Le journal Le Devoir publiait, ce week-end, un cahier spécial « Société - formation continue ». Nous présentons ci-dessous l'entrevue réalisée avec le directeur général de l'ICÉA. Le fichier du cahier spécial est également disponible ci-dessous.
«Travail et formation vont ensemble»
La moitié des adultes québécois a des difficultés de compréhension avancée d’un texteEntrevue du directeur général
Sarah Poulin-Chartrand, collaboratrice Le Devoir
S’il est urgent de lutter contre l’analphabétisme au Québec, l’éducation aux adultes sous toutes ses formes, notamment par la formation en milieu de travail, doit aussi être valorisée, estime l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICEA).
« La formation en milieu de travail, c’est crucial ! lance Ronald Cameron, le directeur général de l’ICEA, en poste depuis 2011. Un plus grand effort doit être fait de la part des entreprises, afin d’inciter à la formation continue dans les milieux de travail. Nous essayons de mettre en avant, durant la Semaine québécoise des adultes en formation, l’idée que l’éducation aux adultes, ce n’est pas seulement une question de pauvreté et d’analphabétisme ! »
Avec l’évolution du marché du travail telle qu’on la connaît aujourd’hui, monsieur Cameron rappelle que les salariés ne passent plus toute leur vie dans un même emploi ou au sein d’une même entreprise. « Les tâches sont plus complexes : les technologies numériques sont implantées partout dans la production, et les changements de générations de technologies sont continuels dans les bureaux. Tout cela fait en sorte que travail et formation vont ensemble. »
Des chiffres révélateurs
Les chiffres du dernier rapport du Conseil supérieur de l’éducation, qui analyse notamment les données de 2003 de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et la compétence des adultes, lui donnent raison quant à l’importance de maintenir les adultes, même s’ils sont diplômés, dans un mode d’apprentissage continu. On peut lire dans ce rapport paru en septembre 2013 que « parmi les personnes titulaires d’un diplôme universitaire, entre 26 % et 28 %, selon le domaine de compétence, n’atteignent pas le niveau suffisant [de compétence souhaitée pour fonctionner en société] ». Dans le même ordre d’idée, le rapport note que « les scores moyens de compétence, peu importe le domaine, diminuent avec l’âge, et de façon plus notable chez les adultes de 46 à 65 ans ».
Il faut donc en conclure que le passage aux études supérieures ne garantit pas des niveaux de compétence satisfaisants en littératie, pour les années actives sur le marché du travail. « On s’aperçoit, dans l’étude du Conseil supérieur de l’éducation, qu’au Québec, parmi les gens qui ont des difficultés, 18 % ont des études postsecondaires, explique Ronald Cameron. Cela veut donc dire que même avec une scolarisation, avec le temps, les capacités s’étiolent, les habiletés se perdent. »
Cela vient aussi embrouiller l’image typique qu’on se fait parfois d’une personne ayant des lacunes en lecture et en écriture. « Le portrait type d’un analphabète, c’est une personne qui est très précaire, dans des situations de pauvreté, qui a une confiance en soi très faible. Mais ce n’est pas seulement cela ; ce n’est pas réservé strictement aux personnes en situation de pauvreté, ajoute le directeur général de l’ICEA. L’idée de la formation continue, de l’éducation permanente, c’est-à-dire d’être en mode d’apprentissage continu, devient donc extrêmement importante. »
L’urgence : combattre l’analphabétisme
L’importance d’une formation aux adultes bien implantée dans les milieux de travail ne devrait toutefois pas occulter une réelle urgence au Québec : 20 % des adultes sont analphabètes, et en sont lourdement handicapés socialement. Et non pas 50 %, comme le veut la statistique qui refait surface régulièrement, ce que déplore Ronald Cameron : « Les gens avec un grand handicap, qui sont considérés comme réellement analphabètes, sont de l’ordre d’un adulte sur cinq. Les chiffres du Conseil supérieur de l’éducation sont très clairs là-dessus. »
Le directeur général de l’ICEA ne nie par contre pas que près de la moitié des adultes québécois ont des difficultés de compréhension avancée d’un texte, ce qui leur nuit dans un monde de plus en plus tourné vers l’information.
Mais l’urgence, selon l’ICEA, se situe au niveau de l’analphabétisme complet. « Il faut faire un effort collectif pour arracher ce 20 % à sa condition léthargique au niveau de ses capacités. Il faut permettre aux exclus d’être des citoyens de manière pleine et entière. C’est une question sociale », estime Ronald Cameron.
« Compte tenu de l’état des lieux de l’action citoyenne et démocratique, ajoute-t-il, je pense qu’il est important de donner un coup de barre pour que la citoyenneté puisse s’exercer de façon plus complète. Je pense que l’éducation aux adultes peut jouer un rôle très important de ce point de vue là. L’éducation aux adultes, ce n’est pas seulement une question d’adéquation entre la formation et l’emploi, c’est une question de citoyenneté. »
Un institut en réseau
L’Institut de coopération d’éducation aux adultes, fondé en 1946, est un carrefour de réseaux qui oeuvrent en éducation populaire, dont le mandat est de promouvoir le droit aux adultes à une éducation tout au long de leur vie. Les membres de l’ICEA sont des établissements d’enseignement, des organisations syndicales, des groupes d’action sociale, notamment.
L’ICEA profitera de la semaine québécoise des adultes en formation, du 29 mars au 6 avril, pour développer une campagne de mobilisation et de valorisation de l’éducation aux adultes, partout au Québec. Une série d’activités dans toutes les régions de la province est prévue, et plus de 300 organismes vont mener des activités de reconnaissance et de valorisation : remise de bourses, galas, etc. « Nous voulons célébrer les adultes dans des programmes d’apprentissage, dans différentes sphères de la vie », conclut Ronald Cameron.