ICEA

Institut de coopération pour l'éducation des adultes

Nourrir la réflexion sur une nouvelle politique en éducation des adultes

Il y a quelques mois, il était demandé à l’ICÉA, dans le cadre de ses représentations politiques, de démontrer qu’une nouvelle politique en éducation des adultes était nécessaire et d’identifier les enjeux orphelins n’ayant pas de porteurs. C’est dans ce contexte et à l’approche des élections provinciales qui auront lieu le 3 octobre prochain, que l’ICÉA a lancé une série de quatre webinaires publics sur l’éducation des adultes afin d’échanger sur les principaux enjeux et défis ainsi que sur les principales revendications portées par les actrices et les acteurs de trois secteurs de l’éducation des adultes au cœur du droit à l’éducation pour toutes et tous : la formation générale des adultes (FGA), l’alphabétisation populaire et l’éducation populaire. Nous avons conclu cette série de webinaires par une réflexion collective sur l’importance d’avoir une nouvelle politique d’éducation des adultes.
 

Que faut-il retenir de ces webinaires ?
 

Est-ce qu’il y a au Québec des enjeux orphelins en éducation des adultes ? D’après nous, la question doit être pensée différemment. D’une part, l’écosystème de l’éducation des adultes est composé d’une multitude de lieux et d’une diversité d’actrices et d’acteurs qui oeuvrent et défendent le droit des adultes à l’éducation et à l’apprentissage tout au long de la vie. L’adoption d’une nouvelle politique d’éducation des adultes devrait-elle reposer sur le fait qu’il y a des enjeux orphelins en éducation des adultes ou sur le fait qu’il y a des enjeux et des défis importants pour lesquels des solutions sont attendues ?

Durant les webinaires, les personnes présentes ont mis en évidence certains de ces enjeux et défis, et les problèmes qu’elles rencontrent au quotidien pour accompagner et soutenir des adultes dans des activités de formation et d’apprentissage, et pour rejoindre et offrir à diverses populations adultes des services accessibles et de qualité répondant à leurs besoins. Quelques grands enjeux et défis sont revenus de manière récurrente d’un webinaire à l’autre en plus de ceux spécifiques à certains secteurs. Mentionnons :

  • La reconnaissance des actrices et les acteurs qui oeuvrent en éducation des adultes, de leurs apports et de la variété de leurs approches ;
  • La compréhension de ce qu’est l’éducation des adultes et la connaissance de ce qui est fait dans différents lieux et secteurs ;
  • La réponse aux besoins variés de nombreux profils d’adultes en apprentissage ;
  • Le financement, en particulier le financement inadéquat de certains services, secteurs et profils d’adultes en apprentissage, et la complexité du financement (nombreuses modalités de financement).
     

Certaines situations et certains évènements tels que la pandémie de COVID-19 ainsi que le contexte de pénurie de main-d’œuvre ont exacerbé des enjeux existants.

D’autre part, au-delà des enjeux orphelins, c’est l’ensemble de l’éducation des adultes qui est orphelin d’une vision gouvernementale globale qui s’incarne dans des actions interministérielles. L’État pose des actions à la pièce et agit en silo alors que les parcours d’apprentissage des adultes sont complexes et les lieux d’éducation sont nombreux et diversifiés. De plus, son action est limitée à quelques enjeux comme la pénurie de main-d’œuvre.
 

En route vers une nouvelle politique d’éducation des adultes ?
 

Vingt ans ont passé depuis l’adoption, en mai 2002, de la Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue. L’ICÉA a publié plusieurs analyses et bilans de cette politique qui a favorisé certaines avancées, tout en ayant des limites, notamment le peu de place fait à certains secteurs de l’éducation des adultes. D’autres organisations ont fait de même. C’est le cas, par exemple, du Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDÉACF).

Bien que cette politique soit toujours en vigueur, le plan d’action 2002-2007 n’a jamais été renouvelé. Les milieux en éducation des adultes attendent un nouveau plan d’action depuis 15 ans. Certes, l’éducation des adultes et l’apprentissage tout au long de la vie sont abordés dans quelques politiques et stratégies gouvernementales telles que la Politique de la réussite éducative, adoptée en 2017, ou encore la Stratégie nationale sur la main-d’œuvre 2018-2023. Certains documents gouvernementaux comme le Plan d’action pour la réussite en enseignement supérieur 2021-2026 ou encore le Plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire 2022-2027 ciblent des secteurs en particulier. D’autres, comme le Plan d'action numérique en éducation et en enseignement supérieur, portent sur des questions qui interpellent et intéressent l’ensemble des secteurs de l’éducation des adultes, mais s’adressent seulement à certains d’entre eux.

D’après les personnes qui ont participé à nos webinaires, une nouvelle politique d’éducation des adultes est nécessaire. Pour certaines d’entre elles, un nouveau plan d’action devrait être priorisé par rapport à une politique pour que des actions soient prises rapidement. Cependant, comme il était rappelé lors du webinaire du 2 mai, une politique fournit les grandes orientations ainsi que les principes devant guider les actions gouvernementales. En ce sens, un plan d’action seul semble insuffisant d’autant plus que le paysage de l’éducation des adultes s’est considérablement transformé depuis le début des années 2000.

En effet, depuis vingt ans, les lieux d’éducation et de formation des adultes se sont multipliés (réseaux public et privé d’établissements en éducation, milieu associatif et communautaire, institutions culturelles, tiers-lieux, marché privé des formations en ligne et des plateformes numériques, environnements personnalisés d’apprentissage en ligne, etc.). Il en est de même des modalités d’apprentissage (autoformation, apprentissage par les pairs, en ligne, à distance, hybride, microapprentissage, etc.). Le numérique prend une place de plus en plus importante dans les activités d’apprentissage et de formation ainsi que dans la vie de tous les jours. L’offre de formation en ligne et à distance s’est énormément développée (Wotto et Bélanger, 2018; Julien et Gosselin, 2016). Les demandes de connaissances et de compétences dans les différentes sphères de la vie quotidienne sont omniprésentes (ICÉA, 2022). La pandémie de COVID-19 a contribué à accroître ces demandes. Des inégalités persistent, notamment sur le plan de l’accès à l’éducation et à la formation, sur le plan des acquis scolaires et du rapport au numérique (fractures et inégalités numériques) (Collin, 2013). Le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre a des impacts sur les parcours d’apprentissage et sur la persévérance scolaire des apprenantes et des apprenants adultes, ainsi que sur leur accès à des formations qualifiantes et transférables, et à de la formation continue.

Pourquoi le plan d’action accompagnant la politique de 2002 n’a-t-il jamais été mis à jour depuis son adoption ? Pourquoi tarde-t-on à adopter une nouvelle politique en éducation des adultes ? Le renouvellement des politiques, des stratégies et des plans d’action est pourtant une pratique courante. Au fil des décennies, le gouvernement du Québec a régulièrement adopté des cadres de référence guidant son action en matière de réussite et de lutte contre le décrochage scolaire. Avant le lancement de l’actuelle Politique de la réussite éducative, le gouvernement avait adopté le plan d’action L’école, j’y tiens ! Tous ensemble pour la réussite scolaire (2009). On peut également mentionner la Stratégie d'intervention Agir autrement : une stratégie pour contrer les écarts de réussite scolaire entre les milieux défavorisés et les milieux plus favorisés, lancée en 2002.

Dans un tout autre secteur, celui de la science, de la recherche et de l’innovation, le gouvernement du Québec a également adopté de nombreux cadres de référence, soit des politiques scientifiques ou les SQRI, les stratégies québécoises de la recherche et de l’innovation (Gingras, 2012), dont la plus récente est la Stratégie québécoise de recherche et d'investissement en innovation 2022-2027 (SQRI2).
 

Relancer une action gouvernementale en éducation des adultes dans une perspective interministérielle
 

Aujourd’hui, une nouvelle politique dédiée à l’éducation des adultes et soutenue par une action interministérielle est nécessaire afin d’appréhender l’éducation des adultes dans toute sa diversité et sa complexité. Malheureusement, l’éducation des adultes est encore souvent réduite à la formation générale des adultes (FGA), un secteur, par ailleurs, fort important.

Déjà en 1982, le rapport de la Commission d'étude sur la formation professionnelle et socio-culturelle des adultes (CEFA)1, appelée aussi Commission Jean (1982), invitait à penser la future politique d'éducation des adultes dans l’optique de l’apprentissage tout au long de la vie ainsi qu’à prendre en compte et à mettre en dialogue la diversité des lieux et des approches en éducation des adultes :

Élaborer une politique d’ensemble de l’éducation des adultes « dans une perspective d’éducation permanente » signifie briser les cloisons étanches, d’abord entre les temps pour apprendre et les temps pour travailler, entre les lieux de formation et les lieux de vie, de travail et de loisirs, entre les types de formation, les spécialistes et les professions. Par ailleurs, le système scolaire n’épuise pas la réalité éducative de la société. Il se développe, en dehors de ce réseau institutionnel, des pratiques éducatives et des actions collectives qui font surgir des connaissances nouvelles, des problématiques ignorées ou peu exploitées des milieux enseignants.

Une nouvelle politique est également importante pour penser et gérer l’ensemble des parcours d’apprentissage des apprenantes et des apprenants plutôt que des épisodes d’apprentissage limité à un seul lieu ou à un seul secteur. Ces parcours d’apprentissage se déroulent dans différents lieux et selon différentes modalités, impliquent plusieurs transitions et favorisent le développement de différents types de compétences utiles dans la vie quotidienne et sur le marché du travail, et d’acquis (scolaire, expérientiel, etc.).

En même temps, loi-cadre, politique, stratégie, plan d’action, ce qui importe surtout c’est que le gouvernement fasse de l’éducation des adultes et de l’apprentissage tout au long de la vie une priorité. Il ne suffit pas de faire mention de l’importance de l’apprentissage tout au long de la vie dans des documents gouvernementaux, il faut se donner les moyens et les outils pour que l’éducation des adultes et l’apprentissage tout au long de la vie soient reconnus, valorisés et soutenus.

Des actions doivent être prises en fonction des nombreux enjeux et défis que vivent les actrices et les acteurs ainsi que les différentes organisations qui composent l’écosystème de l’éducation des adultes.

Peut-on imaginer la mise en place d’un comité interministériel sur l’éducation des adultes et l’apprentissage tout au long de la vie comme il en existe un sur le développement durable ? Peut-on imaginer que les ministères et organismes gouvernementaux se dotent de plans d’action en matière d’éducation des adultes et d’apprentissage tout au long de la vie ?

L’important, à notre sens, est que le gouvernement relance une action en éducation des adultes comme nous le demandons dans notre Plateforme électorale en prévision des élections générales au Québec (2022). Au sein de cette plateforme, trois priorités ont été définies :

  • Toutes et tous devraient posséder des compétences élevées en numératie et en littératie, incluant l’alphabétisation et l’apprentissage de compétences numériques.
  • Toutes les travailleuses et tous les travailleurs devraient pouvoir participer à des formations répondant à leurs besoins de développement professionnel, à court, moyen et long terme.
  • Chaque personne immigrante devrait être soutenue dans son processus d’inclusion au sein de la société québécoise par le biais de l’accès à des activités de formation, dont la francisation, à des dispositifs de reconnaissance de ses acquis et à la formation manquante ou d’appoint assurant la réussite de son intégration sociale et professionnelle et le développement de son plein potentiel.
     

Ces priorités nécessitent des actions et des mesures fortes en matière de financement, d’accessibilité et d’équité, et de conciliation études-famille-emploi.

Ben entendu, les enjeux et les problèmes qui devront être traités dans la nouvelle politique sont bien plus nombreux et exigeront du gouvernement d’avoir une perspective et une compréhension globale de l’écosystème de l’éducation des adultes.
 

Note

1 Pour plus de détails, voir : Jean, Michèle (1983), « Connaître le passé pour inventer l’avenir : l’éducation des adultes au Québec. Mise en perspective historique », Revue internationale d’action communautaire 9(49) : 182-188. https://doi.org/10.7202/1034730ar