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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Réflexions sur l’apprentissage autochtone et ses dimensions holistiques

« Holistique », un terme à (re)découvrir

Explorer l’univers des savoirs et des connaissances autochtones nous pousse à (re)découvrir des modes d’apprentissages et d’acquisition préconisés par les peuples autochtones, notamment les Premières Nations du Québec. Cette exploration mène notamment à la redécouverte de mots-clés qui présentent des notions, des concepts, des principes d’action que nous connaissons (parfois) sans pour autant être en mesure de les définir avec précision.

C’est notamment le cas du terme « holistique », souvent utilisé pour qualifier des approches éducatives ou des manières de voir le monde qui nous entoure. De manière générale, ce terme renvoit à l’idée de considérer un objet, une personne ou le monde dans leur globalité plutôt que par les parties qui les composent. 

L’Office québécois de la langue française définit ainsi le terme « holistique » : « Se dit de ce qui relève d'une théorie selon laquelle un objet d'observation doit être considéré dans sa globalité, indépendamment des caractéristiques de ses composantes. » (OQLF, 2024) L’encyclopédie en ligne Wikipédia explique pour sa part que le terme « holisme1 » désigne « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l'évolution créatrice » (Wikipédia, 2024).

Une approche dite « holistique » prendra donc en compte la globalité d’un phénomène, mettant de l’avant l’idée que ce dernier se révèle être plus que la somme de ses parties. En santé, ce type d’approche mène les professionnel·les à ne pas considérer seulement les symptômes manifestés par une personne, mais l’ensemble des éléments qui composent son cadre de vie – de sorte que la guérison passe alors par le changement bien plus que par un simple traitement.

En éducation, l’idée d’une approche holistique renvoie à la globalité d’une personne, de ses besoins et de ce qui influence son développement : « L’éducation holistique est une approche globale de l’enseignement à travers laquelle les éducateurs répondent aux besoins émotionnels, sociaux, éthiques et académiques des [personnes]. » (AfrAsia Bank, 2021) Diane Hill explique notamment qu’une approche holistique dans « le processus d’apprentissage fait référence à une personne à part entière qui s’engage au niveau physique, mental, émotionnel et spirituel afin de recevoir des données et des renseignements, qu’elle traite ensuite » (UQAT, 2011).

Ce type d’approche suppose donc d’aller au-delà des aspects cognitifs de l’apprentissage et de s’intéresser à la personne et à son mieux-être; de prendre en compte les aspects personnels, physiques, sociaux, émotionnels et spirituels de sa vie. C’est ce que soulignent les Premières Nations, pour qui la pédagogie autochtone « est holistique, c’est-à-dire qu’elle aborde l’être humain dans sa globalité et qu’elle touche chacune des dimensions de la personne : physique, intellectuelle, émotionnelle et spirituelle » (3PEQ, 2022).

Avant d’aller plus loin, il est important de souligner que l’utilisation du terme « holistique » pour caractériser la pédagogie ou l’apprentissage autochtone vient d’un emprunt fait à notre champ lexical. Comme l’explique Marie-Pierre Bousquet, ce terme « n’est pas employé dans les langues traditionnelles des Premières Nations du Québec » (Bousquet, 2012 : 211; citant Colomb, 2012 : 4). Il semble que les « Premières Nations préfèrent utiliser […] les termes vision intégrée ou approche globale de l’individu dont la finalité est le mieux-être et la recherche d’un équilibre entre les différentes dimensions de la personne (spirituelle, physique, intellectuelle, émotionnelle » (Bousquet, 2012 : 211; citant Colomb, 2012 : 4).

Approche holistique et piliers de la connaissance

En 1996, la Commission internationale sur l’éducation et l’apprentissage pour le XXIe siècle de l’UNESCO propose d’organiser l’éducation autour « de quatre apprentissages fondamentaux qui, tout au long de la vie, seront en quelque sorte pour chaque individu les ‘‘piliers de la connaissance’’ » (UNESCO, 1996 : 83). Ces piliers sont les suivants : apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à être et apprendre à vivre ensemble. Les Premières Nations voient dans ce choix une représentation holistique de l’apprentissage qui puise aux fondements de la pédagogie autochtone (3PEQ, 2022).

Comme l’illustre la figure 1, le modèle holistique de l’apprentissage des Premières Nations prend un aspect circulaire qui réfère à l’enseignement du cercle et rappelle la roue de médecine traditionnellement utilisée par de nombreuses nations autochtones (Campeau, 2024).

Figure 1 – Le modèle de l’apprentissage holistique autochtone 
UQAT (2011), à partir d’une adaptation de Diane Hill (2010)2

Figure 1 – Le modèle de l’apprentissage holistique autochtone - Diane Hill (2010)

Ce modèle de l’apprentissage holistique autochtone (figure 1) imaginé par Diane Hill permet notamment de faire des liens entre, d'une part, les différentes dimensions d’une personne (physique, mental, émotionnel et spirituel) et, d’autre part, différents types de savoirs et d’agir apparentés aux quatre piliers de la connaissance de l’UNESCO.

Dans un premier temps, il apparaît facile d’établir des liens entre les deux piliers de l’UNESCO que sont apprendre à connaître et apprendre à faire et les dimensions de l’esprit et du corps du modèle de Hill. Apprendre à connaître peut être lié à l’esprit de la personne, à sa force mentale, à sa capacité de comprendre, aux savoirs et aux connaissances de cette personne et de sa nation. Tandis qu’apprendre à faire peut être lié au corps de la personne, à ses capacités physiques, à ses actions, à son savoir-faire et à ses habiletés. 

Dans un deuxième temps, des liens peuvent être faits entre l’apprendre à être et l’apprendre à vivre ensemble de l’UNESCO et la dimension de l’affectif du modèle de Hill. En effet, cette dimension renvoie aux émotions de la personne, à sa capacité de ressentir les choses, mais aussi d’établir des liens. L’affectif apparaît ainsi partagé entre l’émotionnel et le relationnel. Il est ainsi possible de lier l’affectif du modèle de Hill à l’apprendre à être et l’apprendre à vivre ensemble de l’UNESCO.

Ne reste finalement que la dimension de l’âme du modèle de Hill, laquelle est liée à l’intuition de la personne, à sa perspicacité, à sa capacité de visualiser les choses. Il est ici question de force spirituelle et il apparaît difficile de lier cette dimension d’une personne à un pilier spécifique de la connaissance. Notre âme, notre force spirituelle, notre capacité de faire pour soi-même (faire soi) devrait idéalement prendre forme dans tous les piliers de la connaissance de l’UNESCO.

Cette réflexion nous mène à un deuxième modèle de l’apprentissage holistique (figure 2), développé par Patricia-Anne Blanchet (doctorante de l’Université de Sherbrooke). 

Figure 2 – Les quatre piliers de l’apprentissage holistique
Blanchet dans Campeau (2024)

Figure 2 – Les quatre piliers de l’apprentissage holistique - Blanchet dans Campeau (2024)

Le modèle de Blanchet établi de nombreux liens formels entre les dimensions de la personne identifiées par Hill, les piliers de l’apprentissage holistique (les savoirs connaître, faire, être et vivre ensemble), des lieux et des modes d’apprentissages propres aux Premières Nations (apprendre de la spiritualité, du territoire, des autres, dans l’action, etc.) et des exemples d’apprentissages concrets, réalisés tout au long de la vie. 

Le modèle de Blanchet présente par ailleurs une conception de l’apprentissage qui concilie les savoirs autochtones et non autochtones. Cette volonté de réunir côte à côte ces deux familles de savoirs renvoie à l’idée que l’apprentissage est un objet vivant et dynamique. Force est d’admettre qu’apprendre est une activité qui évolue et qui se transforme sous les effets combinés des différentes formes de savoirs existantes. Pour les Premières Nations, l’apprentissage « n’est pas une activité stagnante, mais bien un processus adaptatif inspiré des principaux éléments du savoir traditionnel et moderne. » (CCA, 2007 : 7) 

L’intégration des savoirs autochtones et non autochtones soulignée par Blanchet rappelle le regard tourné vers l’avenir des Premières Nations, qui s’inspirent des perspectives traditionnelles et modernes et les additionnent afin de construire une approche équilibrée de l’apprentissage (CCA, 2007; CCA, 2009). Cette approche équilibrée permet d’assurer une continuité entre le passé et le présent, de concilier tradition et modernité, d’offrir aux personnes la possibilité « d’intégrer aux institutions modernes les traditions dont elles peuvent profiter » (CCA, 2007 : 7).

Il est finalement possible de soutenir que le modèle de Blanchet souligne l’importance des principales caractéristiques de l’apprentissage du point de vue autochtone énoncées par le Conseil canadien sur l’apprentissage en 2007, à savoir que cet apprentissage est holistique, qu’il se poursuit tout au long de la vie, qu’il est fondé sur l’expérience, qu’il est ancré dans les langues et les cultures autochtones, qu’il a une dimension spirituelle, qu’il est une activité collective et qu’il intègre les savoirs autochtone et occidental (CCA, 2007 : 5).

Cette réflexion sur la dimension holistique de l’apprentissage nous incite à reconnaître la valeur des manières d’apprendre des Premières Nations. Nos façons de nommer le savoir sont différentes. Cependant, ce savoir existe à travers l’apprentissage. Il provient de sources et de domaines variés. Il prend forme selon différentes modalités et dans différents lieux. Il est le fruit d’interactions et de relations avec les autres. Il est facilité par la présence de référents connus (langues, cultures, traditions, etc.) et l’accès à des milieux sécurisants (famille, communauté, groupe de pairs, etc.). Par ailleurs, que nous le reconnaissions ou non, ce savoir nous questionne : nous, nos origines et nos raisons d’être.

Bref, ce savoir prend forme dans la globalité de nos actions et de ce que nous sommes. Suivant cette logique, il est difficile de croire que les différentes dimensions de notre personne (physique, intellectuelle, émotionnelle et spirituelle) ne participent pas toutes à la réalisation de nos apprentissages. 

De la même manière qu’apprendre à connaître, à faire, à être et à vivre ensemble (UNESCO, 1996) apparaissent être des fondements de l’éducation des adultes, les caractéristiques de l’apprentissage du point de vue autochtone énoncées par le Conseil canadien sur l’apprentissage (CCA, 2007) semblent être étroitement liées à l’apprentissage tout au long de la vie. Dans cette perspective, ne serait-il pas tout aussi profitable pour l’éducation des adultes de faire place aux savoirs autochtones et de les valoriser dans le respect de ce qu’ils sont : originaux, différents et tout aussi valables que les autres?

Parler des « Autochtones »

En conclusion, il apparaît important de préciser que parler des « Autochtones » au Canada, c’est parler de différents groupes de personnes qui forment les Premiers peuples, soit les Inuits, les Métis et les Premières Nations. Ces groupes partagent de nombreuses caractéristiques communes, tout en se différenciant les uns des autres en raison de nombreuses variables qui leur sont propres (origines, histoires, langues, croyances, savoirs, territoires, etc.). 

Il importe de garder à l’esprit qu’il y a des différences dans les façons d’apprendre que valorisent les Autochtones, mais aussi des points communs. Il en va de même pour les savoirs et les connaissances traditionnels, les visions du monde, le rapport à la spiritualité, etc. Bref, il faut faire attention à la généralisation.

Notes

1. Ce terme serait un néologisme forgé par Jan Christiaan Smuts pour son ouvrage Holism and Evolution, publié en 1926 (Wikipédia, 2024).
2. Hill, Diane (2010). “The FNTI Model : Porfolio Developpement as a Tool for Transfromative Learning”, 21st Annual PLA Conference, Bellevillle.

Références

3PEQ (2022). « Pédagogie autochtone », page Web du site Perspectives des Premiers Peuples dans l'éducation au Québec (3PEQ), mise à jour de 2022. En ligne : https://3peq.com/perspectives/approches-pedagogiques-1/#1

AfrAsia Bank (2021). « L’éducation holistique pour des individus et un monde plus épanouis », Together, No3, décembre 2021. En ligne : https://www.afrasiabank.com/media/8361/together-3-afrasia-article-2.pdf

Boelen, V. (2020). « Réflexion sur une approche holistique d’éducation au vivant intégrant la dimension spirituelle du sujet », Éducation relative à l’environnement, vol. 15, no2, 15 novembre 2020. En ligne : http://journals.openedition.org/ere/5667

Bousquet, M.-P. (2012). « De la pensée holistique à l’Indian Time : dix stéréotypes à éviter sur les Amérindiens », Nouvelles pratiques sociales, volume 24, no2, printemps 2012, pp. 204–226. En ligne : https://doi.org/10.7202/1016356ar

Campeau, D. (2024). Regards diversifiés sur l’éducation autochtone : réflexion pour une pédagogie du XXIe siècle, Diane Campeau (dir.), Presses de l’Université du Québec, 308 p. En ligne : https://reverbereeducation.com/wp-content/uploads/2024/05/Regards-diversifies-sur-leducation-autochtone.pdf

CCA (2007). Redéfinir le mode d’évaluation de la réussite de l’apprentissage chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis, Conseil canadien sur l’apprentissage, Ottawa (Ontario), 45 p. En ligne : https://blogs.ubc.ca/epse310a/files/2014/02/F-CCL-Premieres-Nations-20071.pdf

CCA (2009). État de l’apprentissage chez les Autochtones au Canada : Une approche holistique de l’évaluation de la réussite, Conseil canadien sur l’apprentissage, Ottawa (Ontario), 77 p. En ligne : https://www.ccl-cca.ca/pdfs/2012-37.pdf

Cherblanc, J. et Jobin, G. (2013). « Vers une psychologisation du religieux? Le cas des institutions sanitaires au Québec », Archives de sciences sociales des religions, no163, juillet-septembre 2013 : Soigner l’esprit. En ligne : https://journals.openedition.org/assr/25210.

Colomb, E. (2012). Premières Nations. Essai d’une approche holistique en éducation supérieure, entre compréhension et réussite, Québec, Presses de l’Université du Québec.

OQLF (2024). « Holistique », page Web de la Vitrine linguistique, Office québécois de la langue française, mise à jour de 2024. En ligne : https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8402181/holistique

UNESCO (1996). L’éducation : un trésor et caché dedans, Rapport à l’UNESCO de la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt et unième siècle, Jacques Delors (dir.), 265 p. En ligne : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000115930

UQAC (2024). Enseigner avec et pour les Premiers Peuples : vers une vision holistique de l’apprentissage, page Web du site Ressources pédagogiques, Université du Québec à Chicoutimi, date de mise à jour inconnue. En ligne : https://www.uqac.ca/ressourcespedago/enseigner-premiers-peuples/#titre1

UQAT (2011). L’éducation autochtone : regard sur l’apprentissage holistique autochtone, Fiche synthèse, Projet « Synergie cégep-université », Approches éducatives intégrées pour les étudiants autochtones, Université du Québec à Trois-Rivières (UQAT), 6 p. En ligne : https://www.uqat.ca/services/etudiants/spp/enseignement-aux-autochtones/pdf/Regard-sur-lapprentissage-holistique-autochtone-(2011).pdf

Wikipédia (2024). « Holisme », page Web de l’encyclopédie en ligne Wikipédia, mise à jour du 8 octobre 2024. En ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Holisme.