La pandémie secoue profondément nos sociétés. Notre capacité d'agir est sollicitée au maximum. Chaque grand réseau de la société est mis à profit pour soigner et accompagner les personnes infectées, juguler la propagation du virus et assurer l'approvisionnement en biens et services essentiels aux familles et aux personnes cloîtrées. Le réseau de l'éducation n'est évidemment pas épargné, puisque la fermeture complète des écoles et des institutions d'enseignement a été une des premières mesures d'envergure prises par les gouvernements, au Québec et ailleurs.
Deux semaines se sont écoulées, depuis l'amorce de la gestion de crise. La fermeture d'urgence de l'ensemble des établissements du réseau de l'éducation et de l'ensemble des organisations, dans un premier temps, sur une base volontaire, et, par la suite, de manière obligatoire, a constitué une première phase des décisions prises. En éducation, une seconde phase s'organise, depuis quelques jours, alors que le ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur et plusieurs établissements entendent miser sur la formation en ligne, afin de permettre la poursuite des apprentissages ou la fin de la session en cours.
L'éducation des adultes n'a pas encore retenu l'attention du gouvernement, du moins, dans sa version formelle et non formelle. Car, l'État québécois réalise de manière intensive des activités d'éducation à la santé physique et psychologique destinées aux adultes. Or, la création des conditions d'une poursuite des apprentissages chez les enfants et les jeunes ne s'est pas encore étendue aux adultes. Ainsi, les services publics d'éducation des adultes restent absents de la première vague de décisions prises par le gouvernement.
L'éducation des adultes n'est toutefois pas en dormance, au-delà l'action de l'État dans ce domaine. Comme nous l'évoquions dans un article sur la formation en ligne au temps du Covid-19, le marché privé de la formation en ligne profite d'une opportunité unique de faire connaître ses services. Par ailleurs, de manière spontanée et selon des degrés variables de structuration, les personnes confinées à domicile pourraient réaliser divers apprentissages en ligne, sur des sujets variés.
En outre, pris par surprise par la fermeture abrupte de leurs services, les milieux de l'éducation des adultes, comme l'ensemble de la société, réfléchissent fort probablement à la mise en place de plans de contingence. Certains pourront offrir des services adaptés aux personnes en apprentissage qu'ils desservent, alors que cela pourrait être impossible pour d'autres, notamment, ceux dont l'approche pédagogique repose intrinsèquement sur une relation en présentiel soutenue. Il faudra encore quelques jours pour clarifier la situation, en particulier, si perdure le contexte exceptionnel de fermeture des organisations.
Dans nos analyses des politiques en éducation des adultes, nous avons fréquemment attiré l'attention sur le fait que l'éducation des adultes est la plupart du temps oubliée dans les orientations proposées et les décisions prises. Récemment, nous soulignions cette tendance, dans le contexte de création des conseils scolaires, alors que les réalités de la gouvernance de la formation générale aux adultes n’étaient pas prises en compte. À l'exception d'une priorisation de la formation de la main-d’œuvre à des fins d'adéquation entre la demande et l'offre de compétences, notamment, dans la lutte aux pénuries de main-d’œuvre, l'éducation des adultes fait rarement l'objet d'une priorité gouvernementale. Ce constat est à la base de la demande faite par l'ICÉA que soit élaborée une politique globale d'éducation des adultes qui tienne compte de l’ensemble des besoins d’apprentissage et des lieux en mesure de leur réponde.
S'occuper de l'éducation des enfants et des jeunes, d'abord et avant tout, semble guider la priorisation des activités d'éducation par les États, ici et ailleurs. L'essentiel est là, pour les politiques publiques en éducation, incluant dans le contexte extraordinaire de gestion de crise qui force à faire des choix. L'éducation des adultes reste un domaine marginal d'activité, sollicité spécifiquement pour combler des urgences, tel l'analphabétisme, l'absence d'un premier diplôme chez les jeunes adultes ou l'inadéquation des compétences de la main-d’œuvre. Au Québec, la Politique gouvernementale d'éducation des adultes et de formation continue de 2002 est un exemple de cette approche limitative, elle qui ne référait qu'aux seuls domaines de la formation de base et de la formation de la main-d’œuvre. Les politiques publiques en éducation peinent encore à donner forme à la perspective de l'apprentissage tout au long de la vie, qu'elles évoquent pourtant depuis le tournant des années 1970.
Comme le montre depuis quelques jours l'intensification des opérations d'éducation à la santé, les compétences numériques fortement sollicitées, les compétences en gestion des finances personnelles ainsi que les compétences parentales sous pression en période de confinement, l'éducation des adultes est une composante fondamentale des sociétés modernes dont le bon fonctionnement implique chez les citoyennes et les citoyens un bagage de plus en plus étendu de connaissances et de compétences. C'est pourquoi l'objectif de maintenir la continuité des apprentissages doit aussi s'étendre aux adultes, dans les établissements publics d'éducation, en particulier, à la formation générale aux adultes, dans les réseaux d'organismes communautaires et à l’intention du personnel des entreprises, que celui-ci soit encore en emploi ou mis en chômage forcé. Des actions spécifiques en ce sens devraient être prises.
Sans aucun doute, l’éducation des enfants et des jeunes est essentielle, puisque le futur de nos sociétés s’y joue. Cependant, l’éducation des adultes est stratégique, puisque, par elle, c’est le présent de ces sociétés qui est en jeu. Par exemple, notre capacité à gérer cette crise, à en atténuer les conséquences et, éventuellement, à réussir la sortie de celle-ci repose sur les connaissances et les compétences acquises et en voie d’acquisition des adultes. C'est pourquoi les politiques publiques en éducation doivent dépasser cette dichotomie qui priorise l’éducation des enfants et des jeunes et marginalise l’éducation des adultes. Cette approche n’est plus en phase avec les réalités d’une société qui fait de la connaissance un moteur de son développement en temps normal et qui le fait encore plus en temps de crise.