Ce texte a été publié dans la section Idées du journal Le Devoir le 11 janvier 2025.
https://www.ledevoir.com/opinion/idees/831802/idees-politique-education-adultes-plus-plus-necessaire
Au cours des derniers mois, de nombreuses personnes et organisations ont dénoncé le sort réservé aux gens inscrits dans les cours de francisation, en particulier des personnes immigrantes, soulignant l’incohérence des actions gouvernementales les concernant.
Même si la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, adoptée en mai 2022, a consacré le droit d’apprendre le français sans distinction d’âge, des décisions récentes ont conduit à réduire le nombre de cours offerts dans les centres d’éducation des adultes et à laisser en plan de nombreuses personnes dans leur apprentissage du français.
« Toute personne domiciliée au Québec a droit aux services prévus et offerts en vertu des articles 88.12 et 88.13 pour faire l’apprentissage du français. […] Cet enseignement du français doit permettre à la personne qui l’a reçu pendant tout l’enseignement primaire, secondaire et collégial d’avoir acquis des compétences suffisantes pour utiliser le français comme langue commune afin de pouvoir interagir, s’épanouir au sein de la société québécoise et participer à son développement » (Charte de la langue française, art. 6.1)
La francisation dans les centres d’éducation des adultes est mise à mal depuis que les règles budgétaires ont changé. De nombreuses classes ont été fermées aux quatre coins de la province. Des enseignants ont perdu leur emploi tandis que d’autres ont été affectés ailleurs. Cette diminution de services dans les centres d’éducation des adultes a eu lieu alors que Francisation Québec peine à répondre à la demande.
En effet, depuis la mise en place de ce guichet unique de services en francisation, qui devait faciliter l’accès aux services d’apprentissage du français, la situation ne s’est pas améliorée. La plateforme pour s’inscrire est peu accessible, par exemple pour les personnes peu ou pas alphabétisées ou pour celles qui ne détiennent pas les compétences numériques nécessaires. Les démarches des employeurs pour la francisation en milieu de travail sont plus complexes et fastidieuses qu’avant. Certains renoncent à en offrir dans ces circonstances. Inévitablement, la liste d’attente s’allonge.
Le 5 décembre dernier, le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-François Roberge, a annoncé le versement d’une enveloppe de 10 millions visant à augmenter l’offre de francisation dans les centres de services scolaires (CSS). Cependant, ce ne sont pas tous les CSS qui étaient concernés par cette annonce. De plus, il ne s’agit pas de sommes supplémentaires injectées dans les services en francisation, mais de sommes provenant de la réaffectation de l’allocation pour la participation à des cours de francisation à temps partiel, laquelle a été supprimée en septembre dernier malgré la forte demande pour des cours à temps partiel.
Ces décisions gouvernementales récentes soulignent combien l’action gouvernementale en éducation des adultes souffre d’un manque de vision à long terme.
La situation en francisation n’est pas unique. Nous la retrouvons aussi en formation professionnelle. Par exemple, le ministre du Travail, Jean Boulet, a annoncé en novembre dernier la fin des formations payées en construction. Ces formations accélérées, payées à raison de 750 $ par semaine et menant à l’obtention d’une attestation d’études professionnelles (AEP), ont été planifiées pour combler des besoins de main-d’œuvre dans certains secteurs de la construction. Au terme d’une première phase, peu de diplômés ont rejoint les chantiers de construction. Certains ont eu du mal à se faire embaucher malgré leur AEP en poche.
Ces décisions gouvernementales ont des conséquences sur les personnes. Certaines ne peuvent poursuivre leur apprentissage du français ou ne sont pas assurées de la reconnaissance de leur formation sur le marché du travail. Plus largement, c’est l’accès des adultes à la formation qui s’en trouve réduit.
Dans ce contexte, l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes demande au gouvernement de faire preuve de vision et d’envisager un cadre global d’intervention en éducation des adultes s’appuyant sur les principes suivants :
— permettre un large accès à des formations significatives bénéficiant tant aux personnes qu’à la collectivité ;
— assurer une continuité de la formation pour les personnes qui le désirent ;
— mettre en œuvre des conditions d’études favorables aux adultes qui tiennent compte de leurs réalités, de leurs contraintes, de leurs besoins et de leurs défis ;
— assurer une continuité des services et leur qualité.
En d’autres mots, une réflexion d’ensemble est nécessaire plutôt qu’une planification à court terme de l’éducation des adultes. Une large consultation des différents milieux de l’éducation des adultes en vue d’adopter une nouvelle politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue ambitieuse serait une bonne occasion de mener cette réflexion.
Daniel Baril, directeur général de l'ICÉA
Émilie Tremblay, chercheuse à l'ICÉA