Une des conséquences des inégalités sociales est l’invisibilisation de certains groupes sociaux durant la COVID-19. Ainsi, les personnes en situation de handicap, les personnes LGBTQ2+, les Autochtones et les personnes immigrantes ou racisées ont très peu occupé, sinon pas du tout, l’espace médiatique durant la présente pandémie. Au sein même des organismes d’éducation des adultes, leurs réalités ne sont pas toujours connues.
Et pourtant, les conséquences de la COVID-19 sont souvent multipliées pour ces populations. Afin de remédier, un tant soit peu, à cette méconnaissance et à cette invisibilisation, nous avons soulevé un certain nombre d’enjeux pour chacun de groupes sociaux susmentionnés. Précisons que les personnes racisées sont nées au Canada et appartiennent à une minorité visible. Pour leur part, les personnes immigrantes n’appartiennent pas forcément à une minorité visible, par exemple les personnes blanches d’Europe. Le terme « caucasienne » est souvent utilisé pour parler des personnes à la peau blanche.
Les personnes en situation de handicap
Les consignes liées à la pandémie étaient justifiées par la nécessité de protéger les plus « vulnérables » d’entre nous. Or, les personnes en situation de handicap (PSH) vivent un nombre important de conditions qui les placent parmi les personnes les plus à risque de contracter la COVID-19 ou de vivre des complications. Pourtant, les PSH ont très peu occupé la scène médiatique.
Alors que le nombre de PSH augmente sans cesse dans les institutions d’enseignement postsecondaire, elles ont été très peu prises en compte. Voici quelques exemples tirés d’un sondage mené par l'Association québécoise pour l'équité et l'inclusion au postsecondaire :
- Ce ne sont pas toutes les plateformes [numériques des institutions postsecondaires] qui sont universellement accessibles. »1, par exemple pour les personnes en situation de handicap visuel;
- Les cours sur vidéos ne sont pas toujours sous-titrés ou accompagnés d’un·e interprète en langue des signes québécoise (LSQ). Si le cours ne peut pas être visionné en différé, il n’est pas évident que les PSH faisant appel à d’autres personnes pour prendre des notes de cours pourront avoir accès à un tel service;
- Au moment du sondage, les PSH se demandaient si les ententes d’accommodement concernant les modes d’évaluation tiendraient toujours (prendre plus de temps pour passer un examen, par exemple);
- Alors que plusieurs résidences universitaires ont été fermées, il devenait plus difficile pour les PSH qui ont besoin d’aménagement particulier de se reloger, surtout en période de pénurie de logements dans les centres urbains.
Les personnes appartenant à une minorité sexuelle ou de genre
Les personnes appartenant à une minorité sexuelle ou de genre (lesbienne, gaie, bisexuelle, transsexuelle, queer, bispiritualité2 et plus, d’où l’acronyme LGBTQ2+) sont également touchées différemment par la COVID-19.
Le CAPRES a porté à notre attention un article publié par The Chronicle of Higher Education au sujet des impacts de la COVID-19 sur les personnes LGBTQ2+ fréquentant l’Université de Stratford aux États-Unis. Certains constats s’appliquent aussi au Canada et au Québec.
Il en ressort que les collèges et les universités peuvent être des lieux plus rassurants pour les personnes qui se questionnent sur leur identité sexuelle ou de genre ou qui vivent leurs premières expériences en ce sens. Les institutions postsecondaires peuvent offrir davantage de ressources : des cours académiques sur ces questions, des associations étudiantes LGBTQ2+, des activités socioculturelles et le soutien par les pairs.
La fermeture des collèges et des universités prive les personnes LGBTQ2+ d’un milieu qui pouvait être sécurisant et soutenant. De plus, le retour dans le milieu d’origine peut obliger à un « coming out » non choisi ou, au contraire, à cacher son identité. La possibilité de faire face à un rejet, à du mépris ou à de la discrimination met grandement à risque la santé mentale des personnes LGBTQ2+.
De fait, « trois déterminants importants d'une santé mentale et d'un bien-être positifs sont : l'inclusion sociale; l’absence de discrimination et de violence; et l’accès aux ressources économiques »3.
Or:
- « Les personnes bisexuelles et trans sont surreprésentées parmi les Canadiens à faible revenu »3;
- « Les personnes LGBTQ sont victimes de stigmatisation et de discrimination [par exemple lors de la recherche de logement, de services de santé ou de services sociaux] tout au long de leur vie et sont la cible d'agressions sexuelles et physiques, de harcèlement et de crimes de haine »3.
Les Autochtones
Les Autochtones vivent des situations qui augmentent leur risque de contagion et d’effets plus graves de la COVID-19. L’accès à l’information, y compris les conseils sanitaires et les programmes d’aide disponibles, reste un élément d’une grande importante pour assurer la sécurité et la santé des Autochtones comme de toute autre population. Cependant, cet accès demeure un défi pour les populations autochtones, et ce, pour différentes raisons.
D’abord, le français ou l’anglais sont souvent des langues secondes sinon tierces pour plusieurs Autochtones. Aussi, leur niveau de littératie dans ces deux langues est plus faible que chez les non-Autochtones4. Enfin, l’éloignement géographique limite l’accès à l’information.
D’autres facteurs contribuent au risque plus élevé de contagion. Par exemple, dans les communautés, l’isolement géographique limite l’accès aux soins de santé. Les taux de logements vétustes et de surpopulation dans les logements sont plus élevés que chez les non-Autochtones. Le taux de ménages multigénérationnels est également plus important que chez les non-Autochtones; ce qui augmente les risques de contagion des personnes aînées5. Enfin, certaines communautés n’ont toujours pas accès à l’eau courante.
Par ailleurs, une proportion plus importante d’Autochtones, vivant en ou hors communauté, ont des problèmes de santé préexistants qui peuvent augmenter le risque de complication de la COVID-195.
En outre, plusieurs actrices et acteurs autochtones déplorent le manque de données précises sur le nombre d’Autochtones atteint·e·s de la COVID-19 qui vivent en ou hors communauté. Or, ces données sont essentielles pour prendre des décisions éclairées par et pour les Autochtones6.
Les personnes immigrantes ou racisées, surtout des femmes
Il aura fallu une éclosion importante de COVID-19 dans le quartier Montréal-Nord pour mettre en lumière que les personnes immigrantes ou racisées sont surreprésentées dans des professions qui sont sur la ligne de front dans la lutte au virus. On pense aux personnes qui travaillent dans les services de soin (préposées aux bénéficiaires, concierges, etc.) et les secteurs du transport et de l’alimentation. Sauf en ce qui concerne le secteur des transports, ces emplois sont généralement occupés par des femmes et souvent peu rémunérés.
Rappelons que les personnes immigrantes sont, globalement, plus scolarisées que les personnes natives du Canada. « Les critères de sélection de l’immigration adoptés au Canada et au Québec expliquent en partie ce fait »7. Cependant, le racisme fait en sorte qu’elles auront plus de difficulté à trouver un emploi malgré leur diplôme7.
Par ailleurs, la difficulté à faire reconnaître leur diplôme ou leur expérience de travail acquis hors du Canada les amènent à occuper des emplois pour lesquels elles sont surqualifiées. Ce faisant, les personnes immigrantes occupent plus souvent des emplois à forte demande de main-d'œuvre qui exigent peu ou pas de qualification; des emplois que les personnes natives désinvestissent.
Les personnes racisées sont, elles aussi, proportionnellement plus nombreuses à occuper des emplois exigeant peu ou pas de qualification offrant des conditions de travail moindre. La pandémie nous en donne un bon exemple dans le secteur des soins à la personne. De fait, en 2015 au Québec, 65 535 personnes appartenant à une minorité visible (immigrantes ou non) occupaient un poste d’aide-infirmièr·e, d’aide-soignant·e et de préposé·e aux bénéficiaires comparativement à 50 215 personnes n’appartenant pas à une minorité visible8.
Il aura aussi fallu une manifestation, le 23 mai 2020, devant le bureau de circonscription du premier ministre du Canada, Justin Trudeau, pour que l’on mette en lumière le fait que plusieurs personnes qui demandent l’asile au Canada risquent leur vie en occupant des emplois classés comme essentiels dans la lutte au coronavirus9. D’ailleurs, Marcelin François, un demandeur d’asile de 40 ans en attente de statut et qui occupait un poste de préposé aux bénéficiaires, est décédé des suites de complications de la COVID-1910.
Enfin, la Ligue des droits et libertés a souligné le fait que l’on ne connaît pas l’impact de la COVID-19 sur les personnes racisées parce que le Canada ne collige pas de données à cet effet. Or, si l’on se fie aux données américaines, ces personnes sont davantage touchées par le virus compte tenu des conditions socioéconomiques moins avantageuses dans lesquelles elles se trouvent souvent et qui augmentent le risque de contracter le virus (emplois peu rémunérés, mais plus exposés au virus, petit logement parfois surpeuplé, etc.)11.
Conclusion
Après des décennies de lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, on a pu constater un gain : les femmes ont été plus visibles durant la présente pandémie. En effet, le gouvernement et les médias ont assez rapidement mis en lumière le risque d’une augmentation de la violence conjugale à l’égard des femmes et des enfants en période de confinement. Le gouvernement québécois a même octroyé un financement supplémentaire aux organismes qui travaillent sur les questions de violence conjugale et des publicités invitant les personnes à faire appel aux ressources existantes tournent à la télévision. Un peu plus tard, on a mis en lumière le fait que près de 80 % des emplois jugés essentiels sont occupés par des femmes (secteurs de l’alimentation, des soins aux personnes aux proches, etc.).
Ces acquis doivent être maintenus et renforcés. Cette mise en lumière doit aussi s’appliquer aux groupes sociaux qui sont l’objet de discrimination, d’oppression et de marginalisation. Un travail d’éducation et de sensibilisation est à initier ou à poursuivre à ce sujet.
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1 L'Association québécoise pour l'équité et l'inclusion au postsecondaire, 8 avril 2020, « Consultation avec étudiants en situation de handicap sur les cours à distance ». Consulté le 29 avril 2020 : https://aqeips.qc.ca/publications/rapports/consultation-avec-etudiants-e...
2 La bispiritualité est un terme utilisé par les nations autochtones d’Amérique du Nord pour « décrire des individus non conformes aux normes de genre communément admises dans les sociétés occidentales : femmes ou hommes ». Wikipédia, consulté le 1er juin 2020 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bispiritualit%C3%A9
3 Canadian Mental Health Association Ontario : https://ontario.cmha.ca/documents/lesbian-gay-bisexual-trans-queer-ident...
4 Brossard, Louise. 2019. « Les peuples autochtones : des réalités méconnues à tout point de vue », dans Apprendre + Agir, Montréal : Institut de coopération pour l’éducation des adultes, p. 26. En ligne : https://icea-apprendreagir.ca/les-peuples-autochtones-des-realites-mecon...
5 Statistique Canada. « Premières Nations, Métis, Inuits et laCOVID-19 : Caractéristiques sociales et de la Santé », 17 avril 2020. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/200417/dq200417b-fra.htm
6 Radio-Canada, « Le manque de données sur la COVID-19 chez les Autochtones crée un casse-tête sanitaire », 26 mai 2020. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1700531/autochtones-asse...
7 Brossard, Louise. 2018. « Qui s’instruit s’enrichit… moins vrai pour les personnes immigrantes », dans Apprendre + Agir. Montréal : Institut de coopération pour l’éducation des adultes, version corrigée 16 mai 2018, p. 3 et 15.
8 Statistique Canada, Recensement de la population de 2016, produit numéro 98-400-X2016356 au catalogue de Statistique Canada. Consulté en ligne le 3 juin 2020 : https://www12.statcan.gc.ca/global/URLRedirect.cfm?lang=E&ips=98-400-X20...
9 Gosselin, Janie, « Demandeurs d’asile : manifestation pour la résidence permanente », La Presse, 23 mai 2020.
10 Boivert, Yves, « Il est mort de la COVID-19, alors que sa femme et ses enfants ont été mis en quarantaine », La Presse, 8 mai 2020.
11 Eloy, Martine, « L’angle mort de l’information sur la COVID : Les personnes racisées durement frappées », 24 avril 2020. Consulté en ligne le 29 mai 2020 : https://liguedesdroits.ca/angle-mort-racisme-crise/