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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Séminaire virtuel du CIÉA sur les objectifs post-2015 - Réflexions par Paul Bélanger

Samedi 6 juillet 2013 - ICÉA

Logo ICAELe Conseil international d'éducation des adultes (CIÉA) a lancé une discussion vittuelle internationale durant les deux dernières semaines de juin 2013 sur les enjeux des objectifs du millénaire au delà de 2015. Nous avons publié la mise au jeu faite par le président du CIÉA, Alan Tuckett, qui faisait le point sur l'évolution des discusssions concernant ces objectifs au sein des forums initiés par les institutions internationales comme l'ONU et l'UNESCO. Nous présentons actuellement la contribution de Paul Bélanger, professeur à l'UQAM, membre de et ex-directeur de l'ICÉA et président du CIÉA jusqu'en 2011, qui conclue le séminaire. On peut accéder à l'ensemble des contributions sur le site du Conseil international.

 À la fin de ce séminaire virtuel efficace, nous devons reconnaître l'expertise développée par le Conseil international d'éducation des adultes (CIÉA) pour stimuler et maintenir un dialogue mondial multilingue entre les membres du CIÉA et les membres de réseaux connexes. BRAVO !

Après avoir reconnu l'importance et la réussite du débat mondial actuel sur l'après-2015, je vais souligner les principales lacunes mises en évidence lors du séminaire afin de proposer, sur la base des diverses contributions, certains contenus et priorités d'action pour le CIÉA en ce qui concerne le programme pour l'après-2015.

1. L'importance et la réussite du débat mondial actuel sur l'après-2015

Le simple fait que l'ONU ait décidé d'organiser un grand débat en vue de définir les objectifs de développement pour l'après-2015 constitue une réussite importante. Cela crée un espace légitime de débat et de recherche de consensus globaux ou partiels dans tous les États-membres de l'ONU, la société civile et d'autres acteurs.

Ce rapport du HRP a mis dès le début le « développement durable au cœur » de ce débat. Il affirme que « nous devons agir maintenant pour arrêter le rythme alarmant du changement climatique et de la dégradation de l'environnement, qui constituent des menaces sans précédent pour l'humanité ».

En outre, le rapport inclut, parmi les objectifs universels énoncés, l'objectif 3 « de fournir une éducation de qualité et l'apprentissage tout au long de la vie ». Ce faisant, il étend la vision de l'éducation afin d'y inclure la phase critique préscolaire pour la petite enfance et pour reconnaître l'apprentissage et l'éducation des adultes.

Le rapport reconnaît également dans son objectif universel 8 (« créer des emplois, des moyens de subsistance durables et une croissance équitable ») une dimension de l'apprentissage et l'éducation des adultes : l'apprentissage et la fonction de formation liés au travail mais, tout en fixant cet objectif, il oublie l'appel du BIT pour un « travail décent », afin d'éviter les doubles jeux des normes du travail en cours.

2. Ce qui manque

En dépit de ces réussites, tous les participants au séminaire du CIÉA ont souligné le manque d'importantes questions.

Certainement, l'observation la plus remarquable est l'invisibilité pratique, dans ce rapport, des droits humains universels. Cela est vrai tant dans les « cinq grands changements transformateurs » que dans les objectifs universels énoncés. En particulier dans le contexte des Nations Unies, la non-reconnaissance de la perspective des droits humains comme le principal cadre de référence pour la fixation des objectifs universels est étonnante. En lissant attentivement le rapport on trouve deux courts mentions de droits spécifiques (le droit des femmes à hériter et le droit des personnes à avoir accès à une nourriture suffisante), mais ce groupe essentiel de normes de base universelles acceptées est absent, ainsi que leur indivisibilité et leur responsabilisation. Bien sûr, la demande pour la durabilité économique est importante, mais le droit des personnes à des conditions de vie décente ainsi que l'aspiration universelle à la justice environnementale, sociale et de genre n'est pas moins cruciale pour l'avenir de l'humanité. En outre, pour garantir le droit de tous/toutes les citoyens/ennes à participer et, à cette fin, leur droit à renforcer leur autonomie ne sont pas seulement une revendication légitime mais aussi le meilleur investissement pour l'avenir.

Le rapport est également muet sur deux questions politiques clés de l'éducation. Tout d'abord, l'accessibilité universelle de l'apprentissage tout au long de la vie n'est plus une préoccupation centrale dans ce rapport. En outre, la vision de l'éducation affirmée tout au long du document reste unidimensionnelle. Se concentrer sur le travail est approprié, mais le rapport ne parvient pas à reconnaître que l'apprentissage tout au long de la vie, pour être pertinent, doit être « tout au large de la vie », abordant tous les aspects de notre vie. L'apprentissage tout au long de la vie doit également être « tout au profond de la vie » pour que les gens renforcent et améliorent leur autonomie et leur créativité. L'application du droit pour tous/toutes à avoir des possibilités d'apprentissage significatives tout au long de leurs vies est la meilleure politique que le monde pourrait adopter pour mettre en œuvre ses objectifs de développement.

N'oublions pas la lettre envoyée par le CIÉA au Comité de rapport indiquant que « l'apprentissage tout au long de la vie pour tous et toutes est un catalyseur clé pour que les gens soient des partenaires efficaces et des citoyens/ennes actifs/ives dans le processus de développement et, à notre avis, le rapport doit à la fois faire valoir l'importance vitale de garantir leur participation active et reconnaître le rôle de l'éducation et l'apprentissage tout au long de la vie dans l'autonomisation des individus, et en tant que fondement d'un développement durable et équitable ».

Une troisième question négligée est la justice de genre. Le rapport a choisi de privilégier seulement certains droits et même d'ignorer le travail non rémunéré de « soins » des centaines de millions de femmes à travers le monde. La pauvreté des femmes, comme expliquée par les mouvements de femmes, doit être comprise comme la conséquence de multiples violations des droits et elle doit être abordée comme une préoccupation multidimensionnelle. Elle est intrinsèquement liée au travail, à l'éducation, au travail non rémunéré de « soins », à l'accès aux ressources, et à la prise de décisions politiques.

Le rapport, dans le débat en cours créé pour fixer des objectifs universels pour l'humanité, omet également la question de l'alphabétisation. L'analphabétisme empêche encore de progresser plus de 120 millions de jeunes et 750 millions d'adultes, dont la majorité sont des femmes. Non seulement nous avons observé depuis 2000 un grave manque de préoccupation vis-à-vis de l'alphabétisation des adultes et des jeunes ayant abandonné leurs études, mais maintenant pour les quinze prochaines années nous allons tout simplement ignorer cette priorité, par ailleurs, bien reconnue dans toutes les régions du monde, comme nous pouvons l'observer à l'OIT, l'UNESCO, l'UNICEF et l'OCDE.

Le rapport fixe comme principaux objectifs l'éradication de l'extrême pauvreté et la faim d'ici 2030, mais il est peu convainquant lorsqu'il étudie les causes et les facteurs derrière la pauvreté et la faim, ainsi que la violence et les inégalités. Il a tendance à éluder les conditions structurelles qui créent l'inégalité économique. Le rapport est silencieux sur les propositions qui vont à la racine de ces problèmes et nécessitent des interventions publiques. Il ignore les modèles et les politiques socioéconomiques qui ont eu du succès dans certains pays pour combiner le développement humain, les droits humains et la durabilité environnementale, ainsi que pour lutter contre les inégalités entre les peuples et les états.

3. Contenu et priorités d'action pour les réseaux du CIÉA

De nombreux participants au séminaire ont insisté sur l'importance pour le CIÉA non seulement de développer davantage sa vision positive et élargie de l'EJA et du LLL (pour son sigle en anglais), mais aussi d'apporter cette nouvelle perspective dans le débat mondial en cours. Nous devons démontrer à quel point la possibilité pour tous/toutes les citoyens/ennes d'améliorer leur autonomie d'action est fondamentale afin d'être en mesure de participer à la construction du monde que nous voulons.

Avons-nous les ressources pour investir ainsi dans l'avenir ? Oui, ont dit beaucoup de participants, si nous fermons les paradis fiscaux, si nous réduisons les budgets militaires, si nous suivons les onze pays qui ont adopté la « taxe sur les transactions financières », si nous redirigeons les subventions aux combustibles fossiles, si nous laissons les États réglementer le marché financier.

Pendant les prochains mois il y aura de nombreuses opportunités pour participer au débat :  dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations Unies et du Sommet des OMD en septembre 2013, dans les réunions du Forum social mondial, dans les médias et avec nos parlementaires dans nos différents pays, sans oublier les prochaines sessions du Groupe de travail à composition ouverte (OWG, pour son sigle en anglais) de l'Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) sur les objectifs du développement durable (ODD) en novembre et décembre 2013 et janvier et février 2014. Même plus tard à la réunion de Okagen en novembre 2014 au Japon et à la réunion mondiale de l'EPT en avril 2015. Nous devons prendre ces opportunités et créer davantage nous-mêmes pour modifier la proposition actuelle.

Toutefois, nous ne serons pas efficaces si nous ne pouvons pas créer ou intensifier des alliances au-delà de nos propres réseaux, avec tous les autres acteurs de l'éducation, avec les réseaux de l'environnement, les mouvements sociaux des femmes, les syndicats, les mouvements autochtones, etc.

Nous devons travailler avec nos partenaires et alliés pour faire avancer un programme qui mène réellement à un développement durable et équitable, un objectif qui ne pourrait pas être atteint sans l'autonomisation des citoyens/ennes qui n'ont pas d'accès universel à l'apprentissage et l'éducation significatifs des adultes.

Le slogan du CIÉA est plus actuel que jamais : l'éducation dont nous avons besoin pour le monde que nous voulons.

 

Paul Bélanger, Québec.