertise en animation reconnaissent les réalisations de la personne qui a été formée à l’animation d’ateliers NCF en présence. Alors que deux badges de spécialisation en animation reconnaissent les réalisations de la personne qui a été formée à l’animation d’ateliers NCF en ligne.
Comme l’illustre ce qui précède, ces trois types de badges numériques ont une fonction précise. Ils se fondent par ailleurs sur des éléments clairement identifiés de la démarche Nos compétences fortes. Finalement, ces badges sont appuyés par des preuves qui démontrent la participation à des ateliers NCF, la participation à une formation spécialisée en animation d’ateliers NCF ou l’animation effective d’ateliers NCF.
Cette expérience de création montre que plus les éléments sur lesquels repose un badge numérique sont explicites et détaillés, plus il sera facile de fournir des réponses aux questions qui président à sa création : Qu'est-ce que ce badge reconnaît? De quelle manière? Pour quelles raisons?
Penser la reconnaissance
Cet exercice de création a également été l’occasion de réfléchir à la reconnaissance qui prend forme avec les badges numériques. Cette reconnaissance et la valeur qu’on lui accorde sont des sujets de préoccupation pour toutes les organisations qui utilisent peu de mécanismes formels d’évaluation dans la réalisation de leurs activités.
Une activité de formation formelle ou non formelle, dont les apprentissages sont planifiés et décrits dans une documentation de référence, peut facilement mener à différentes formes d’évaluation sommative. Que ces évaluations soient formelles ou non formelles, elles constituent des mesures des apprentissages que l’organisation peut mettre en valeur dans un badge numérique. Dans cette perspective, la disponibilité de mesures quantitatives, sinon qualitatives, peut apparaître essentielle à la création d’un badge numérique. Pourtant, ce n’est pas une nécessité : de nombreux badges numériques, comme ceux de l’ICÉA, ne reposent sur aucune forme d’évaluation sommative.
Valoriser les résultats d’une animation d’ateliers NCF
Nous l'avons déjà souligné, les activités liées à l’outil Nos compétences fortes ne mènent à aucune forme d’évaluation sommative des apprentissages ou des acquis. L’animation d’ateliers NCF, elle ne permet aucune évaluation des apprentissages faits par les personnes participantes ou des compétences génériques fortes qui leur sont reconnues. Quant aux formations liées à l’animation d’ateliers NCF, elles permettent de réaliser des évaluations formatives et non formelles dont le but est de s’adapter au rythme d’apprentissage des personnes en formation.
L’idée même d’évaluation (d’une compétence générique forte à l’aide d’un niveau de maîtrise par exemple) est contraire à l’esprit de Nos compétences fortes. En effet, cette démarche se fonde sur une dynamique de reconnaissance essentiellement positive et réaliste (ICÉA, 2013). L’objectif des ateliers NCF n’étant pas de souligner les manques d’une personne, mais de l’aider à identifier ses forces et à comprendre comment elle peut les utiliser le plus efficacement possible.
Cette dynamique s’inscrit dans un processus d’apprentissage continu qui débute avec l’autoreconnaissance et se poursuit avec la reconnaissance par les pairs. D’abord, la personne parle de ses expériences de vie : elle nomme une compétence, elle présente des capacités qui appuient la maîtrise de cette compétence et elle établit des liens entre ces capacités et ses expériences de vie. Ensuite, les membres du groupe examinent l’argumentation de la personne : par leurs questions, ils valident la compétence revendiquée ou ils orientent la personne vers une autre compétence, qui serait plus forte que la compétence initialement présentée.
Cette dynamique engage la participation active de toutes les personnes qui composent un groupe d’animation NCF. Que ce soit pour parler de leurs compétences ou reconnaître celles des autres, ces personnes doivent s’engager dans la vie du groupe en apprentissage. Cet engagement est directement observé par la personne responsable de l’animation; il est même soutenu par ses interactions. À l’issue des ateliers NCF, cet engagement permet de construire un portrait des compétences génériques fortes de chaque personne participante. Ces portraits personnels (et les compétences génériques fortes qu’ils nomment) sont des preuves de la participation active à des ateliers NCF et de la reconnaissance par les pairs ainsi générée.
Voilà pourquoi, même en l’absence de mécanismes d’évaluation, il est possible d’accorder une valeur à la reconnaissance qui prend forme dans les badges numériques NCF de participation et de compétences. Le badge de participation émis sur recommandation de la personne responsable de l’animation atteste de la participation active aux ateliers NCF et de l’engagement dans la vie du groupe en apprentissage. Quant aux badges des compétences, ils attestent de la reconnaissance par les pairs qui est accordée aux compétences génériques fortes revendiquées par une personne lors des ateliers NCF – reconnaissance dont la preuve est fournie à l’ICÉA par la personne responsable de l’animation.
Valoriser les résultats d’une formation en animation d’ateliers NCF
La reconnaissance qui prend forme dans les badges d’expertise et de spécialisation en animation d’ateliers NCF rend elle aussi compte d’un processus d’apprentissage continu. Ce processus débute avec les formations spécialisées en animation offertes par l’ICÉA et il se poursuit dans l’action lorsque les personnes formées animent des ateliers NCF en présence ou à distance.
Dans cette perspective, les quatre badges d’expertise en animation d’ateliers NCF doivent être appréciés et reconnus comme le tout qu’ils forment. Un badge d’entrée (niveau 1) certifie que la personne a été formée à l’animation d’ateliers NCF en présence et les autres badges (niveaux 2 à 4) rendent compte de la réussite d’un nombre croissant d’animations d’ateliers NCF. Il faut comprendre ici que les preuves d’animation transmises à l’ICÉA, notamment les portraits personnels des compétences génériques fortes reconnues aux personnes participantes, démontrent à la fois la participation active de ces personnes et la réussite des ateliers NCF revendiquée par les personnes qui souhaitent obtenir ces badges d’expertise en animation.
La même appréciation globale est de mise pour les deux badges de spécialisation à l’animation en ligne : le premier atteste que la personne a participé à la formation « Animer des ateliers Nos compétences fortes (NCF) en ligne » et le second reconnaît l’animation effective d’ateliers NCF en ligne sous l’observation silencieuse d’une formatrice ou d’un formateur de l’ICÉA. Il importe ici de préciser que cette observation silencieuse ne vise pas à évaluer ou à juger la qualité de l’animation réalisée en ligne, mais bien à fournir l’aide et l’encadrement nécessaires à la réussite d’une première animation d’ateliers NCF en ligne. Cela dit, cette observation silencieuse fournit également une preuve de la réussite de cette animation d’ateliers NCF en ligne.
Tout comme c’est le cas des badges de participation et de compétences, il est également possible d’accorder une valeur à la reconnaissance qui prend forme dans les badges d’expertise et de spécialisation en animation.
Parler de valeur plutôt que d’évaluation
Comme souligne ce qui précède, la création de badges numériques mène inévitablement à un questionnement sur la valeur qu’il est possible de leur accorder et ce qui permet de calculer ou de quantifier cette valeur, sinon de la révéler, de l’établir ou de la démontrer.
Sachant qu’aucune forme d’évaluation ne s’accorde avec l’esprit de Nos compétences fortes, il était hors de question de calculer ou de quantifier la valeur des badges numériques NCF. L’aspect quantitatif de cette question a donc été écarté au profit de ce que représentent les résultats observables reconnus par ces badges. La participation active observée par les personnes responsables (en formation ou lors des ateliers NCF), les preuves d’animation d’ateliers NCF fournies à l’ICÉA et les portraits personnels des compétences génériques fortes reconnues aux personnes participantes aux ateliers NCF : voilà trois différents résultats qu'il est possible d'associer à une utilisation réussie de l’outil Nos compétences fortes. Ce sont ces trois résultats que les badges numériques NCF valorisent.
Les organisations qui souhaitent créer des badges numériques ne doivent donc pas hésiter à définir la valeur d’un badge à la lumière des objectifs ou des visées d'une activité, en valorisant les résultats obtenus et en s’affranchissant d’une logique quantitative centrée sur l’évaluation.
D’ailleurs, comme l’illustre la figure 1, si le badge numérique se présente comme un moyen de reconnaître potentiellement toutes les formes d’apprentissages, c’est justement parce que sa valeur se révèle dans un cadre de reconnaissance flexible – où le simple fait de participer peut être reconnu comme un accomplissement.
FIGURE 1
Échelle de la reconnaissance, de l’appréciation informelle à l’évaluation sommative formelle
Et la question de l’utilité?
Même si ce qui précède montre que les badges numériques NCF ont été créés à la suite d’une solide réflexion sur leur raison d’être, la question de leur utilité demeure entière. L’ICÉA ne doute pas que les badges numériques NCF soient utiles ni que les personnes qui les recevront puissent les utiliser pour faire valoir leurs compétences. Cela dit, l’ICÉA ne possède aucune certitude quant à l’utilisation effective de ces badges numériques.
Il est à prévoir que des personnes ne sauront pas comment utiliser leurs badges numériques. D’autres ne comprendront pas la valeur ajoutée que présentent ces badges numériques. Finalement, certaines personnes ne les utiliseront pas parce qu’elles sont confrontées à différents obstacles qui caractérisent les fractures numériques, notamment en ce qui concerne leurs compétences numériques.
Dans cette perspective, notre action ne peut se limiter à émettre des badges en souhaitant que les personnes qui les reçoivent sachent comment les utiliser et qu’elles aient la volonté de le faire. L’émission de badges numériques doit être appuyée par une aide à leur utilisation. Idéalement, chaque personne qui reçoit un badge numérique devrait avoir accès à de la documentation en ligne qui explique ce qu’est un badge et comment l’utiliser. Ces personnes devraient également pouvoir compter sur l’assistance (en direct ou en différée) d’une personne qui répondra à leurs questions.
Ces mesures d’aide et d’accompagnement peuvent représenter un investissement conséquent pour une organisation. Cependant, elles apparaissent essentielles à l’utilisation effective des badges numériques. L’aspect positif, c’est que ces mesures favorisent l’appropriation et l’utilisation des badges numériques. Il faut les voir comme un investissement à long terme que chaque organisation réalise à la mesure de ses moyens.
Référence
ICÉA (2013). Nos compétences fortes, manuel d’animation, Édition 2013, 182 p.
Laniakea Technologies (2023). « Présentation : définition des badges numériques », page Web du site de Laniakea Technologies, mise à jour du 29 avril 2024. En ligne : https://www.badgenumerique.com/presentation/.