ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

FGA : faire de la francisation à distance

Franciser les personnes immigrantes à distance

D’entrée de jeu, il faut reconnaître que la faisabilité d’un projet de francisation à distance n’est pas à remettre en cause. De fait, elle est dans une certaine mesure démontrée, puisque le ministère de l’Immigration, de la Francisation et l’Intégration (MIFI) offre depuis plusieurs années des cours de francisation en ligne. Il faut cependant préciser que ces cours sont offerts à différents groupes de personnes immigrantes qui résident au Québec ou dans leur pays d’origine selon leur statut d’immigration et le respect de certaines conditions d'admission. 

L’offre du MIFI montre que la francisation à distance est possible en ligne. Cette première question écartée, il reste la question centrale des moyens à mettre en œuvre et des conditions à réunir pour faire de la francisation à distance.

Plusieurs modes d’apprentissage à distance

Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler ici que la formation en ligne n’est que l’un des modes d’apprentissages à distance qu’on peut privilégier dans le contexte actuel de confinement. L’apprentissage à distance était possible bien avant l’apparition des technologies numériques qui permettent aujourd’hui d’offrir de la formation en ligne. 

À ce titre, la spécialiste senior des questions technologiques et spécialiste de la formation professionnelle à l’Education Development Center (EDC), Mary Burns, cite la radio, la télévision et le téléphone portable comme autres options technologiques permettant d’assurer l’apprentissage à distance (Bruns, 2020). L’inventaire dressé par madame Burns se rapporte à la situation particulière des populations de plusieurs pays d’Afrique, notamment de la région subsaharienne. 

Le téléphone cellulaire intelligent : une option technologique à privilégier

La dernière option technologique citée par madame Burns retient notre attention. L’utilisation de téléphone cellulaire intelligent est de plus en plus généralisée au Québec, chez les personnes nées au Canada comme chez les personnes immigrantes. Les chercheurs Christian Agbobli et Magda Fusaro de l’UQAM ont mené une recherche pancanadienne sur l'utilisation d'Internet par les immigrants au Canada. Cette enquête a permis d’établir que ces personnes immigrantes « possédaient et utilisaient à leur domicile les équipements suivants : un ordinateur portable et un téléphone cellulaire intelligent et ont presque tous (70,9 %) une connexion Internet à leur maison » (Béland, 2018).

Qui plus est, l’enquête de l’UQAM révèle que le cellulaire intelligent est l'équipement que les personnes immigrantes utilisent le plus pour naviguer sur Internet (Béland, 2018). Le cellulaire intelligent se présente ainsi comme une option technologique à privilégier dans le contexte actuel. 

Dans la mesure où une personne dispose d’une connexion Internet, le cellulaire intelligent permet d’accéder à de nombreuses plateformes de communication, de partage et d’apprentissage. Mary Burns rappelle qu’il permet d’accéder facilement à des contenus et des programmes de formation, des applications éducatives, des médias sociaux, des programmes éducatifs, offrant même la possibilité d’avoir accès à un tutorat par vidéo ou SMS (Bruns, 2020).

Des obstacles majeurs demeurent

Cela dit, de nombreux obstacles demeurent. Citons en premier lieu la disponibilité d’une connexion Internet : cette disponibilité est susceptible de faire défaut à de nombreuses personnes (immigrantes ou non) qui se retrouvent en situation précaire ou qui n’habitent pas des régions urbanisées où les possibilités de Wifi gratuit sont limitées (pensons à l’initiative « Île sans fil » qui favorise la pénétration d’Internet à Montréal). 

Il est également possible de citer l’éventuelle méconnaissance de certaines personnes immigrantes concernant les ressources éducatives qui leur sont offertes à distance. Dans un contexte de confinement, alors que de nombreux liens entre les centres de formation et les personnes apprenantes ont été brisés, la diffusion de ces renseignements stratégiques se révèle plus difficile.

Garder le contact avec les personnes apprenantes

En effet, la fermeture des institutions d’enseignement ordonnée début mars a mis à mal les liens qui unissaient les personnes immigrantes en francisation et le personnel enseignant des centres de formation générale des adultes qui les accueillaient. Ces liens sont aujourd’hui à reconstruire à distance.

Dans sa récente directive concernant la reprise à distance des cours donnés à la FGA, le ministre Jean-François Roberge met l’accent sur l’importance de communiquer régulièrement avec les élèves des centres. Cette préoccupation semble partagée par le personnel enseignant des centres, notamment ceux qui œuvre en francisation. 

Interrogée sur la situation particulière de la francisation à la FGA, la conseillère pédagogique en francisation Marie Catherine Barry qui œuvre au centre Louis-Jolliet de Québec fait une distinction entre les personnes immigrantes plus scolarisées (celles qui ont plus de neuf années de scolarité) et les personnes immigrantes en francisation-alpha (celles qui sont moins scolarisées ou peu alphabétisées dans leur langue maternelle). Il est selon elle plus facile de joindre les personnes immigrantes plus scolarisées.

Un site web proposant des activités pédagogiques a ainsi été créé pour les personnes immigrantes plus scolarisée. Ces personnes peuvent le consulter et il semble que les enseignantes et les enseignants en francisation du centre Louis-Jolliet aient déjà repris contact avec leurs étudiants par l’intermédiaire de Facebook. Certains auraient même pris l'initiative de livrer en ligne des capsules pédagogiques une à deux fois par semaine.

La difficulté de joindre les populations peu alphabétisées

« Il est toutefois beaucoup plus difficile d'atteindre nos étudiants alpha, explique Marie Catherine Barry. Les enseignants ont pris contact avec eux par téléphone pour s'assurer que chacun avait les ressources nécessaires pour faire face à cette période difficile. On a aussi une travailleuse sociale qui est disponible à temps plein pour répondre à leurs inquiétudes ou les référer vers le bon organisme s'il y a lieu. (Dignard, 2020) »

Selon Marie Catherine Barry, l'enseignement à distance avec les personnes immigrantes inscrites en francisation-alpha pourrait se révéler difficile. L’accès aux outils technologiques et les connaissances nécessaires pour s’en servir sont à son avis des obstacles à surmonter. Il faut par ailleurs de tenir compte du fait que « [c]es gens-là sont en mode survie présentement et doivent avoir beaucoup d'autres préoccupations que l'apprentissage du français » (Dignard, 2020).

Des initiatives intéressantes voient le jour

Outre les initiatives mises en œuvre au centre Louis-Jolliet de Québec, il est possible de citer la création du groupe Facebook « Enseigner la francisation-alpha au Québec ». Ce groupe a été créé par Camille Larochelle, une enseignante de francisation qui œuvre dans un centre de francisation des adultes de la région de Montréal. Ce groupe est devenu un lieu d’échange pour les enseignant-e-s de francisation-alpha, qui partagent des ressources et des idées pour mieux aider les adultes peu ou pas scolarisés en apprentissage du français.

À la question de savoir si la francisation à distance est possible, Camille Larochelle estime que cela serait possible pour les niveaux plus avancés, mais qu’il s’agirait d’un défi à relever chez les personnes immigrantes peu alphabétisée dans leur langue maternelle. Madame Larochelle rappelle que « ces personnes ne savent pas lire » et « qu’elles n’ont pas toujours de langue commune » (ni le français, ni l’anglais) : « dans ma classe, il y a une dizaine de langues maternelles différentes » (Dignard, 2020). 

« J'ai tout de même tenté l'expérience de l'enseignement à distance, à savoir la création d'une chaine Youtube, explique Camille Larochelle. Les élèves sont contents de me voir en vidéo, ils révisent les notions apprises avant le virus [et] peuvent continuer de pratiquer un peu de français. (Dignard, 2020) » Madame Larochelle a ainsi déjà publié plusieurs capsules sur la chaîne Youtube. Son action favorise la révision de notions essentielles comme les lettres de l’alphabet, les voyelles ou les salutations en français. La première capsule a d’ailleurs été publiée le 15 mars dernier, immédiatement après la fermeture des établissements d’enseignement (voir ces capsules). 

Questionnée au sujet de la principale répercussion de la fermeture des établissements d’enseignement pour les personnes immigrantes en francisation, Camille Larochelle estime que la solitude est certainement la plus grande conséquence. 

L’enseignante observe que cette solitude est d’autant plus vraie « pour les personnes qui habitent seules, généralement des aînés, pour qui l'école était le lieu de socialisation. Ces personnes trouvent difficile d'être enfermées entre quatre murs, dans un petit appartement. Elles ne sortent pas dehors parce qu'elles ont peur et elles s'ennuient. » (Dignard, 2020) Elle a créé un groupe whatsapp afin de permettre aux personnes de sa classe qui ont un numéro de téléphone de demeurer en contact. L’initiative semble appréciée par les personnes participantes qui ont notamment la possibilité de s’envoyer des messages vocaux.

En conclusion

Pour en revenir à la question soulevée en introduction, les réflexions présentées ici mettent en lumière la possibilité de faire de la francisation à distance pour les personnes immigrantes inscrites à la FGA. 

Ces réflexions permettent également de soutenir que le défi de la francisation à distance apparait plus facile à relever avec la participation de personnes immigrantes scolarisées. Ces personnes étant déjà alphabétisées dans leur langue maternelle, il apparait plus facile de les guider à distance dans l’apprentissage du français. 

Cela dit, les initiatives présentées dans ce texte démontrent également qu’il est possible de joindre des personnes immigrantes peu ou pas scolarisées ou alphabétisées et de les intéresser à l’apprentissage à distance du français. Il faut cependant y mettre les efforts nécessaires et tenir compte de la situation particulière de ces personnes.

Références

Burns, Mary (2020). « 4 options d'enseignement à distance à envisager durant cette pandémie de COVID-19 », Blog Éducation pour tous, Partenariat mondiale pour l’éducation, 1er avril 2020. [En ligne]

Béland, Maude (2018). « Internet : une recherche de l'UQAM démontre son rôle central dans l'intégration des immigrants au Canada », Salle de presse, site Internet de L’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet (ACEI), 1er février 2018. [En ligne]

Dignard, Hervé (2020). La situation particulière de la francisation à l’éducation des adultes, courrier électronique transmis le 15 avril 2020 à Marie Catherine Barry et Camille Larochelle [document non publié].