Selon Guy Le Boterf, la mobilisation effective 33 d’une compétence dans un nouveau contexte dépend largement de la volonté d’une personne à « aborder et traiter de nouvelles situations de telle sorte qu’elles fassent apparaître des caractéristiques qui permettront d’utiliser ce qui est déjà connu et maîtrisé 34 ». Le Boterf ajoute, par ailleurs, que c’est parce qu’une personne a « estimé qu’une situation pouvait être une opportunité de réutiliser un acquis qu’il y a transférabilité 35 ».
Au sujet de la transférabilité des compétences, Guy Le Boterf affirme également qu’elle « n’est pas à rechercher dans les compétences, les savoir-faire ou les connaissances [de la personne] mais dans sa faculté à établir des liens, à tisser des fils, à construire des connexions entre deux situations 36 ».
Bref, si nous sommes en mesure de mobiliser une compétence dans un nouveau contexte, ce n’est pas uniquement parce qu’elle est transférable, mais parce que nous reconnaissons les similitudes qui unissent des situations différentes dans lesquelles nous croyons pouvoir utiliser cette compétence. Dans cette perspective, la transférabilité n’est pas une réalité inhérente aux compétences. Elle est plutôt comparable à un potentiel, quelque chose qui existe en puissance et dont une personne peut tirer profit en se posant les questions adéquates, en cherchant les bonnes réponses, en faisant les bons choix.
9.1 Première affirmation
9.2 Deuxième affirmation
9.3 Troisième affirmation
La transférabilité des compétences est un potentiel. Sa réalisation est influencée par différents facteurs, soumise à certaines conditions et liée à la capacité d’une personne de faire preuve de réflexivité dans ses choix et ses actions.
Cette première affirmation présente le cadre dans lequel il est possible de transférer une compétence d’un contexte d’action à un autre.
Trois facteurs susceptibles d’influencer le transfert d’une compétence d’un milieu à un autre ont été identifiés au chapitre 7. Ces facteurs (voir l’encadré 4 ci-contre) sont autant de dimensions où les pratiques réflexives d’une personne prennent forme. La personne qui opère un retour réflexif sur ses pratiques se met en position de reconnaître ce qu’elle connaît et ce qu’elle maîtrise, de manière à pouvoir identifier les connexions possibles entre deux situations où elle compte utiliser une compétence générique.
Toute personne a une conscience minimale de ses expériences passées et des différents contextes d’action où elle a utilisé ses compétences génériques. Par ailleurs, toute personne qui aura mobilisé avec succès ses compétences génériques dans différents contextes d’action peut revendiquer la maîtrise de ces mêmes compétences.
Finalement, rappelons que la transférabilité des compétences est soumise à deux conditions essentielles (voir le chapitre 7, au point 7.3, page 27) :
- la compétence doit être « exportable », c’est-à-dire utile dans toutes sortes de milieux ou de contextes ;
- la compétence doit être visible et reconnue, c’est-à-dire tirée d’un cadre de référence commun (formel ou non) et réclamée par différents acteurs sociaux.
Du fait que les compétences génériques sont parmi les plus exportables qui soient, une part de leur potentiel de transférabilité est assurée. Cependant, une autre part de ce potentiel demeure liée à la visibilité et à la reconnaissance qu’on accorde aux compétences génériques dans différents milieux. En effet, ces compétences ne sont pas tout aussi « visibles » et « reconnues » dans tous les milieux où il est possible de les utiliser.
Nous savons, pas exemple, qu’il est possible de tirer profit de l’esprit d’initiative dans divers contextes d’action. Imaginons maintenant un contexte dans lequel l’utilisation de cette compétence générique serait proscrite. Ce contexte ne fournirait ni visibilité ni reconnaissance à l’esprit d’initiative. Une personne pourrait donc difficilement en tirer profit dans ce milieu et, même si elle parvenait à la mobiliser effectivement, ses efforts ne seraient pas reconnus, ils pourraient même lui être reprochés. Dans un tel contexte, le potentiel de transférabilité de l’esprit d’initiative serait quasi nul.
La pertinence de mobiliser une compétence générique croît en fonction de la reconnaissance qui lui est accordée, de sa maîtrise effective par la personne qui souhaite l’utiliser et du carac- tère approprié de cette compétence par rapport au contexte et aux objectifs visés.
Cette deuxième affirmation soulève plusieurs évidences :
- plus une compétence générique est reconnue pour son utilité dans un contexte particulier, plus il sera pertinent d’y avoir recours afin d’atteindre ses objectifs. Si cette compétence est reconnue pour son utilité dans plusieurs contextes (ce qui est le cas de nombreuses compétences génériques), il sera d’autant plus pertinent d’y avoir recours ;
- il est plus avantageux d’utiliser une compétence que l’on maîtrise. En effet, pour que la mobilisation d’une compétence dans un nouveau contexte produise un effet positif, il est nécessaire que celle-ci soit maîtrisée. Qui aurait avantage à mobiliser une compétence qu’il ne maîtrise pas ? Tenter de mobiliser une compétence encore en développement, serait comme tenter de courir alors qu’on sait à peine marcher ;
- il est important de mobiliser une compétence générique qui soit appropriée au contexte de transfert et aux objectifs visés. Par exemple, le recours au sens du détail apparaît approprié dans un contexte qui commande une grande précision d’exécution. De même, la facilité à faire des tâches répétitives est bien adaptée dans une situation qui commande l’exécution de gestes simples mais répétitifs. En revanche, peut-on affirmer que l’utilisation de l’une et l’autre de ces compétences serait appropriée dans la situation inverse ?
La capacité d’une personne à mobiliser effectivement des compétences génériques croît en fonction de la diversité et de la richesse de ses expériences passées en matière de transfert, surtout si elle intègre les leçons qu’elle peut tirer de ses expériences.
Cette troisième affirmation souligne le caractère déterminant des expériences de transfert réalisées par une personne ainsi que la nécessité d’intégrer les apprentissages qui en découlent. Pour affirmer qu’elle a effectivement mobilisé une compétence dans un contexte donné, une personne doit être en mesure d’expliquer ce qu’elle a fait. D’où l’importance d’adopter et de mettre en œuvre des pratiques réflexives qui aident à comprendre les choix qui ont été faits et les actions qui ont été posées.
La figure 1 (présentée à la page 35) illustre la capacité d’une personne à tirer profit du potentiel de transférabilité d’une compétence générique. Cette figure comporte trois axes : l’axe 1, celui de la diversité des contextes de transfert expérimentés par une personne ; l’axe 2, celui de la diversité des compétences qu’elle a mobilisées avec succès ; et l’axe 3, celui de la capacité d’une personne à tirer profit du potentiel de transférabilité d’une compétence générique.
Cette illustration permet d’imaginer plusieurs cas de figure possibles :
- un contexte de capacité limitée où peu de compétences sont mobilisées avec succès dans peu de contextes. Ce premier cas suppose qu’une personne aura eu moins d’occasions d’apprendre comment il est possible de tirer profit du potentiel de transférabilité d’une compétence générique ;
- deux contextes de capacité moyenne : l’un, où peu de compétences sont mobilisées avec succès dans beaucoup de contextes ; l’autre, où beaucoup de compétences sont mobilisées avec succès dans peu de contextes. Ces deux cas supposent qu’une personne aura fait l’expérience d’un certain nombre d’occasions de transfert, mais que sa capacité à tirer pleinement profit du potentiel de transférabilité d’une compétence demeure incomplète ;
- un contexte de grande capacité où beaucoup de compétences sont mobilisées avec succès dans beaucoup de contextes. Ce dernier cas suppose qu’une personne aura eu de nombreuses occasions d’apprendre comment il est possible de tirer profit du potentiel de transférabilité d’une compétence générique.
Remarque : Ce chapitre présente des notions et fournit des conseils qui ne se retrouvent pas dans l’édition de 1995.
33. Ce qui est « effectif » produit des effets. Dans le cadre des ateliers NCF, la « mobilisation effective d’une compétence » correspond à son utilisation appropriée dans un contexte où elle nous permet d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixés.
34. LE BOTERF, Guy (2010a). Construire les compétences individuelles et collectives. Agir et réussir avec compétence : les réponses à 100 questions, 5e édition mise à jour et complétée, Éditions d’Organisation, Paris, p. 148.
35. Op.cit.,p.148.
36. Ibid.