ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Opération main-d’œuvre : repenser la formation pour l’emploi, la reconnaissance des acquis et l’immigration

Erratum : Dans la publication originale du 8 avril 2022, le domaine de la construction n'avait pas été cité comme étant l'un des domaines d'emploi ou d'activité ciblés par le gouvernement dans le cadre de l'Opération main-d'oeuvre. Cette omission a été corrigée par des modifications apportées au texte le mardi 17 janvier 2023.

L’Opération main-d’œuvre en bref

À travers l’Opération main-d’œuvre, le gouvernement propose un ensemble de mesures structurantes permettant de s’attaquer à la rareté de la main-d’œuvre. Pour parvenir à cet objectif, le gouvernement propose de nouvelles façons de soutenir l’apprentissage, de concevoir la formation, de former pour l’emploi et en emploi, de favoriser l’alternance travail-études, de reconnaître les acquis (notamment ceux des personnes immigrantes) et même de gérer l’immigration.

Comme l’illustre le tableau 1, cette opération repose sur la mise en œuvre de grandes stratégies qui sont jumelées à l’utilisation de modes d’action récurrents dans le but de répondre aux besoins de main-d’œuvre de cinq domaines d’emploi ou d’activités ciblés. 

Tableau 1 : Principales mesures structurantes de l’Opération main-d’œuvre

Trois grandes stratégies

Les stratégies proposées par l’Opération main-d’œuvre sont à la fois connues et déjà utilisées, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde. Cela dit, le gouvernement propose avec cette opération d’agir simultanément à plusieurs niveaux en ciblant plusieurs catégories de personnes susceptibles de répondre aux besoins de main-d’œuvre des domaines en pénurie : les adultes en formation ou qui souhaitent participer à de la formation, les personnes immigrantes qui souhaitent venir s’établir au Québec et des personnes retraitées qui souhaitent revenir en emploi. 

1) Former rapidement les personnes

La formation en emploi et pour l’emploi est déjà une stratégie utilisée par le gouvernement pour favoriser l’employabilité des adultes. Ce que l’Opération main-d’œuvre propose de nouveau, c’est de former rapidement un grand nombre de personnes, en utilisant tout à la fois des programmes existants (formation professionnelle, collégiale technique ou universitaire) et de nouveaux programmes. 

Cette stratégie suppose de développer de nouvelles formules de formation ciblées et plus courtes comme ce fut le cas durant la pandémie avec la Formation accélérée pour les préposés aux bénéficiaires offerte par le gouvernement du Québec. Par ailleurs, ces nouvelles formations accélérées viseraient uniquement les besoins de main-d’œuvre des cinq domaines d’emploi visés par le gouvernement.

La documentation de l’Opération main-d’œuvre fait état d’une attestation d’études professionnelles de 240 heures a été élaborée pour former 3000 agents administratifs (Québec, 2021). De même, une formation accélérée sera développée pour répondre aux besoins des services de garde éducatifs à l’enfance (voir l’annonce pour le recrutement et la qualification d’éducatrices et d’éducateurs : MFQ, 17 janvier 2022).

Le budget du gouvernement du Québec, présenté le 21 mars 2022, prévoit par ailleurs l'investissement de 18,8 M$ d’ici 2026-2027 dans le développement d’un nouveau type de formation non créditée, plus courte que l’attestation d’études collégiales (AEC) dont l’objectif sera de requalifier rapidement les personnes (Québec, 2022 : D.23).

2) Recruter à l’étranger

Comme seconde stratégie, l’Opération main-d’œuvre mise sur le recrutement à l'étranger de personnes dont la formation serait comparable à celle qui se donne au Québec. L’objectif est de cibler ces personnes immigrantes, de les aider à faire reconnaître leurs compétences et leur expérience et de les intégrer en emploi le plus rapidement possible.

En février dernier, le gouvernement a ainsi annoncé son intention de recruter 1000 infirmières et infirmiers à l'international (MTESS, 16 février 2022). Les personnes ainsi sélectionnées seront accueillies à titre d’étudiantes et elles suivront la formation d'appoint prescrite par l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) en vue d’obtenir leur permis d'exercice. Ces personnes seront par ailleurs soutenues et accompagnées dans le processus de reconnaissance de leurs compétences afin de pouvoir intégrer progressivement la profession dans les régions du Québec. 

3) Retour en emploi de personnes retraitées

Comme troisième stratégie, l’Opération main-d’œuvre mise sur le retour en emploi des personnes retraitées. On mise ainsi sur l’apport à court terme de travailleuses et de travailleurs expérimentés en offrant à ces personnes des incitatifs financiers et l’assurance qu’un retour en emploi ne les pénalisera pas financièrement. 

Trois modes d’action récurrents

Parallèlement à ces trois stratégies, le gouvernement généralise l’utilisation des trois modes d’action récurrents, soit le soutien à la formation qui mène à l’emploi dans des domaines précis, une offre accrue de parcours de formation en alternance travail-études et le recours à la reconnaissance des acquis et des compétences.

1) Soutenir la formation qui mène à l’emploi dans les domaines ciblés

Un premier mode d’action récurrent proposé par l’Opération main-d’œuvre est de soutenir financièrement la formation qui mène à l’emploi dans les domaines ciblés par le gouvernement (enseignement, services de garde éducatifs à l’enfance, santé et services sociaux, génie et technologies de l’information). Ce soutien s’adresse tout à la fois aux personnes (nées ici ou immigrantes) et aux employeurs. 

La liste qui suit présente les principales mesures de soutien déjà annoncées dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre : 

  • les bourses Perspective Québec, que les personnes inscrites dans les programmes de formation (collégial technique ou universitaire) ciblés recevront pour chaque session réussie dès l’automne 2022 (1500 $ à 2500 $, selon l’ordre d’enseignement) (ICÉA, 1er mars 2022);
  • l’allocation de 475 $ par semaine offerte aux personnes comme soutien du revenu accordé pour la formation;
  • un soutien de 4000 $ en cours de formation sera offert aux agents administratifs à former en 2022 afin de soulager le personnel infirmier de certaines tâches administratives (Québec, 2021);
  • la gratuité scolaire pour la formation à temps partiel des infirmières auxiliaires et des préposés aux bénéficiaires (Québec, 2021);
  • des bourses de 20 000 $ par personne pour les infirmières auxiliaires que le gouvernement veut former et intégrer dès mars 2023 (Québec, 2021);
  • le soutien du revenu provenant du Programme pour la requalification et l’accompagnement en technologies de l’information et des communications (PRATIC) pour les personnes sans emploi qui suivent des formations qualifiantes dans le domaine des TIC (650 $ par semaine et 1950 $ à la réussite de la formation) (Québec, 2021);
  • finalement, pour les employeurs des domaines priorisés (notamment des services de garde éducatifs à l’enfance et des technologies de l’information), le soutien financier provenant du Programme de formations de courte durée privilégiant les stages (COUD) (salaires des personnes en formation, honoraires professionnels et autres frais) (Québec, 2021).

2) Accroître l’offre de parcours en alternance travail-études

Un deuxième mode d’action récurrent proposé par l’Opération main-d’œuvre est l’offre accrue de parcours de formation en alternance travail-études, que ce soit pour des personnes en emploi ou sans emploi. L’alternance travail-étude serait ainsi privilégiée afin de  former et de qualifier les personnes non qualifiées qui occupent déjà un poste de travail ou qui sont nouvellement embauchées. 

Dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre, l’alternance travail-études est liée au soutien du programme COUD et sera fortement utilisée par les employeurs des technologies de l’information et des services de garde éducatifs à l’enfance (Québec, 2021).

3) Favoriser la reconnaissance des acquis et des compétences

Comme dernier mode d’action récurrent, l’Opération main-d’œuvre propose de favoriser la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) pour les personnes immigrantes et les personnes non qualifiées qui occuperaient un emploi en demande tout en étant formées en alternance travail-études.

Ce mode d’action est préconisé dans plusieurs domaines priorisés par le gouvernement, notamment la santé et les services sociaux, les services de garde éducatifs à l’enfance et l’éducation (Québec, 2021). Il est par ailleurs étroitement lié à la stratégie reposant sur le recrutement de talents à l’étranger. 

Cinq domaines d’emploi ou d’activités

Ces stratégies et ces modes d’action sont finalement orientés vers la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée dans cinq domaines d’emploi ou d’activité qui sont jugés stratégiques pour le Québec et son économie et où la rareté de main-d’œuvre est particulièrement préoccupante.

On retrouve dans cette liste restreinte des services publics essentiels comme l’enseignement, les services de garde éducatifs à l’enfance, la santé et les services sociaux ainsi que des secteurs d’activités comme le génie et les technologies de l’information et la construction, dont l’apport en emplois bien rémunérés est jugé crucial pour le développement du Québec.

Le gouvernement du Québec justifie ce choix en invoquant la nécessité d’agir à court terme pour répondre au manque de main-d’œuvre qui caractérise ces secteurs d’emploi. Cette décision limite cependant la portée des stratégies et des actions récurrentes qui sont proposées dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre. 

Pour les années à venir, seuls cinq domaines d’emploi ou d’activité sont ciblés par le gouvernement. Cette décision prend la forme d’une orientation gouvernementale du soutien et de l’accompagnement offert à la formation et en reconnaissance des acquis. Il est certain qu’elle influencera les décisions des personnes en formation et des institutions d’enseignement du Québec. Il est par ailleurs à prévoir qu’elle soit à l’origine de déséquilibres dans les domaines d’emploi ou d’activité qui ne sont pas ciblés par l’Opération main-d’œuvre.

Bourses incitatives ou soutien conditionnel?

La question est légitime : l'investissement de 1,7 milliard $ d’ici 2025-2026 dans les bourses Perspective Québec oriente clairement le soutien à la formation qui est offert aux personnes apprenantes.

L’aspect positif de cette mesure, c’est que les personnes inscrites à temps dans les programmes d’études techniques et universitaires identifiés par l’Opération main-d’œuvre pourront bénéficier de cette aide dès l’automne 2022. Cependant, l’accès à ces bourses commande de choisir l’un des programmes d’études (collégiaux techniques et universitaires) ciblés par le gouvernement et menant à une profession priorisée dans les cinq domaines suivants : enseignement, services de garde éducatifs à l’enfance, santé et services sociaux, génie et technologies de l’information.

Une orientation source de déséquilibres

L’orientation des différentes mesures de l’Opération main-d’œuvre vers certains domaines d’emploi ou d’activité soulève notamment la question des déséquilibres que cela pourrait occasionner. Différents cas de figure sont à appréhender :

1. Un déséquilibre survient à l’intérieur d’un domaine ciblé par le gouvernement;

En janvier dernier, une étudiante en génie soulignait les effets négatifs de l’exclusion des génies aérospatial, biomédical et chimique de la liste des programmes de formation admissibles aux bourses Perspective Québec. Elle craignait que moins de personnes s’inscrivent dans ces programmes qui apparaissent tout aussi essentiels à l’économie québécoise (Désilet, 3 janvier 2022). Depuis, la situation a été corrigée par le gouvernement. Cependant, cet exemple met en évidence la possibilité que des déséquilibres surviennent à l’intérieur même d’un domaine ciblé.

2. Un déséquilibre affecte des domaines qui ne sont pas ciblés par l’Opération main-d’œuvre.

Sous l’influence des bourses Perspective Québec, de nombreux programmes de formation pourraient connaître des baisses d’inscriptions au cours des prochaines années. C’est notamment le cas du domaine des sciences sociales, dont les programmes permettent de qualifier la main-d’œuvre du secteur communautaire, qui est lui aussi affecté par la faible disponibilité de travailleuses et des travailleurs qualifiés. À l’exception du baccalauréat et de la maîtrise en travail social, peu de programmes en sciences sociales rendent admissibles aux bourses Perspective Québec. 

3. Un déséquilibre affecte le développement de l’offre de formation en raison de l’intérêt porté par l’Opération main-d’œuvre à certains types de formation.

Dans son récent budget, le gouvernement propose deux investissements susceptibles de mener à ce résultat. D’une part, on y annonce la modernisation des programmes de la formation professionnelle : on peut se demander si elle touchera tous les programmes de la FP ou uniquement ceux ciblés par l’Opération main-d’œuvre. D’autre part, le financement accordé au développement d’un nouveau concept de formation courte et non créditée est inquiétant : dans un processus de qualification, chaque cours suivi par adulte devrait donner droit à des crédits menant à l’obtention d’un diplôme. 

Flexibilité et accessibilité

Toujours en lien avec les bourses Perspective Québec, le fait d’encourager uniquement la formation à temps plein dans certains programmes de formation génère des obstacles pour les personnes qui ne peuvent étudier à temps plein (comme les parents seuls) ou les personnes dont les choix ne correspondent pas aux priorités du gouvernement (ICÉA, 1er mars 2022). 

Quelle vision de l’adéquation?

La vision de l’adéquation mise en œuvre par le gouvernement dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre apparaît centrée sur l’aspect quantitatif des besoins du marché du travail, alors qu’une vision globale des liens entre les besoins de main-d’œuvre et la formation serait nécessaire.

Comme le soulignait l'ICÉA dans sa Déclaration de principes sur l'adéquation entre la formation et l'emploi (2019), l’adéquation « doit prendre en compte les besoins des personnes (développement des compétences, accès à l’emploi, qualité de la rémunération, conformité aux aspirations professionnelles, nécessité de s’adapter aux changements à venir, etc.) et de la société du savoir dans laquelle nous vivons (capacités d’action et d’adaptation des individus et des organisations, culture d’apprentissage tout au long de la vie, etc.). » (ICÉA, mai 2019

Dans cette perspective, l’Opération main-d'œuvre devrait permettre d’aller au-delà de l’aspect quantitatif de l’adéquation. Il est bon de développer aujourd’hui les compétences en demande et de recruter des talents à l’étranger. Il est également souhaitable de le faire sans délai. Mais la rapidité d’action ne devrait pas être le seul mot d’ordre. Cette opération peut très bien viser l’atteinte d’objectifs à court terme, dont le nombre et l’addition pourraient favoriser l’atteinte d’objectifs à moyen et long terme, comme la valorisation des acquis et l’accès à la diplomation.

Concevoir la formation pour qualifier à long terme

L’Opération main-d’œuvre soulève des questionnements légitimes concernant la conception de la formation et la qualification des personnes concernées. Le contexte actuel commande peut-être d’agir rapidement, mais il n’en est pas moins important d’agir dans le but de favoriser la qualification à long terme des personnes. Dans cette perspective, toutes les formations conçues dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre, même les plus courtes, devraient être créditées et ainsi donner droit à des unités pouvant mener à un diplôme. 

Malheureusement, l’Opération main-d’œuvre et les investissements du dernier budget québécois (ICÉA, 31 mars 2022) ne traduisent pas cette volonté. Le soutien accordé au développement de formations courtes et non créditées traduit plutôt un désir de qualifier rapidement des personnes au détriment de la valorisation des acquis et de l’accès à la diplomation. 

Former en milieu de travail dans tous les domaines

L’Opération main-d’œuvre aura un impact majeur sur toute la formation offerte en milieu de travail dans les années à venir. Compte tenu des sommes injectées dans cette opération et des mesures annoncées à ce jour, il est légitime de se demander si le gouvernement et la CPMT parviendront à partager équitablement leur attention entre les besoins des domaines d’emploi ciblés et ceux des autres domaines d’emploi, qui ne sont pas ciblés. 

La priorité accordée aux situations de rareté et de pénurie de main-d’œuvre ne doit pas occulter le fait que les besoins en matière de formation et de développement de la main-d’œuvre des domaines d’emploi non ciblés par l’Opération main-d’œuvre sont tout aussi importants et stratégiques pour la société et l’économie québécoise. 

L’immigration : orientée ou instrumentalisée?

L’Opération main-d’œuvre suppose une orientation sinon une instrumentalisation de l’immigration au profit des besoins de main-d’œuvre du Québec. L’idée de cibler les personnes immigrantes en fonction de leurs compétences professionnelles peut sembler séduisante au premier abord, mais il ne faudrait pas en oublier le fait que ces personnes doivent, avant toute chose, vouloir s’établir au Québec. 

Il faudrait éviter d’accueillir des personnes qui vivraient au Québec avec le sentiment qu’elles seront jugées utiles tant que leurs compétences seront en demande. Rien dans la récente annonce du gouvernement Legault visant à recruter 1000 infirmières et infirmiers à l'international (MTESS, 16 février 2022) ne permet de s’assurer que le Québec ne cherche pas seulement à accueillir des travailleuses et des travailleurs en demande sur le marché du travail. Ces infirmières et ces infirmiers doivent être accueillis comme des personnes qui deviendront citoyennes et citoyens à part entière.

L’apport de l’immigration va bien au-delà de la seule réponse aux besoins de main-d’œuvre. Cet apport est professionnel et économique, mais il est surtout social, culturel, générationnel, éducatif et bien plus encore. 

Par ailleurs, la recherche d’expertise et de talent à l’étranger ne devrait pas occulter le fait que les compétences professionnelles de nombreuses personnes immigrantes déjà installées au Québec sont sous-utilisées et non reconnues. Parmi ces personnes, il s’en trouve certainement dont l’expérience et la formation acquises à l’étranger correspondent aux besoins de main-d’œuvre des domaines de l’Opération main-d’œuvre.

Reconnaître les acquis et les compétences

De manière générale, il est à souhaiter que l’évaluation et la reconnaissance de la scolarité et de l’expérience des personnes visées par l’Opération main-d’œuvre, notamment les personnes immigrantes, favorise la continuité des parcours professionnels, s’inscrive dans un processus de qualification à long terme et mène à l’émission d’attestations officielles (ICÉA, 2020).

De manière plus particulière, l’idée de recruter des talents à l’étranger commande de lever les obstacles liés à la reconnaissance des acquis et des compétences des personnes immigrantes. Par le passé, le Québec a accueilli de nombreuses personnes immigrantes en raison de leurs qualifications. Aujourd’hui, nombre de ces personnes sont confrontées à la difficulté de faire reconnaître leurs compétences et leurs expériences (difficultés d’accès à la RAC et à la formation, réglementation des ordres professionnels, absence de soutien, dévalorisation des acquis, désillusion, etc.). 

Il faut éviter aux personnes sélectionnées dans l’année à venir de vivre les mêmes problèmes et trouver des solutions pour les personnes qui sont déjà installées au Québec. À cet effet, le gouvernement propose six mesures pour améliorer la RAC chez les personnes immigrantes : aider les organismes réglementaires et les ordres professionnels à bonifier l’évaluation des compétences des personnes recrutées à l’étranger, à développer des formations d'appoint et à délivrer des permis restrictifs temporaires; accompagner et soutenir financièrement les personnes immigrantes en démarche de RAC; et outiller les employeurs dans l'évaluation des études effectuées à l'étranger (MTESS, 7 décembre 2021). 

Parmi ces mesures, on retrouve l’idée de soutenir les employeurs dans l'évaluation des études effectuées à l'étranger. Actuellement, les employeurs ont accès à peu d’outils pour les aider dans cette tâche, sinon le processus d’évaluation comparative fait par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. Rappelons que cette évaluation comparative « est un avis d'expert délivré par le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l’Intégration à titre indicatif seulement » et qu’elle n'est « ni un diplôme ni une équivalence de diplôme » (MIFI, 19 mars 2021).

Sachant que le principal obstacle lié à cette évaluation est sa faible prise en compte par les employeurs (Goudet, septembre 2021), on est en droit de se demander si ce soutien suffira à le lever.

Miser sur les personnes retraitées

Il est clair que le retour en emploi de personnes retraitées se présente comme une mesure palliative. En raison de leur expérience, ces personnes peuvent se remettre en emploi rapidement et atténuer à court terme un manque de main-d’œuvre. Cependant, ces personnes ne souhaiteront pas revenir à leur vie professionnelle d’avant la retraite. Leur retour en emploi sera assurément temporaire (sinon à temps partiel) et ne permettra pas de combler un besoin de main-d’œuvre à long terme. 

À ce jour, elle a été appliquée dans le domaine de l’enseignement (MÉQ, 24 janvier 2022). En septembre 2020, le ministère de l’Éducation offrait aux enseignants retraités la possibilité de « recevoir un maximum de 412 $ par jour, comparativement à 212 $ pour les 20 premiers jours de suppléance », ceci sans pénalité sur les prestations de retraite (Dion-Viens, 22 septembre 2020).

Cela dit, cette mesure favorise le retour en emploi des personnes dont l’expérience et l’expertise pourraient être mises à profit dans des situations de formation en milieu de travail : compagnonnage, mentorat, supervision de stage, entraînement à la tâche, etc. 

Dans un contexte où le gouvernement souhaite mettre l’accent sur la formation donnée en milieu de travail et les parcours en alternance travail-études, la disponibilité accrue de travailleuses et de travailleurs expérimentés (en éducation, en santé ou ailleurs) pourrait faciliter l’atteinte des objectifs de l’Opération main-d’œuvre. Cependant, il s’agit là d’avenues d’action que cette opération ne met pas de l’avant.

De nouvelles façons de faire

En conclusion, le gouvernement Legault propose de nouvelles façons de faire afin de favoriser une plus grande disponibilité de la main-d’œuvre.  Ces nouvelles façons de faire ont pour la plupart été présentées en novembre 2021, lors de l’annonce de l’Opération main-d’œuvre. Depuis, le gouvernement a procédé à d’autres annonces (liées à l’Opération main-d’œuvre ou aux crédits budgétaires de mars 2022) qui permettent de mieux comprendre les changements qui s’opèrent actuellement en éducation des adultes, dans le milieu scolaire formel et à l’enseignement supérieur.

Notre analyse de ces nouvelles façons de faire ne remet pas en question le fait qu’elles soient des solutions permettant de répondre aux besoins du marché du travail. Cependant, elle met en lumière plusieurs questionnements soulevés par ces nouvelles façons de faire. 

Ces questionnements soulignent l’importance de mettre de l’avant une vision tout à la fois quantitative et qualitative de l’adéquation entre la formation et l’emploi. Ces questionnements rappellent l’importance de lever les nombreux obstacles qui freinent la participation à la formation ainsi que la reconnaissance des acquis et des compétences – à ce titre, plusieurs obstacles liés à la reconnaissance des diplômes étrangers et des compétences des personnes immigrantes sont à lever.

Finalement, ces questionnements nous alertent au sujet des déséquilibres que l’orientation du soutien à l’apprentissage pourrait provoquer au sein de notre société. Sous prétexte de corriger des situations de rareté et de pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs d’emploi, il ne faudrait pas en créer dans d’autres secteurs.

 
Références

Désilet (3 janvier 2022). « Bourses Perspective Québec : Un secteur du programme de génie oublié », La Presse, section Opinion, le 3 janvier 2022. En ligne : https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2022-01-03/bourses-perspective-q...
Goudet, A. (septembre 2021). « La reconnaissance des acquis et compétences, entre autonomie des universités et discrimination systémique des personnes immigrantes », Revue L’Esprit libre, Opinion, 24 septembre 2021, avec l’appui des organismes signataires suivants : Action Travail des Femmes (ATF), Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT), Groupe de recherche interuniversitaire et interdisciplinaire sur l'emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS), Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec (RAFIQ) et Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI). En ligne : https://revuelespritlibre.org/la-reconnaissance-des-acquis-et-competence...
ICÉA (31 mars 2022). « Budget du Québec 2022-2023 : des investissements éducatifs sous le signe de l’Opération main-d’œuvre », Nouvelles, site Web de l'ICÉA, publication du 31 mars 2022. En ligne : https://icea.qc.ca/fr/actualites/budget-du-québec-2022-2023-des-investi...
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Dion-Viens (22 septembre 2020). « Québec cherche 800 profs retraités pour faire de la suppléance », Journal de Québec, Actualité éducation, 22 septembre 2020. En ligne : https://www.journaldequebec.com/2020/09/22/les-profs-retraites-en-renfor...
Le Nouvelliste (10 février 2022). « Bourses Perspective Québec: il faut inclure les Techniques en travail social », Le Nouvelliste, Carrefour des lecteurs, jeudi 10 février 2022. En ligne : https://www.lenouvelliste.ca/2022/02/10/bourses-perspective-quebec-il-fa...
MIFI (19 mars 2021). « Évaluation comparative des études effectuées hors du Québec », Ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, page Web du site du Gouvernement du Québec, mise à jour du 19 mars 2021. En ligne : https://www.immigration-quebec.gouv.qc.ca/fr/travailler-quebec/evaluatio...
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MTESS (7 décembre 2021). « Le ministre Jean Boulet annonce un plan d'action doté d'un investissement de 130 M$ répartis sur 2 ans pour la reconnaissance des compétences des personnes immigrantes », CNW Telbec, communiqué du 7 décembre 2021, ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale. En ligne : https://www.newswire.ca/fr/news-releases/le-ministre-jean-boulet-annonce...
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Québec (2022). Budget 2022-2023, Plan budgétaire, Gouvernement du Québec, 470 p. En ligne : http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2022-2023/documents/Budget2...
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