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ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Budget 2017 : peut-on parler de réinvestissement en éducation et en formation des adultes?

Chaussures neuves de Leitao, ministre des Finances (2017-2018)Un budget à saveur électorale

Le plan économique présenté récemment annonce des réinvestissements importants dans la réussite éducative, l’éducation supérieure et la réponse aux besoins de la main-d’œuvre. Ces crédits totalisent un peu plus de 3,7 milliards de dollars1 pour les cinq prochaines années. Ces crédits font montre de la volonté du gouvernement du Québec de faire de l’éducation une priorité. À ce titre, pour l’année 2017-2018, l’Éducation recevra 637 millions de plus que ce qui était alloué dans le dernier budget (augmentation de 4,2%)2.
 
Cela dit, l’essentiel des sommes annoncées, soit un peu plus de 70 %, ne se concrétisera pas avant 2019-2020, soit dans un futur mandat du gouvernement actuel, s’il est réélu. Dans cette perspective, et sachant que l’année 2018 sera électorale, comment ne pas qualifier ce budget « d’électoraliste »?
 
Dans cet article, l'ICÉA tente d'identifier les principaux engagements qui touchent à l'éducation et à la formation des adultes. Ceci, dans le but d'évaluer s'il est réellement question de réinvestissement de l'État dans ce champ d'action stratégique.

 

Un budget qui confirme des orientations annoncées

Au-delà d’un cadre financier pour un futur mandat du gouvernement actuel, ce budget confirme l’importance accordée à des orientations clairement identifiées lors de consultations tenues au cours de la dernière année. Ce budget engage le Québec sur la voie de la réussite éducative, d’une part, et de la réponse aux besoins de la main-d’œuvre, d’autre part. Deux grands champs d’action qui touchent, d’une manière ou d’une autre, l’éducation et la formation des adultes.

 

Favoriser la réussite éducative

Pour faire suite aux consultations qui ont eu lieu à l’automne 2016, le gouvernement a décidé de mettre en place dès maintenant « des mesures structurantes visant à améliorer la réussite éducative dès la petite enfance et tout au long de la vie ». À cet effet, le budget prévoit une somme de 3,4 milliards $ sur cinq ans. Ces crédits dessinent les contours d’une politique qui n’a pas encore été formellement déposée, mais qui comprendra vraisemblablement des actions en petite enfance, au préscolaire et aux différents niveaux de l’enseignement formel.
 
Le tiers des crédits de l’exercice 2017-2018 (plus de 110 M$ sur 333 M$1) permettra de fournir des ressources additionnelles pour les élèves en difficultés du préscolaire à la 6e année et des ressources complémentaires pour les élèves de la formation générale des adultes et de la formation professionnelle ayant des besoins particuliers. Selon le ministre, quelque 1500 personnes professionnelles pourraient être engagées dans l’année à venir. Les syndicats de l’enseignement doutent cependant que les commissions scolaires responsables de ces embauches soient en mesure de pourvoir un si grand nombre de postes en quelques mois. C’est notamment le cas de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE)3.
 
Il importe par ailleurs de rappeler que les besoins des élèves en difficulté (au primaire) ou ayant des problèmes d’apprentissage sont grands et clairement identifiés depuis longtemps par le personnel enseignant et les experts du milieu. Dans cet esprit, il est légitime de se demander si le coup de barre du gouvernement permettra d’améliorer le sort des élèves qui ont cumulé des retards et des échecs ces dernières années en raison de l’insuffisance de ressources spécialisées.
 
Pour plusieurs, la réponse à cette question est sans ambiguïté. Au sujet des crédits annoncés dans le récent budget pour l’éducation, la présidente de l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal, madame Catherine Renaud, soutient que « ces sommes ne viendront certainement pas effacer les conséquences catastrophiques des coupes sauvages imposées par les gouvernements successifs subies ces dernières années4 ». 
 
L'ICÉA estime pour sa part qu’il y a bien lieu de parler de « conséquences catastrophiques ». Rappelons à ce titre les conclusions de l’enquête de l’ICÉA5 menée en 2016 sur les effets des réductions du financement public dédié à l’éducation des adultes : une majorité d’organisations répondantes disaient avoir été touchées par ses réductions et nombre d’entre elles avaient été contraintes de mettre en œuvre des mesures réactives qui avaient contribué à la fragilisation de leur mission. En ce qui concerne le milieu formel de l’éducation, une importante part de cette mission va à l’accompagnement des élèves en difficulté : l’objectif peut difficilement être atteint dans un contexte de ressources limitées.
 
Si l’on en croit le Bulletin des budgets 20176  rendu public le 4 avril par l’Institut du Nouveau Monde (INM), il faudrait augmenter les dépenses de programmes du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MÉES) « de 8,6 % cette année pour maintenir un niveau de financement constant depuis 2014 ». Les experts du panel réuni par l’INM estiment que la croissance réelle des dépenses de programme en éducation pour 2017 est de seulement 2,6 %7
 

Répondre aux besoins de main-d’œuvre

Les décisions du gouvernement en matière de formation liée à l’emploi s’inscrivent dans la continuité du Rendez-vous national de la main-d’œuvre tenu en février dernier. Cet événement a été l’occasion pour le gouvernement, les regroupements d’employeurs, les syndicats et les organismes communautaires de développement de la main-d’œuvre de faire le point sur un ensemble de questions touchant aux besoins de main-d’œuvre des entreprises québécoises et à l’adéquation entre la formation et l’emploi. En conclusion du Rendez-vous, le premier ministre Couillard s’est prononcé8 en faveur de la mise en œuvre de plusieurs mesures présentées lors des échanges et de l’élaboration d’une Stratégie nationale en collaboration avec la CPMT et les partenaires du marché du travail.
 
Le Plan prévoit des crédits de plus de 288 millions $ sur cinq ans, dont 44 M$ en 2017-2018 afin de « favoriser le développement de la main-d’œuvre du Québec ». La majeure partie de ces crédits (25,7 M$ en 2017-2018) va à l’intégration des personnes immigrantes, un objectif important qui fait de la francisation et de la reconnaissance des acquis et de l’expérience des priorités. La « formation continue » et le « développement des compétences » des travailleuses et des travailleurs reçoivent pour leur part 11 M$ en 2017-2018.
 
Pour l’ICÉA, il ne fait aucun doute que les sommes consacrées à l’intégration des personnes immigrantes au marché du travail contribueront à réduire l’exclusion sociale dont sont victimes ces personnes. Cependant, le défi que représente l’intégration des personnes sans emploi ou éloignées du marché du travail semble avoir été oublié dans le présent budget. Pour le président la Coalition des organismes communautaires de développement de la main-d’œuvre (COCDMO), monsieur Daniel Baril, « les sommes annoncées demeurent bien en deçà des défis importants de la main-d’œuvre du Québec. Ces défis sont considérables dans le cas des personnes éloignées du marché du travail ». 
 
Qui plus est, la Coalition se désole de constater que les montants destinés aux personnes sans emploi sont inférieurs aux transferts annoncés par le gouvernement fédéral en matière de développement du marché du travail. Le budget fédéral prévoit 1,8 milliard de dollars sur six ans à partir de 2017-2018 pour élargir les Ententes sur le développement du marché du travail. Au Québec, cette entente assure notamment le financement d’Emploi-Québec. Une partie de la somme annoncée par Ottawa est dédiée à des personnes qui se cherchent un emploi. 

 

Des développements en matière de reconnaissance des acquis

Depuis des années, l'ICÉA soutient que la reconnaissance des acquis et des compétences est un puissant levier pour favoriser l’accès des adultes à l’emploi ou à la formation. Il est donc intéressant de constater que des crédits dédiés à la reconnaissance des acquis et de l’expérience apparaissent dans les engagements du gouvernement à l’égard de l’enseignement supérieur et de l’intégration des personnes immigrantes sur le marché du travail. 
 
Cette annonce a d’autant plus de valeur aux yeux de l'ICÉA qu’il y est explicitement question de reconnaître l’expérience des personnes. Cette précision constitue une valeur ajoutée, compte tenu du fait que les processus actuels de reconnaissance passent trop souvent sous silence les compétences expérientielles des personnes. Le gouvernement propose donc de mettre en place un guichet unique québécois pour la reconnaissance des acquis et de l’expérience afin de favoriser l’intégration des personnes immigrantes sur le marché du travail. Il est également question de développer des outils qui permettraient d’accélérer le processus de reconnaissance pour les personnes immigrantes. 
 
Il ne fait aucun doute pour l'ICÉA que l’ensemble de la population adulte du Québec profitera de la mise en place de ces initiatives. D’ailleurs, nombreuses sont les organisations de la société civile qui réclament des changements majeurs en matière de reconnaissance des acquis et des compétences, notamment en ce qui concerne la valorisation de l’expérience acquise à l’étranger par les personnes immigrantes. 
 
Il importe par ailleurs de noter ici que le Bulletin des budgets 2017 de l’INM soutient que les mesures concernant la reconnaissance des acquis et de l’expérience des personnes immigrantes et leur intégration sur le marché du travail contribueront à la réduction des inégalités sociales et économiques. 
 

Et pour l’alphabétisation?

Quelques mesures sont annoncées pour l’alphabétisation dans le budget 2017. De fait, il est question de 30 M$ par année pour soutenir les initiatives qui favorisent l’alphabétisation et la francisation. Comme mode de soutien aux parents du préscolaire et du primaire, il est suggéré d’offrir des ateliers d’éveil à la lecture; une mesure qui a fait ses preuves auprès des familles, qui est réclamée par les membres du Réseau de lutte à l’analphabétisme et qui peut amener des parents à s’interroger sur leurs propres compétences en littératie.
 
Par ailleurs, au nombre des crédits dédiés à la réussite éducative, on retrouve l’annonce d’investissements visant à « soutenir les nombreux partenaires en matière d’alphabétisation ». Il y est question du financement des organismes d’action communautaire actifs en alphabétisation populaire et en lutte contre le décrochage scolaire. Il y est aussi question du développement de nouveaux projets visant à maintenir les compétences en littératie des adultes. 
 
Cependant, le plan apporte peu de précisions quant aux crédits qui sont dédiées à l’alphabétisation. L’annonce par le ministre Sébastien Proulx, en décembre 2016, de l’ajout de 9 M$9 à l’enveloppe du Programme d’action communautaire sur le terrain de l’éducation10 (PACTE) demeure l’indice le plus probant d’une hausse du financement accordé à l’alphabétisation; lequel n’avait pas été indexé depuis 2008. Le montant réel accordé à l’alphabétisation demeure donc inconnu pour le moment. Rappelons que cet ajout portait le financement du PACTE à quelques 27,3 M$ pour 2016-2017 et les années à venir. Rappelons également que le PACTE finance 182 organismes, dont les 127 groupes populaires en alphabétisation.

 

De généreux investissements à court terme auraient été souhaitables

Dans l’ensemble, ce budget donne un coup de barre nécessaire pour classer l’éducation au rang de priorité, même s’il est parfois difficile d’y retrouver l’éducation des adultes dans l’ensemble des orientations qui ont été prises. 
 
L’ICÉA identifie à ce titre l’accent mis sur le financement de l’alphabétisation, l’augmentation des services complémentaires à la formation générale des adultes et la mise en œuvre d’initiatives en francisation et en reconnaissance des acquis et de l’expérience. En outre, la perspective tout au long de la vie annoncée pour la prochaine politique de la réussite éducative rejoint les attentes de l’Institut. Il est clair pour nous qu’une action concertée pour la réussite éducative débute en petite enfance, se poursuit tout au long de la vie et prend forme dans différentes dimensions de la vie d’un adulte.
 
Bref, plusieurs mesures du plan économique 2017 proposent un réinvestissement dans le champ de l’éducation des adultes. Qui plus est, ces mesures traduisent bien la volonté du gouvernement de répondre aux besoins particuliers de populations qui sont le plus souvent à risque d’exclusion. Dans cette perspective, il est possible de répondre par l’affirmative à la question soulevée en introduction de cet article : il y a bien réinvestissement.
 
Cependant, il ne faut pas oublier que les compressions budgétaires des dernières années ont grandement fragilisées plusieurs secteurs de l’éducation des adultes, comme le montre l’enquête de l’ICÉA. Les contrecoups de ces compressions se font sentir aujourd’hui et continueront de se faire sentir dans l’avenir. Malheureusement, le budget 2017 ne comble pas les manques à gagner cumulés au cours des dernières années : il reporte plutôt dans les années à venir – un éventuel futur mandat du gouvernement libéral! – plusieurs investissements qui auraient pu redonner un véritable élan à l’éducation des adultes. 
 
En conclusion, la vision à long terme présentée par le gouvernement est peut-être encourageante, mais elle s’inscrit dans une visée électorale qui force à l’attente : des investissements plus généreux à court terme auraient été souhaitables.
 
Notes : 
2. Fortier, Marco. 2017. « Deux enseignants par classe en maternelle et en 1re année ». In Le Devoir, 29 mars, p. A2 et Le Devoir. 2017. « Le budget en un coup d’œil. 3)… en éducation ». In Le Devoir, 29 mars, p. A3 et Le Devoir. 2017.
4. Le BIS, bulletin d’information syndicale, Alliance des professeures et des professeurs de Montréal, vol. 40, no 30, 5 avril 2017.
7. Ce calcul tient tout à la fois compte de la hausse de l’inflation et du taux de croissance des coûts de système défini dans le cadre financier présenté par le Parti libéral du Québec à l’élection de 2014.
10. Le PACTE assure le financement de 182 groupes populaires actifs dans les champs de l’alphabétisation, de la formation continue, de la lutte au décrochage et de l’école de rue.
 
 
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