Au mois de février, l’ICÉA a lancé une consultation sur les grands chantiers en éducation des adultes. À la suite de cette consultation, qui a été prolongée jusqu’au 6 mai 2022, nous avons décidé de poursuivre la réflexion sur les grands chantiers en organisant une série de quatre webinaires gratuits sur l’éducation des adultes. Le 2 mai a eu lieu le dernier webinaire de la série. Celui-ci était intitulé « Vers une nouvelle politique gouvernementale d’éducation des adultes ».
Quelques repères historiques
Il y a vingt ans, le 2 mai 2002, la Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue et le Plan d’action en matière d’éducation des adultes et de formation continue (2002-2007) étaient rendus publics. Ce webinaire a été l’occasion de revenir sur l’adoption de cette politique.
Rappelons que le processus menant à l’adoption de cette politique a pris plusieurs années et qu’il découle d’une recommandation issue des États généraux sur l’éducation de 1995-1996. Dans le rapport final de la Commission des États généraux sur l’éducation, qui s’intitule Rénover notre système d’éducation : dix chantiers prioritaires, on peut lire ce qui suit :
L’histoire de l'éducation des adultes au Québec est longue. Elle est jalonnée de réussites, d'innovations, mais aussi de projets avortés. On voit plus clairement, 30 ans plus tard, ce qu'on doit faire et ce qu'on peut faire. Ne serait-il pas opportun, au moment où des orientations majeures doivent être données au système d'éducation et où il apparaît évident que la perspective d'une éducation continue doit être un des axes de ces orientations, que le Québec se dote d'une politique d'éducation permanente ? Nous hésitions à aller dans ce sens au terme de la première étape des États généraux, celle des audiences publiques. Nous n'hésitons plus aujourd'hui et pensons qu'une telle politique doit être énoncée. Il y a consensus sur les points essentiels qu'elle pourrait comporter; elle permettra des actions et une organisation des services plus cohérentes; elle sera le signe manifeste de la reconnaissance du droit à l'éducation de toute personne, sa vie durant (p.54).
À la suite des États généraux, le gouvernement a présenté son plan d’action en 1997, Prendre le virage du succès. Plan d’action ministériel pour la réforme de l’éducation. Sept grandes lignes d’action étaient proposées dans ce document. Une politique d’éducation des adultes était annoncée dans l’une d’elles.
Le renouvellement continu des compétences est une exigence sociale incontournable qui ne peut plus se satisfaire d'une éducation des adultes qui serait surtout conçue comme une école de la seconde chance pour la population peu scolarisée. Par ailleurs, l'accessibilité et la cohérence des actions dans le champ de la formation continue soulèvent d'importants problèmes. Le Ministère a amorcé des travaux afin d'élaborer une politique de la formation continue. Il sera secondé par un comité-conseil composé de personnes-ressources du milieu de la formation continue. Une fois précisée, la politique de la formation continue permettra de clarifier les orientations du Ministère en matière d'offre de services et de partage des rôles entre les intervenants (p.34).
Des bilans ont été faits après 2007. Cependant, il n’y a pas eu de bilan public gouvernemental des cinq années couvertes par le plan d’action (2002-2007), du moins sous la forme d’un document public, ni de consultation des partenaires. Il n’y a pas eu non plus de nouveau plan d’action depuis 2007.
Qu’est-ce qui justifierait une nouvelle politique d’éducation des adultes ?
Par la suite, il a été question, durant le webinaire, des raisons justifiant l’adoption d’une nouvelle politique gouvernementale d’éducation des adultes. Pour l’ICÉA, cinq raisons justifient l’adoption d’une nouvelle politique :
Il a été posé deux questions aux participantes et aux participants :
- Quels sont les enjeux et les problèmes les plus importants en éducation des adultes justifiant l’adoption d’une nouvelle politique gouvernementale ?
- Quels devraient être les engagements des partis politiques à l’égard d’une nouvelle politique d’éducation des adultes à l’aube des élections provinciales qui auront lieu le 3 octobre prochain ?
Plusieurs éléments sont ressortis des échanges. Certains concernent des secteurs spécifiques alors que d’autres concernent l’éducation des adultes dans sa globalité.
Des enjeux concernant des secteurs spécifiques de l’éducation des adultes
Concernant la formation générale des adultes (FGA), on déplore que ce secteur soit toujours perçu comme étant un deuxième accès pour les jeunes de 16 ans qui veulent obtenir un diplôme d’études secondaires (DES). On déplore également que les acquis non scolaires soient peu valorisés compte tenu du fait qu’ils ne seraient pas nécessaires pour obtenir un DES.
La question du financement apparaît également comme un enjeu important à différents égards. Il a été mentionné, par exemple, que la formation à distance en FGA souffre d’un sous-financement par rapport à la formation en présentiel. Les heures nécessaires à un élève pour compléter un module en présentiel sont toutes financées que cela prenne 200 ou 300 heures alors qu’en formation à distance, seules les 40 premières heures sont financées. « Le reste, c’est bénévole. Ça veut dire que si un prof continue de l’aider, il n’y a plus de financement pour cet élève-là ». Ce déséquilibre dans le financement nuirait à la qualité des services offerts et à la capacité du secteur public de compétitionner le secteur privé en formation à distance.
Repenser les évaluations et les outils utilisés en FGA apparaît également comme un enjeu notable. On appelle également à se pencher sur la récente réorganisation ministérielle de la FGA. L’ancienne Direction de l’éducation des adultes et de la formation continue (DEAFC) a fusionné pour devenir la Direction de l’éducation des adultes et de la formation professionnelle.
Concernant l’alphabétisation populaire, on met de l’avant l’enjeu du recrutement des apprenantes et des apprenants. Pour faire face à cet enjeu, les groupes se tournent vers différents organismes et ministères comme le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) parce qu’ils reçoivent peu de références des centres de services scolaires (CSS). Cet enjeu met en lumière l’importance d’une approche intersectorielle en éducation des adultes. On rappelle que « l’alphabétisation n’est pas juste une question scolaire, mais une question plus large ».
Des enjeux concernant l’éducation des adultes de manière plus large
La question de la reconnaissance de l’éducation des adultes a été abordée à plusieurs reprises. La publication du récent Plan d’action pour la réussite en enseignement supérieur 2021-2026 a été donnée en exemple. Une section de ce plan d’action présente un état de la situation de la réussite à l’enseignement collégial et universitaire. Or, les données présentées concernent presque uniquement les adultes de 25 ans et moins.
Une inquiétude a également été soulevée par rapport à la compréhension de ce qu’est l’éducation des adultes et la vision d’une nouvelle politique d’éducation des adultes en lien avec le message vidéo du ministre de l’Éducation, Monsieur Jean-François Roberge, qui a fait mention d’une politique en formation générale des adultes.
La complexité du financement en éducation des adultes et ses différentes modalités ont également été mentionnées. Dans les dernières années, l’ICÉA s’est penché à plusieurs reprises sur cette question. Il manque de données sur le financement pour avoir un portrait global du financement de l’éducation des adultes. Dans cette optique, on a rappelé le rapport produit par un comité d’experts sur le financement de la formation continue peu de temps après l’adoption de la politique de 2002, Cap sur l’apprentissage tout au long de la vie (2004).
Il a également été question des transitions interordres ainsi que du rôle et de l’approche de l’État en éducation des adultes.
Contenu et vision d’une nouvelle politique d’éducation des adultes
Plusieurs participantes et participants ont souligné l’importance qu’une nouvelle politique d’éducation des adultes adopte une perspective large de l’éducation des adultes, une perspective d’apprentissage tout au long de la vie incluant les apprentissages en milieu scolaire et non scolaire ainsi que l’apprentissage formel, non formel et informel.
"L’éducation qui amène au diplôme, c’est une chose, mais l’éducation tout au long de la vie, c’est vraiment quelque chose de pertinent. C’est vraiment quelque chose qui fait grandir une société".
On appelle à penser l’éducation dans une perspective plus globale. L’importance de distinguer qualification et éducation est portée à l’attention.
"L’idée d’aller chercher une première qualification est super importante tout le temps. Donc, on parle en termes de nombre, de quantité et non de qualité. Ce qui fait qu’en gros, on ne vise pas l’éducation globale de l’individu, mais l’éducation en termes de qualification, de compétences spécifiques et de diplomation".
Une politique d’éducation des adultes ne devrait pas non plus se concentrer seulement sur les enjeux d’employabilité et ne devrait pas chercher uniquement à répondre à des besoins de main-d’œuvre dans un contexte de pénurie.
Une telle politique devrait avoir une vision forte à l’égard du rôle et de la nécessité de l’éducation des adultes dans la société, une vision présente dans la politique de 2002, mais pas de manière aussi significative que dans les recommandations de la Commission Jean (1982).
Selon plusieurs participantes et participants, une nouvelle politique d’éducation des adultes devrait aussi reconnaître la diversité des lieux d’éducation des adultes, des acteurs et actrices, des approches et des formes d’enseignement, des objectifs et des finalités. Il serait important qu’elle protège des secteurs d’éducation comme l’éducation populaire qui est actuellement très fragilisée. On n’a qu’à penser à la situation des six centres d’éducation populaire de Montréal (CEP).
Une politique gouvernementale et interministérielle devrait également permettre de gérer l’ensemble des parcours d’apprentissage des apprenantes et des apprenants qui empruntent différents lieux et différentes modalités plutôt que des épisodes d’apprentissage (gestion en silos). À cet effet, il a été rappelé que les parcours d’apprentissage ne finissent pas avec l’obtention d’un diplôme, d’autant plus que ce n’est pas toujours l’objectif souhaité ni atteignable pour certaines populations. Une telle approche permettrait de reconnaître tous les types d’acquis et d’apprentissages (scolaire, expérientiel, etc.) effectués par les personnes.
Plusieurs exemples ont été donnés pour démontrer l’importance d’avoir une approche interministérielle puisque de nombreux enjeux et problèmes ne concernent pas uniquement le ministère de l’Éducation (MEQ) ou le secteur de l’éducation de manière plus large.
Lien avec la consultation de l’ICÉA sur les grands chantiers en éducation des adultes
Plusieurs thèmes et préoccupations des personnes qui ont répondu à la consultation rejoignent les défis, les problèmes et les enjeux mentionnés durant ce webinaire. On peut mentionner le soutien aux parcours d’apprentissage des adultes, le financement de l’éducation des adultes, la diversité des lieux d’éducation des adultes ainsi que l’action gouvernementale en éducation des adultes. Concernant les priorités d’une nouvelle politique d’éducation des adultes, il a été mentionné dans les réponses à la consultation que si la politique de 2002 faisait de l’employabilité et de la « formation des adultes associée à la vie professionnelle » des priorités, une nouvelle politique devrait faire « de l’ensemble des dimensions de la vie adulte le cœur de ses préoccupations ».
Pour consulter le bilan fait par l’ICÉA de la politique de 2002 et son argumentaire détaillé pour une nouvelle politique d’éducation des adultes :
ICÉA (2019), Pour une politique globale d’éducation des adultes. Document d’orientation de l’ICÉA en faveur de l’adoption par le gouvernement du Québec d’une nouvelle politique d’éducation des adultes, Montréal, ICÉA.
Pour voir ou revoir ce webinaire
Vous n’avez pas pu assister à ce webinaire, il est possible de l’écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=Z-_LsOsOgvM
Pour voir ou revoir les autres webinaires de la série
Vous pouvez écouter les autres webinaires sur la chaîne YouTube de l’ICÉA : https://www.youtube.com/channel/UCgpFygHhUouZVUfKa6VJuGQ